l’intervention française au Mali interroge l’existence même d’Etats en Afrique
BRUXELLES - 17 JAN. 2013
© Thierry AMOUGOU | Correspondance
Sans capacité de faire la guerre, l’Etat africain n’est pas un Etat. C’est l’absence d’Etats réels en Afrique qui donne naissance à un néocolonialisme des imaginaires africains devant le fait que ce sont des étrangers qui assurent en Afrique les fonctions régaliennes de l’Etat africain
Une façon d’aborder l’intervention militaire française au Mali consiste à discuter si on n’est pour ou contre. Cette attitude analytique duale et antagoniste place d’un côté les Africains enclins à la condamnation du néocolonialisme via la Françafrique et, de l’autre, ceux qui, face à la menace d’expansion des velléités dictatoriales des islamistes, pensent que tous les moyens sont justifiés pour stopper la progression des intégristes religieux quels qu’ils soient. Malgré la légitimité de ces deux postures, il nous semble important de porter le regard ailleurs. A notre humble avis, qu’un groupuscule – estimé au grand maximum à 3000 personnes par les experts internationaux du terrorisme – mette en déroute le Mali, exige qu’on se pose la question cruciale de savoir si, sans armées dignes de ce nom, on peut parler réellement d’Etats en Afrique subsaharienne.
* Sans capacité de faire la guerre, l’Etat africain n’est pas un Etat
L’Etat au départ, c’est un chef traditionnel, un émir, un prince, un roi, un seigneur bref, un homme qui, parce qu’il est capable de faire violence aux autres, les pousse à payer l’impôt pour bénéficier de sa protection. C’est lorsque ce monopole privée de la violence et des ressources se transforme en monopole public que naît l’Etat moderne comme macro institution centrée sur la réalisation de l’intérêt général. En conséquence, sans capacité de faire la guerre, l’Etat africain n’est pas un Etat.
La situation malienne n’est que la matérialisation d’une réalité d’ensemble au sein de l’Afrique subsaharienne, étant donné que quelques semaines plus tôt, c’est la RDC, pays continent, qui vacillait et tremblait devant l’avancée du M23 quand, quelques jours plus tard, Bozizé, le dictateur centrafricain, appelait officiellement au secours la France et les USA dès lors que le bruit de bottes de la Séléka fit entendre son échos dans les faubourgs de Bangui. Aussi, malgré le fait que la coopération inter-pays existe et qu’un pays ami puisse aider un autre en difficulté, l’existence de vrais Etats en Afrique subsaharienne est à questionner car une chose est de combattre et d’appeler ses amis au secours si on est en difficulté, une autre est de ne même pas être capable de se défendre parce que sans hommes, sans munitions, sans armes plus de cinquante ans après les indépendances.
En dehors de certains paramètres – population, territoire, capacité d’entrer en rapport avec d’autres pays – sur lesquels insiste le droit constitutionnel pour signifier ce qu’est un Etat, plusieurs pays africains ne peuvent se targuer d’en être sur le plan sociopolitique et géopolitique car, historiquement parlant, l’Etat n’est rien de plus qu’une autorité capable de mobiliser les hommes pour la guerre et de lever l’impôt pour parfois financer ladite guerre. Être capable de faire la guerre, d’étendre son territoire, de faire respecter l’intangibilité de ses frontières est aux fondements même de l’historicité du fait étatique qui, mieux que tout autre institution, incarne l’adage suivant lequel « qui veut la paix prépare la guerre » : c’est la guerre qui donne naissance à l’Etat et vice versa. Comment donc parler d’Etats réels en Afrique noire si le Mali, la RDC, la Centrafrique et bien d’autres pays n’ont aucune capacité d’exercer le monopole de la violence légitime ? Peut-on parler d’Etat en Afrique noire lorsque c’est la France qui évite le grignotage programmé du territoire malien avant même l’arrivée des troupes africaines ? Comment se fait-il que plus de cinquante ans après les indépendances des troupes africaines soient encore au stade de solliciter des experts européens pour pouvoir être capables de faire une intervention ? Si nous prenons l’image de la vie privée, cela correspond à laisser quelqu’un d’autre résoudre vos problèmes de ménage et de lui promettre votre aide chez vous plus tard. Parler de l’Etat en Afrique au sens d’une institution dont la réalité, au sens moderne du terme, consiste à distribuer la sécurité individuelle et collective grâce, entre autres, à une armée, n’est pas crédible car cet Etat-là n’existe pas. Il semble plus indiqué de parler de l’Etat africain en disant ce qu’il est effectivement.
Dès lors, ce qu’il faut signaler, au regard de la situation malienne, est que ce qu’on nomme Etat en Afrique subsaharienne est une entité politique sans armée digne de ce nom, dotée uniquement d’une capacité de répression de ses propres populations à la moindre manifestation. C’est une institution incapable de défendre le pays face à une agression extérieure mineure. C’est une structure administrative qui sert de canal d’accumulation à l’élite au pouvoir. L’Etat africain est le détenteur du monopole d’une violence illégitime sur ses populations. C’est une coquille vide dès que l’attaque est exogène et sérieuse. Seuls y existent, de façon tangible, les privilèges auxquels donne accès le pouvoir politique. C’est un endroit où vivent des populations qui, sans pouvoir compter sur une armée nationale digne de ce nom, ne peuvent jouir des fonctions régaliennes d’un Etat que sont la sécurité, la santé et l’éducation. Cela entraîne que c’est encore, plus de 50 ans d’indépendance plus tard, l’ancienne puissance coloniale qui vient sauver le Mali d’un groupuscule d’islamistes. Quid de la dimension défense de l’Union Africaine ? C’est, cinquante ans plus tard, des associations humanitaires occidentales qui donnent à manger aux Africains et soignent leurs malades. Quid de la dimension humanitaire de l’Union Africaine ? Les armées africaines existent-elles comme institutions efficaces que pour tuer les populations civiles lors des revendications démocratiques et éliminer les leaders politiques historiques comme Um Nyobè, Lumumba, Olympio, Sankara via le coup d’Etat ?
* Le néocolonialisme des imaginaires est plus dévastateur
La Force africaine vers le Mali, nous dit-on, est en préparation quand une force étrangère, c'est-à-dire extra-africaine, est déjà en place pour sauver un pays africain d’une invasion. C’est à croire que l’Afrique peut être en retard même à un rendez-vous que lui fixerait Dieu afin qu’elle vienne chercher la potion de sortie de son sous-développement. La nature ayant horreur du vide, sans nier l’existence de pratiques néocoloniales réelles, il nous semble que les Africains qui parlent parfois de néocolonialisme à tort et à travers, devraient savoir que sans Etats dignes de ce nom et sans implications franches et rapides de l’Afrique pour résoudre elle-même ses problèmes, l’Afrique construit elle-même les conditions de son néocolonialisme matériel et mental. C’est une situation gravissime car le fait que la France intervienne pour sauver le Mali du naufrage, ne se limite pas au débarquement de militaires français sur le territoire malien avec leurs équipements. La conséquence va plus loin que le visible. L’impact est invisible et plus profond car il affecte le psychique et les imaginaires africains et maliens en ce sens que dans les têtes des Maliens et de plusieurs Africains, c’est encore et toujours « le Blanc », l’ancien colon, le Français, la France et son armée qui peuvent libérer un pays africains attaqué. En conséquence, dans les mêmes têtes d’Africains et d’Africaines qui accueillent l’armée française en dansant, en applaudissant et en brandissant le drapeau français, c’est aussi l’incapacité et l’inexistence de l’Etat africain qui est entérinée et consommée de façon officielle et populaire. Cette situation se renforce avec l’humanitaire qui suit la guerre car ceux qui soignent, ceux qui donnent de l’eau potable et ceux qui donnent à manger aux populations abandonnées sont encore et toujours les descendants d’anciens colons qui recolonisent ainsi les imaginaires de la jeunesse africaine face à l’absence d’Etats africains crédibles. S’il existe un néocolonialisme meurtrier à long terme pour le continent noir, il n’est pas le fait des puissances étrangères comme la France mais fondée par les appels d’air à l’intervention externe qu’entretiennent les carences multiples de l’Etat africain. C’est l’absence d’Etats réels en Afrique qui donne naissance à un néocolonialisme des imaginaires africains devant le fait que ce sont des étrangers qui assurent en Afrique les fonctions régaliennes de l’Etat africain. En dehors du fait que l’aide est toujours liée, c’est pour échapper à cette aliénation des imaginaires que plusieurs pays refusent l’aide internationale même en cas de catastrophe naturelle grave.
* En Afrique noire tous les empires coloniaux sont encore possibles en 2013
L’Opération Serval au Mali est donc un évènement supplémentaire qui permet de discuter de l’Etat en Afrique et de l’Etat africain. Qu’a-t-il fait du développement et qu’est-ce que ce qu’on appelle développement a fait de lui ?
Prenons un exemple. Pensant à la déferlante coloniale qui s’abattit sur le continent africain au dès le 18è siècle, nous, Africains contemporains, avons l’habitude de dire que la colonisation totale de notre continent fut possible parce que nos ancêtres n’étaient pas armés. Ils ont été logiquement vaincus car ils ont résisté avec des lances, des flèches et des gourdins aux Occidentaux en possession d’armes à feu. Et nous concluons très souvent en disant : plus jamais cela.
Cependant, force est de constater que plus d’un demi-siècle après les indépendances, chaque ancienne puissance coloniale peut encore aujourd’hui reconstituer son empire colonial parce que rares sont leurs anciennes colonies avec une armée capable de faire une guerre. Quelques centaines d’hommes appuyés par trois hélicoptères peuvent recoloniser la majorité des pays africains où le rôle des armées consiste, soit à faire un coup d’Etat, soit à réprimer les populations, soit à protéger l’élite au pouvoir pour se partager la rente des matières premières. Il faut donc se résoudre à l’évidence : les Empires coloniaux français, anglais, allemand et belge en Afrique peuvent encore exister – s’ils n’existent pas toujours – étant donné que les pays africains ont été plus efficaces à appauvrir les populations et à enrichir les élites au pouvoir qu’à se doter d’instruments de puissance et de persuasion qui font aussi l’existence d’un Etat et le fondement de son autorité. Ceux qui ont été au pouvoir depuis 1960 n’ont rien fait pour que le jeune Africain qui vient au monde aujourd’hui ne puisse plus jamais vivre la colonisation politique, économique et spirituelle. La route vers l’indépendance est donc encore très longue.
Pour aller plus loin dans cette réflexion voir l’ouvrage de l’auteur via le lien ci-dessous.
http://www.amazon.fr/Cinquantenaire-lAfrique-Independante-Developpement-Sociopolitiques/dp/2296547966
Thierry AMOUGOU
Macro économiste, enseignant-chercheur Faculté des sciences économiques, sociales et politiques, Université catholique de Louvain & Ecole doctorale thématique en études du développement
© Thierry AMOUGOU | Correspondance
Sans capacité de faire la guerre, l’Etat africain n’est pas un Etat. C’est l’absence d’Etats réels en Afrique qui donne naissance à un néocolonialisme des imaginaires africains devant le fait que ce sont des étrangers qui assurent en Afrique les fonctions régaliennes de l’Etat africain
Une façon d’aborder l’intervention militaire française au Mali consiste à discuter si on n’est pour ou contre. Cette attitude analytique duale et antagoniste place d’un côté les Africains enclins à la condamnation du néocolonialisme via la Françafrique et, de l’autre, ceux qui, face à la menace d’expansion des velléités dictatoriales des islamistes, pensent que tous les moyens sont justifiés pour stopper la progression des intégristes religieux quels qu’ils soient. Malgré la légitimité de ces deux postures, il nous semble important de porter le regard ailleurs. A notre humble avis, qu’un groupuscule – estimé au grand maximum à 3000 personnes par les experts internationaux du terrorisme – mette en déroute le Mali, exige qu’on se pose la question cruciale de savoir si, sans armées dignes de ce nom, on peut parler réellement d’Etats en Afrique subsaharienne.
* Sans capacité de faire la guerre, l’Etat africain n’est pas un Etat
L’Etat au départ, c’est un chef traditionnel, un émir, un prince, un roi, un seigneur bref, un homme qui, parce qu’il est capable de faire violence aux autres, les pousse à payer l’impôt pour bénéficier de sa protection. C’est lorsque ce monopole privée de la violence et des ressources se transforme en monopole public que naît l’Etat moderne comme macro institution centrée sur la réalisation de l’intérêt général. En conséquence, sans capacité de faire la guerre, l’Etat africain n’est pas un Etat.
La situation malienne n’est que la matérialisation d’une réalité d’ensemble au sein de l’Afrique subsaharienne, étant donné que quelques semaines plus tôt, c’est la RDC, pays continent, qui vacillait et tremblait devant l’avancée du M23 quand, quelques jours plus tard, Bozizé, le dictateur centrafricain, appelait officiellement au secours la France et les USA dès lors que le bruit de bottes de la Séléka fit entendre son échos dans les faubourgs de Bangui. Aussi, malgré le fait que la coopération inter-pays existe et qu’un pays ami puisse aider un autre en difficulté, l’existence de vrais Etats en Afrique subsaharienne est à questionner car une chose est de combattre et d’appeler ses amis au secours si on est en difficulté, une autre est de ne même pas être capable de se défendre parce que sans hommes, sans munitions, sans armes plus de cinquante ans après les indépendances.
En dehors de certains paramètres – population, territoire, capacité d’entrer en rapport avec d’autres pays – sur lesquels insiste le droit constitutionnel pour signifier ce qu’est un Etat, plusieurs pays africains ne peuvent se targuer d’en être sur le plan sociopolitique et géopolitique car, historiquement parlant, l’Etat n’est rien de plus qu’une autorité capable de mobiliser les hommes pour la guerre et de lever l’impôt pour parfois financer ladite guerre. Être capable de faire la guerre, d’étendre son territoire, de faire respecter l’intangibilité de ses frontières est aux fondements même de l’historicité du fait étatique qui, mieux que tout autre institution, incarne l’adage suivant lequel « qui veut la paix prépare la guerre » : c’est la guerre qui donne naissance à l’Etat et vice versa. Comment donc parler d’Etats réels en Afrique noire si le Mali, la RDC, la Centrafrique et bien d’autres pays n’ont aucune capacité d’exercer le monopole de la violence légitime ? Peut-on parler d’Etat en Afrique noire lorsque c’est la France qui évite le grignotage programmé du territoire malien avant même l’arrivée des troupes africaines ? Comment se fait-il que plus de cinquante ans après les indépendances des troupes africaines soient encore au stade de solliciter des experts européens pour pouvoir être capables de faire une intervention ? Si nous prenons l’image de la vie privée, cela correspond à laisser quelqu’un d’autre résoudre vos problèmes de ménage et de lui promettre votre aide chez vous plus tard. Parler de l’Etat en Afrique au sens d’une institution dont la réalité, au sens moderne du terme, consiste à distribuer la sécurité individuelle et collective grâce, entre autres, à une armée, n’est pas crédible car cet Etat-là n’existe pas. Il semble plus indiqué de parler de l’Etat africain en disant ce qu’il est effectivement.
Dès lors, ce qu’il faut signaler, au regard de la situation malienne, est que ce qu’on nomme Etat en Afrique subsaharienne est une entité politique sans armée digne de ce nom, dotée uniquement d’une capacité de répression de ses propres populations à la moindre manifestation. C’est une institution incapable de défendre le pays face à une agression extérieure mineure. C’est une structure administrative qui sert de canal d’accumulation à l’élite au pouvoir. L’Etat africain est le détenteur du monopole d’une violence illégitime sur ses populations. C’est une coquille vide dès que l’attaque est exogène et sérieuse. Seuls y existent, de façon tangible, les privilèges auxquels donne accès le pouvoir politique. C’est un endroit où vivent des populations qui, sans pouvoir compter sur une armée nationale digne de ce nom, ne peuvent jouir des fonctions régaliennes d’un Etat que sont la sécurité, la santé et l’éducation. Cela entraîne que c’est encore, plus de 50 ans d’indépendance plus tard, l’ancienne puissance coloniale qui vient sauver le Mali d’un groupuscule d’islamistes. Quid de la dimension défense de l’Union Africaine ? C’est, cinquante ans plus tard, des associations humanitaires occidentales qui donnent à manger aux Africains et soignent leurs malades. Quid de la dimension humanitaire de l’Union Africaine ? Les armées africaines existent-elles comme institutions efficaces que pour tuer les populations civiles lors des revendications démocratiques et éliminer les leaders politiques historiques comme Um Nyobè, Lumumba, Olympio, Sankara via le coup d’Etat ?
* Le néocolonialisme des imaginaires est plus dévastateur
La Force africaine vers le Mali, nous dit-on, est en préparation quand une force étrangère, c'est-à-dire extra-africaine, est déjà en place pour sauver un pays africain d’une invasion. C’est à croire que l’Afrique peut être en retard même à un rendez-vous que lui fixerait Dieu afin qu’elle vienne chercher la potion de sortie de son sous-développement. La nature ayant horreur du vide, sans nier l’existence de pratiques néocoloniales réelles, il nous semble que les Africains qui parlent parfois de néocolonialisme à tort et à travers, devraient savoir que sans Etats dignes de ce nom et sans implications franches et rapides de l’Afrique pour résoudre elle-même ses problèmes, l’Afrique construit elle-même les conditions de son néocolonialisme matériel et mental. C’est une situation gravissime car le fait que la France intervienne pour sauver le Mali du naufrage, ne se limite pas au débarquement de militaires français sur le territoire malien avec leurs équipements. La conséquence va plus loin que le visible. L’impact est invisible et plus profond car il affecte le psychique et les imaginaires africains et maliens en ce sens que dans les têtes des Maliens et de plusieurs Africains, c’est encore et toujours « le Blanc », l’ancien colon, le Français, la France et son armée qui peuvent libérer un pays africains attaqué. En conséquence, dans les mêmes têtes d’Africains et d’Africaines qui accueillent l’armée française en dansant, en applaudissant et en brandissant le drapeau français, c’est aussi l’incapacité et l’inexistence de l’Etat africain qui est entérinée et consommée de façon officielle et populaire. Cette situation se renforce avec l’humanitaire qui suit la guerre car ceux qui soignent, ceux qui donnent de l’eau potable et ceux qui donnent à manger aux populations abandonnées sont encore et toujours les descendants d’anciens colons qui recolonisent ainsi les imaginaires de la jeunesse africaine face à l’absence d’Etats africains crédibles. S’il existe un néocolonialisme meurtrier à long terme pour le continent noir, il n’est pas le fait des puissances étrangères comme la France mais fondée par les appels d’air à l’intervention externe qu’entretiennent les carences multiples de l’Etat africain. C’est l’absence d’Etats réels en Afrique qui donne naissance à un néocolonialisme des imaginaires africains devant le fait que ce sont des étrangers qui assurent en Afrique les fonctions régaliennes de l’Etat africain. En dehors du fait que l’aide est toujours liée, c’est pour échapper à cette aliénation des imaginaires que plusieurs pays refusent l’aide internationale même en cas de catastrophe naturelle grave.
* En Afrique noire tous les empires coloniaux sont encore possibles en 2013
L’Opération Serval au Mali est donc un évènement supplémentaire qui permet de discuter de l’Etat en Afrique et de l’Etat africain. Qu’a-t-il fait du développement et qu’est-ce que ce qu’on appelle développement a fait de lui ?
Prenons un exemple. Pensant à la déferlante coloniale qui s’abattit sur le continent africain au dès le 18è siècle, nous, Africains contemporains, avons l’habitude de dire que la colonisation totale de notre continent fut possible parce que nos ancêtres n’étaient pas armés. Ils ont été logiquement vaincus car ils ont résisté avec des lances, des flèches et des gourdins aux Occidentaux en possession d’armes à feu. Et nous concluons très souvent en disant : plus jamais cela.
Cependant, force est de constater que plus d’un demi-siècle après les indépendances, chaque ancienne puissance coloniale peut encore aujourd’hui reconstituer son empire colonial parce que rares sont leurs anciennes colonies avec une armée capable de faire une guerre. Quelques centaines d’hommes appuyés par trois hélicoptères peuvent recoloniser la majorité des pays africains où le rôle des armées consiste, soit à faire un coup d’Etat, soit à réprimer les populations, soit à protéger l’élite au pouvoir pour se partager la rente des matières premières. Il faut donc se résoudre à l’évidence : les Empires coloniaux français, anglais, allemand et belge en Afrique peuvent encore exister – s’ils n’existent pas toujours – étant donné que les pays africains ont été plus efficaces à appauvrir les populations et à enrichir les élites au pouvoir qu’à se doter d’instruments de puissance et de persuasion qui font aussi l’existence d’un Etat et le fondement de son autorité. Ceux qui ont été au pouvoir depuis 1960 n’ont rien fait pour que le jeune Africain qui vient au monde aujourd’hui ne puisse plus jamais vivre la colonisation politique, économique et spirituelle. La route vers l’indépendance est donc encore très longue.
Pour aller plus loin dans cette réflexion voir l’ouvrage de l’auteur via le lien ci-dessous.
http://www.amazon.fr/Cinquantenaire-lAfrique-Independante-Developpement-Sociopolitiques/dp/2296547966
Thierry AMOUGOU
Macro économiste, enseignant-chercheur Faculté des sciences économiques, sociales et politiques, Université catholique de Louvain & Ecole doctorale thématique en études du développement