Libération: La résidence de Titus Edzoa militarisée
YAOUNDE - 25 FEV. 2014
© Jean-Bruno TAGNE | Cameroon-Info.Net
Après sa libération lundi soir, l’ancien secrétaire général de la présidence de la république a regagné sa résidence à Simbok sous forte escorte.
Les
deux mains posées sur ses hanches, Titus Edzoa a le regard perdu. Sous
la lumière blafarde de la véranda de sa résidence nichée dans un paysage
de forêt au quartier Simbok à Yaoundé, il respire enfin l’air frais de
la liberté retrouvée après 17 ans de bagne.
Il est un peu plus de 23h, ce lundi 24 février 2014. L’ancien secrétaire général de la présidence de la République, condamné en 1997 à 15 ans de prison pour détournement de fonds publics, a quitté sa cellule du secrétariat d’Etat à la défense vers 19h. Sa libération fait suite au décret du président de la République daté du 18 février 2014 portant remise de peines.
Comme surpris par ce qui lui arrive après une si longue attente, Alain Edzoa se jette sur son père après des éclats de rires. Il ne cache pas sa joie. «Papa, tu es désormais un homme ordinaire», lance-t-il à son père, qui sourit. De temps en temps, loin des regards et des oreilles de quelques membres de la famille qui ont accouru après l’annonce de la nouvelle de la libération du «prof», il parle à son fils. De l’intérieur, un petit chant parvient dans la cour. C’est Geneviève Edzoa, l’épouse de l’ancien prisonnier, qui se réjouit de la libération de son mari. «17 ans ! Vous vous rendez compte ? 17 ans ! Comprenez-moi», soupire Alain Edzoa, ému.
Les vrombissements de moteurs, de temps en temps, rompent le silence de cette vaste concession où l’on n’entendait jusque-là que des chants d’oiseaux nocturnes. Ce sont les voitures de cousins, neveux et connaissances du ministre Edzoa. Alain Edzoa, au four et au moulin, est le premier qui accueille tous les visiteurs et les conduit au salon où ils peuvent embrasser l’ancien prisonnier, qu’ils congratulent chaleureusement.
Policiers et gendarmes armés
Vers minuit, deux policiers, gilets pare-balles bien visibles et armés de kalachnikov, arrivent chez les Edzoa. Ils viennent renforcer d’autres éléments de la gendarmerie et de la police qui ont déjà pris position dans la vaste concession broussailleuse et obscure. Officiellement, c’est pour la sécurité de la famille. Titus Edzoa ne semble pas particulièrement agacé par cette présence d’hommes armés chez lui. Il se contente de vivre ce moment de liberté dans le calme, alors que s’achève une journée au cours de laquelle les choses se sont accélérées, plus vite qu’en 17 ans.
Tout commence vers 17 h ce lundi 24 février 2014. Quelques personnalités de la République sont au Sed: Martin Bélinga Eboutou, le directeur du cabinet civil de la présidence et Martin Mbarga Nguelé, le délégué général à la Sûreté nationale. Le général Elokobi, le délégué régional de la Sureté nationale pour le Centre et le commandant de la légion de gendarmerie du Centre viennent signifier au prisonnier qu’il doit quitter sa cellule. A ce moment-là, Titus Edzoa est tout seul. Il téléphone à son épouse. Geneviève Edzoa arrive au secrétariat d’Etat à la défense et, ensemble, ils prennent le chemin de leur résidence à Simbok. Il est 19h.
Le couple Edzoa prend place à bord d’une voiture de la gendarmerie, escortée par des policiers et gendarmes lourdement armés. Le trajet jusqu’à la maison se déroule sans anicroche. «Je pense qu’ils ont libéré mon père la nuit pour éviter les attroupements. Si sa sortie de prison avait eu lieu en plein jour, on n’aurait pas pu gérer la foule», explique Alain Edzoa.
Prisonnier politique
Titus Edzoa, chirurgien de formation et médecin personnel du président Paul Biya, est tombé en disgrâce en 1997 lorsqu’il démissionne de ses fonctions de ministre de la Santé publique et annonce sa candidature à la présidentielle de cette année-là. Contre Paul Biya, son mentor. Dans la foulée, il est arrêté, tout comme son compagnon et directeur de campagne, Michel Thierry Atangana. Les deux hommes sont accusés de détournement de fonds publics. Ils sont condamnés à 15 ans d’emprisonnement ferme. Beaucoup y voient un procès politique. Edzoa, pensent-ils, a en réalité été châtié pour avoir osé défier le président Paul Biya à l’élection de 1997.
Alors que Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana s’acheminent vers la fin de leur séjour carcéral, de nouvelles accusations de détournement de fonds publics sont lancées contre eux. Au bout du procès, ils écopent en octobre 2012 d’une nouvelle condamnation, bien plus lourde que la première: 20 ans d’emprisonnement ferme ! La thèse de l’acharnement judiciaire et du complot politique s’en trouve confortée. Les organisations internationales de défense des droits de l’homme s’en émeuvent, notamment le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. La France de François Hollande décide de voler au secours de son citoyen Michel Thierry Atangana.
Le 18 février 2014, coup de théâtre: le président Paul Biya signe un décret portant remise de peines. Le texte présidentiel est anonyme et de portée générale. Mais, entre les lignes, il est taillé à la mesure du Français Michel Thierry Atangana. Titus Edzoa en est un bénéficiaire collatéral. Les deux célèbres prisonniers sont libres.
Dans sa résidence de Simbok, Titus Edzoa ne parle pas aux journalistes pour l’instant. «Il ne faut pas gâcher ce moment de retrouvailles. Le moment venu, je parlerai», se contente-t-il de dire. Difficile donc de savoir ce que ce karateka de 69 ans, légèrement diminué par 17 ans de captivité, entend faire de sa liberté retrouvée. Il y a fort à parier qu’il ne s’adonnera pas au farniente. Peut-être donnera-t-il une suite à ses «Méditations de prison».
© Jean-Bruno TAGNE | Cameroon-Info.Net
Après sa libération lundi soir, l’ancien secrétaire général de la présidence de la république a regagné sa résidence à Simbok sous forte escorte.
Il est un peu plus de 23h, ce lundi 24 février 2014. L’ancien secrétaire général de la présidence de la République, condamné en 1997 à 15 ans de prison pour détournement de fonds publics, a quitté sa cellule du secrétariat d’Etat à la défense vers 19h. Sa libération fait suite au décret du président de la République daté du 18 février 2014 portant remise de peines.
Comme surpris par ce qui lui arrive après une si longue attente, Alain Edzoa se jette sur son père après des éclats de rires. Il ne cache pas sa joie. «Papa, tu es désormais un homme ordinaire», lance-t-il à son père, qui sourit. De temps en temps, loin des regards et des oreilles de quelques membres de la famille qui ont accouru après l’annonce de la nouvelle de la libération du «prof», il parle à son fils. De l’intérieur, un petit chant parvient dans la cour. C’est Geneviève Edzoa, l’épouse de l’ancien prisonnier, qui se réjouit de la libération de son mari. «17 ans ! Vous vous rendez compte ? 17 ans ! Comprenez-moi», soupire Alain Edzoa, ému.
Les vrombissements de moteurs, de temps en temps, rompent le silence de cette vaste concession où l’on n’entendait jusque-là que des chants d’oiseaux nocturnes. Ce sont les voitures de cousins, neveux et connaissances du ministre Edzoa. Alain Edzoa, au four et au moulin, est le premier qui accueille tous les visiteurs et les conduit au salon où ils peuvent embrasser l’ancien prisonnier, qu’ils congratulent chaleureusement.
Policiers et gendarmes armés
Vers minuit, deux policiers, gilets pare-balles bien visibles et armés de kalachnikov, arrivent chez les Edzoa. Ils viennent renforcer d’autres éléments de la gendarmerie et de la police qui ont déjà pris position dans la vaste concession broussailleuse et obscure. Officiellement, c’est pour la sécurité de la famille. Titus Edzoa ne semble pas particulièrement agacé par cette présence d’hommes armés chez lui. Il se contente de vivre ce moment de liberté dans le calme, alors que s’achève une journée au cours de laquelle les choses se sont accélérées, plus vite qu’en 17 ans.
Tout commence vers 17 h ce lundi 24 février 2014. Quelques personnalités de la République sont au Sed: Martin Bélinga Eboutou, le directeur du cabinet civil de la présidence et Martin Mbarga Nguelé, le délégué général à la Sûreté nationale. Le général Elokobi, le délégué régional de la Sureté nationale pour le Centre et le commandant de la légion de gendarmerie du Centre viennent signifier au prisonnier qu’il doit quitter sa cellule. A ce moment-là, Titus Edzoa est tout seul. Il téléphone à son épouse. Geneviève Edzoa arrive au secrétariat d’Etat à la défense et, ensemble, ils prennent le chemin de leur résidence à Simbok. Il est 19h.
Le couple Edzoa prend place à bord d’une voiture de la gendarmerie, escortée par des policiers et gendarmes lourdement armés. Le trajet jusqu’à la maison se déroule sans anicroche. «Je pense qu’ils ont libéré mon père la nuit pour éviter les attroupements. Si sa sortie de prison avait eu lieu en plein jour, on n’aurait pas pu gérer la foule», explique Alain Edzoa.
Prisonnier politique
Titus Edzoa, chirurgien de formation et médecin personnel du président Paul Biya, est tombé en disgrâce en 1997 lorsqu’il démissionne de ses fonctions de ministre de la Santé publique et annonce sa candidature à la présidentielle de cette année-là. Contre Paul Biya, son mentor. Dans la foulée, il est arrêté, tout comme son compagnon et directeur de campagne, Michel Thierry Atangana. Les deux hommes sont accusés de détournement de fonds publics. Ils sont condamnés à 15 ans d’emprisonnement ferme. Beaucoup y voient un procès politique. Edzoa, pensent-ils, a en réalité été châtié pour avoir osé défier le président Paul Biya à l’élection de 1997.
Alors que Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana s’acheminent vers la fin de leur séjour carcéral, de nouvelles accusations de détournement de fonds publics sont lancées contre eux. Au bout du procès, ils écopent en octobre 2012 d’une nouvelle condamnation, bien plus lourde que la première: 20 ans d’emprisonnement ferme ! La thèse de l’acharnement judiciaire et du complot politique s’en trouve confortée. Les organisations internationales de défense des droits de l’homme s’en émeuvent, notamment le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. La France de François Hollande décide de voler au secours de son citoyen Michel Thierry Atangana.
Le 18 février 2014, coup de théâtre: le président Paul Biya signe un décret portant remise de peines. Le texte présidentiel est anonyme et de portée générale. Mais, entre les lignes, il est taillé à la mesure du Français Michel Thierry Atangana. Titus Edzoa en est un bénéficiaire collatéral. Les deux célèbres prisonniers sont libres.
Dans sa résidence de Simbok, Titus Edzoa ne parle pas aux journalistes pour l’instant. «Il ne faut pas gâcher ce moment de retrouvailles. Le moment venu, je parlerai», se contente-t-il de dire. Difficile donc de savoir ce que ce karateka de 69 ans, légèrement diminué par 17 ans de captivité, entend faire de sa liberté retrouvée. Il y a fort à parier qu’il ne s’adonnera pas au farniente. Peut-être donnera-t-il une suite à ses «Méditations de prison».