Libye : les Occidentaux n'ont jamais milité pour la liberté des peuples tiers

Rodrigue Kpogli
michelcollon.com

Ils proclament vouloir protéger les populations civiles, mais le but de cette invasion est bel et bien ailleurs.

Conscients de la reprise par les forces gouvernementales libyennes des villes occupées par la rébellion, les Occidentaux ont décidé d'entrer en action. Ils proclament vouloir protéger les populations civiles, mais tout le monde sait que le but de cette invasion est bel et bien ailleurs.

Les « soldats de la paix » de l'Occident accompagnés de quelques ravitailleurs arabo-musulmans de pacotilles et de décor sont sur le pied de guerre. Ils iront en Libye détruire l'aviation et le matériel militaire, mais le gouvernement fantoche et obséquieux à venir doit acquérir de nouveaux matériels de guerre. Les « soldats de la paix » iront détruire les infrastructures dont s'est dotée la Libye au prix d'énormes sacrifices, mais les préfets locaux à venir devront en reconstruire. Et qui sont ceux qui vont avoir les contrats pour la prétendue reconstruction ? Les multinationales des pays envahisseurs. Comme en Irak et comme partout ailleurs. Ainsi, le profit sera double voire triple : détruire ce qu'on avait vendu, faire payer le reste de la facture si tout n'avait pas été réglé par l'ancien régime et reconstruire ce qu'on avait détruit. C'est aussi cela les affaires !

La coutume a été parfaitement respectée une fois encore. Quand il s'agit de leurs intérêts, les Occidentaux savent taire leurs divergences internes. L'accord est toujours global même si hypocritement certains pays sont plus hésitants. C'est le cas de l'Allemagne aujourd'hui. Les autres laissent faire. Ceux-là, ce sont la Russie, la Chine, l'Inde et le Brésil. Peut-être que les termes du partage ne leur sont pas suffisamment favorables. Car, il faut bien reconnaître qu'il s'agit de se partager un pays à conquérir. Ce matin et toute cette journée, toute la classe politico-médiatique de l'occident belliciste est à l'unisson : la vote au conseil de sécurité autorisant « toutes actions pour protéger les populations civiles » en Libye est une victoire. Plus de gauche, plus de droite. Les quelques illuminés qui vendent encore aux naïfs tiers-mondistes le rêve internationaliste sont silencieux. En fait, tous célèbrent cette victoire car, eux tous se disent contre la dictature et le massacre opéré par Kadhafi.

Ce « massacre des populations civiles » par Kadhafi est, à maintes reprises, démenti par des images fournies par leurs propres télévisions, leurs propres médias de propagande. Ce fameux massacre, on a beau le chercher, on a beau essayer de convaincre la planète qu'il a lieu, ceux qui ont les yeux ouverts ne le voient pas. Malgré cela, Alain Juppé (photo), sur un cheval blanc, paré de l'éternel discours sacrificiel soutenant les vraies intentions occidentales, lui le voleur condamné par la justice de son pays, s'est présenté devant ses pairs du conseil de sécurité de l'ONU (l'une des armes de la boîte à outils des Occidentaux) le jeudi 17 mars 2011 pour demander une action urgente afin de ne pas laisser le massacre continuer.

Lorsqu'on ne trouve toujours pas le bon prétexte, on avance la nécessité d'abattre le régime libyen en vue de préserver les révolutions en Tunisie et en Egypte. Car, estime t-on, Kadhafi est dangereux et sa capacité de nuisance est illimitée. L'instant rappelait celui du discours de Collin Powell à la veille de l'invasion toute aussi humanitaire de l'Irak par Bush et ses sous-fifres pour démasquer les armes de destruction massive dans les puits de pétrole irakiens. Pire, Alain Juppé, le voleur, a parlé dans sa déclaration de combat de la morale, de la démocratie et de la liberté contre les forces de la répression. L'utilisation de ces mots par ce monsieur qui avait été condamné – avec clémence, il faut bien le dire – pour avoir tourné le dos à la morale et en pareille circonstance revient à les profaner. Mais au fond, la profanation, n'est-ce pas ce sur quoi est fondée la puissance de l'Occident qui, enivré du sang des peuples qu'il a soumis depuis six siècles, fait parler le canon là où son plan de « conquête pacifique » échoue ?

Tout ce qu'on peut dire en ce moment où l'attaque de la Libye a commencé, c'est regretter que Kadhafi ait utilisé l'argent du peuple Libyen pour financer la campagne de Sarkozy, que son fils ait offert 1.500.000 livres sterling à l'université d'Oxford, que lui et ses enfants aient certainement offert d'autres millions de dollars à des gens pour qui l'argent n'a pas d'odeur. Ceci est une bêtise. Car, il n'y a pas d'autre mot pour qualifier le fait d'offrir de l'argent à ceux qui vous méprisent. C'est également le moment pour les Kadhafi d'apprécier le rôle de police qu'ils ont joué dans l'endiguement violent de l'immigration vers l'Occident. Qu'ils jugent par eux-mêmes ceux qu'ils considéraient jusqu'à une époque récente, comme leurs amis à qui ils achetaient des armes. Les relations de l'Occident avec le monde extérieur notamment ce qui est appelé le Sud sont faites justement de trois étapes : la lèche au moment de chèques et de bonnes affaires, le lâchage au moment où il est découvert plus docile, et le lynchage à l'heure où le serviteur d'hier engage la résistance. Puisse cet épisode permettre aux tyrans encore en fonction et serviteurs plats des intérêts occidentaux au détriment de ceux de leur peuple, d'imaginer le sort qui leur est réservé.

A l'heure de la crise du capitalisme, pourquoi se priver de ressources supplémentaires ? Le discours humanitaire a toujours habillé les réelles intentions de l'Occident. Les razzias négrières transatlantiques n'étaient-elles pas après tout un moyen de conduire les païens nègres de l'enfer africain au paradis des colonies ? N'est-ce pas une guerre juste qu'on a mené contre le tyran Saddam Hussein ? Pourquoi se priverait-on de celle contre Kadhafi ? Elle est juste et humanitaire car le peuple libyen a le devoir de goûter au fruit de la liberté et de la démocratie importé au bout des chars.

Mais, on peut faire confiance à l'histoire. Si elle se répète très souvent pour les forts qui conjuguent la ruse et la violence pour parvenir à leurs fins, elle est également répétitive pour les peuples qui finissent toujours par se révolter contre les envahisseurs. Ces libérateurs qui ne libèrent rien si ce n'est le passage pour accélérer le pillage des richesses de l'espace libéré.

On a beau tenter aujourd'hui de montrer la joie des Libyens en faveur de cette invasion. Les Libyens d'aujourd'hui qui, soi-disant, accueillent les bras ouverts l'invasion et qui hissent le drapeau français sur le toit de leurs maisons se transformeront demain en combattants pour la liberté et contre l'occupation. La mémoire collective reprend toujours le dessus. Comme ce fût le cas pour d'autres pays dits libérés par les mêmes hyènes qui continuent leur chasse en meute. Il ne peut en être autrement, puisque cette agression militaire dite action humanitaire n'est pas pour la liberté des Libyens.

La liberté des libyens, on s'en fout en Occident. Les Occidentaux n'ont jamais milité pour la liberté des peuples tiers. Il suffit de relire l'Histoire pour en être persuadé. L'Occident adepte de l'individualisme multidimensionnel, ne peut travailler pour les autres. Il ne peut libérer aucun peuple malgré tous les sophismes qu'il développe pour envelopper sa vraie philosophie. Les peuples ne sont pas son affaire. Ce qui le concerne, ce sont ses intérêts tout azimuts au nom desquels il soutient ici des tyrannies obéissantes, là il se déchaîne contre des dictatures récalcitrantes et désobéissantes, ou là encore il est contre les démocraties désireuses d'autonomie contre lesquelles il monte des rébellions.

En définitive, si le peuple libyen désapprouve massivement Kadhafi, il revient à lui et rien qu'à lui seul de le renvoyer du pouvoir. Vouloir faire passer le secours et l'appui à un groupe d'homme-liges pour la protection à une population civile massacrée est inacceptable. Chaque peuple dispose de la capacité et des outils pour vaincre les dirigeants qu'il ne veut plus. Cela prend le temps qu'il faut, cela coûte ce qu'il doit coûter mais le peuple finit toujours par triompher. Que ce soit ici ou là-bas.

Non aux guerres de rapines et d'agression !




21/03/2011
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