Levée du verrou sur la limitation des mandats présidentiels: Un obstacle à l'alternance démocratique?

Yaoundé,19 Novembre 2012
© Ballaton Fazegue | La Nouvelle

Jules Domtche et Xavier Messe ont, il n'y a pas longtemps, malmené Martin Oyono, le député de l'Océan, au cours d'un débat télévisé. Alors que les premiers fustigeaient la longévité de Paul Biya au pouvoir, l'élu du peuple a déclamé des inepties telles : «le président Biya a-t-il fini son travail?». Le prétendu juriste n'a songé à aucun argument d'ordre juridique pour défendre son «champion». Comme au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), on chante plus qu'on ne pense. Et puis, mesurez avec moi la distance entre la panse et la pensée!


I-Sur l’apologie de la violence

A une époque relativement peu éloignée, celle que les idéologies occidentales ont baptisée «le printemps arabe», je rappelais que «l'insurrection n'est inscrite nulle part parmi les procédés d'alternance démocratique». Un de mes amis me fit alors observer - gentiment d'ailleurs qu'elle reste la seule voie lorsque «toutes les issues du dialogue démocratique sont bouchées». Il me plait, hic et nunc, de le renvoyer au sacro-saint principe latin du «vim vi», c'est-à-dire qu'on «répond à la violence par la violence». Ceci pour la gouverne des thuriféraires de la violence politique qui doivent s'attendre à une riposte véhémente de la part des autres composantes de la société. Sans plus tarder entonner l'hymne enrayé de la victimisation. Dois-je par ailleurs, souligner que dans une République, seul l'Etat dispose du monopole de la violence. Pour en revenir à l'histoire récente du Sénégal, convenons que le peuple sénégalais vient d'administrer à tout ce monde - et à lui-même bien sûr - un démenti formel sur les bienfaits de la violence politique.

Les Sénégalais, en effet, voulaient, à coups de pierres, chasser du pouvoir Abdoulaye Wade, leur ancien président pour avoir, arguaient-ils, modifié la constitution aux fins de se donner une chance de se présenter à nouveau à l'élection présidentielle au grand dam de la limitation des mandats prévue dans la constitution sénégalaise. Des voix sagaces se sont élevées pour rétorquer qu'une candidature à une élection ne se transforme pas de facto en une victoire – même volée. Car, il reste encore au peuple souverain la prérogative d'user du bulletin de vote pour charrier qui il ne veut pas. Cela vient de se vérifier au Sénégal. Des Sénégalais ont affirmé, en effet, avoir plus voulu sanctionner Wade que plébisciter Macky Sall. D'aucuns parmi nous l'avons souhaité, non pas contre Abdoulaye Wade, mais tout juste pour que se vérifie notre théorie suivant laquelle, la limitation des mandats n'est pas consubstantielle à la démocratie. Elle est devenue une composante de la culture démocratique. Le plus important étant que seule la volonté du peuple s'exprime dans le choix de son mode d'existence. Dans le choix de ses dirigeants aussi - si de besoin! L'histoire enseigne le désarroi des Américains, obligés par cette fantaisie nommée «limitation des mandats», à devoir se séparer du président Roosevelt qui, pourtant, faisait l'unanimité. Ils ont dû faire entorse à leur raideur d'esprit pour lui accorder un troisième mandat à titre exceptionnel. Dois-je, dans le même sens, rappeler l'entourloupette dont a voulu user Bill Clinton - un ancien président américain - pour revenir aux affaires (par le biais de son épouse). Pour dire que la voie démocratique régalienne est celle des élections et non celle des barrières artificieuses qui les précéderaient.


Il- Les leçons de l'histoire

De quoi avaient donc si peur les Sénégalais avant cette élection, pour s'exciter autant, au risque d'offrir encore aux vendeurs d'armes de guerre, l'opportunité de venir en expérimenter dans un de nos territoires? Ils redoutaient, semble-t-il, le trucage du scrutin et de ses résultats. Oui. C'est une ritournelle plusieurs fois étrennée. On a même entendu un sportif de très haut niveau l'embrayer à Monrovia, après sa défaite à une élection présidentielle pourtant déclarée régulière par les-donneurs-de-leçons-de-démocratie américains. On aurait espéré plus de fair-play de sa part, étant donné son passé de footballeur aguerri à la compétition. Ceci pour dire que nous connaissons la chanson.

Oui a dit qu'un chef d'Etat ne peut pas perdre des élections qu'il organise? Giscard d'Estaing, alors qu’il était au pouvoir en France, a bien perdu devant François Mitterrand. D'accord, laissons l'Occident de côté. Nicolas Sarkozy, le Hongrois ne vient-il pas de mordre la poussière devant le Hollandais François Hollande? Nicéphore Soglo, pompeusement nommé «Monsieur Banque mondiale» alors président de la République du Bénin a bien perdu un scrutin présidentiel devant Mathieu Kérékou dit «Le Vieux» ; pour venir aux affaires, Abdoulaye Wade lui-même a remporté une élection présidentielle contre Abdou Diouf, président en exercice du Sénégal. Plus proche de nous, en septembre 2011, le 6ème président zambien Michael Shilufya Sata a renversé Rapiah Banda, le président sortant de la Zambie, en remportant l'élection présidentielle. Né en 1937, il en était à sa cinquième tentative, pour avoir perdu quatre fois de suite sans désemparer.

Apparemment, aucun de ces chefs d'Etat ayant «électoralement» perdu le pouvoir pendant qu'ils étaient aux affaires n'avait le secret de la fraude électorale. Certains dirigeants en auraient-ils donc l'apanage? C'est, du moins, ce qu'allèguent les chantres de la «victoire volée». Or, le croire, c'est prétendre que certains humains seraient imbus de science infuse. Ça alors I Et si l'on peut tant arguer de la fraude de l'un, dans ce conteste de suspicion généralisée, il y a lieu d'imaginer que ceux qui en parlent le font avec d'autant d'assurance qu'ils en connaissent les rouages, parce qu'ils la pratiquent eux-mêmes. Car comme l'énonce avec pertinence la sagesse grecque: «le loup, le loup». Qu'il me soit permis de reprendre l'adage entier au profit de ceux qui ne l'auraient pas lu avant : «tel voleur reconnait le voleur; le loup, le loup». Salon des âmes bien pensantes, les peuples dont les chefs d'Etat perdent des élections organisées par eux-mêmes auraient une culture démocratique supérieure à la nôtre. Alors, c'est simple : développons nôtre pour la hisser à leur niveau. Au lieu de nous comporter comme l'élève paresseux qui, toujours, justifie ses échecs en évoquant un mauvais calcul de ses notes par un maître distrait ou mal intentionné. Nous ne nous en porterons que mieux. Ciao.



21/11/2012
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