Lettre ouverte à Paul Biya
A
Son Excellence, Monsieur le Président de la République du Cameroun.Nous
devons enterrer la hache de guerre. Parce que nous sommes certains que
tous les Camerounais aiment leur pays. Paul Biya aussi !
On ne
peut pas nous faire croire qu’il déteste le Cameroun. Cet amour du pays
est exprimé de façon différente par les individus et les sous-groupes.
Evidemment tout cela dépend de l’environnement et de la position dans
laquelle chacun se trouve. Des petits propos comme : charité bien
ordonné commence par soi-même… la chèvre broute là où elle est attachée…
ont fait beaucoup de mal aux pays africains. On en a même fait une
religion dans notre pays. Réalisme politique oblige.
Changer ce régime, urgence signalée
C’est
ainsi qu’on arrive à légitimer l’intérêt personnel face à l’intérêt
national ou public. Sinon comment expliquer que dans un pays où tout le
monde peut avoir à manger, se soigner, avoir des infrastructures et
envoyer ses enfants à l’école, le constat général soit que le Cameroun
recule en permanence. Nous laissons de côté la méthode Coué des
propagandes gouvernementales plus ou moins incantatoires : « tout va très bien madame la marquise... ».
Le phénomène de la corruption, les détournements de fonds et
l’organisation mafieuse de la société tuent les Camerounais tous les
jours. Et pourtant nous avons tout. Mais ceux qui s’adonnent à ces actes
criminels ne se rendent même pas compte qu’ils n’aiment pas leur pays.
Ce n’est pas une leçon de moral c’est une interpellation éthique.
Parce
que faire de la politique c’est d’abord vouloir changer ce qui va mal.
Nous disons depuis 1997, (14 ans !) que notre premier objectif est de
changer de régime politique. Onze partis politiques de...l’Opposition
(le Front des forces alternatives) l’on redit en 2003 ! Certains
comprennent « tuer les anciens, remettre les nouveaux ».Un
jeune camerounais a même parlé d’une sorte de chimiothérapie… Et le
constat est général en ce moment et énoncé de tous bords : le Cameroun traverse une crise mortelle, il est urgent d’intervenir même du côté du RDPC.
Nous
reprenons donc l’assertion qu’il faut changer de régime sinon nous
sommes guettés par différents dangers. Les frappes occidentales comme
l’ennemi intérieur. Devant cette grande inquiétude nationale, et même
internationale (cf. le rapport du FMI…), tout le monde est concerné :
élections ou pas élections. Celles-ci deviennent un non- évènement si
rien ne change avant. Nous allons droit au mur. Ça aussi, nous l’avons
dit quand le RDPC nous a appelés pour évaluer votre politique des
Grandes ambitions... Apparemment tout le monde semble d’accord,
aujourd’hui.
Organisons la réconciliation nationale
Alors
allons à l’essentiel, pour un mieux être et un meilleur
fonctionnement du Cameroun. Ce régime a été décrit dans plusieurs
littératures. Nous- mêmes nous y avons été de notre prose : le Totalitarisme des Etats africains, le cas du Cameroun...
Chacun sait donc maintenant de quoi il s’agit et à quoi s’en tenir.
Ayons la force de sortir de l’Histoire où l’on veut nous enfermer pour
attiser la haine. Parce qu’il y a un point pour lequel nous sommes tous
d’accord : un véritable espace de débat politique doit donc s’ouvrir
(1). Conférence nationale souveraine, Assemblée des peuples camerounais,
période de transition indispensable, renforcement du dialogue avec
toutes les familles politiques, etc....
Organisons la
réconciliation nationale parce que depuis 50 ans, nous sommes dans une
société qui est devenue son propre ennemi : nous sommes dans un pays où
chacun est l’ennemi de l’autre… Ayons le courage cette fois encore
comme nous l’avons eu dans les années 50. C’est Cheik Anta Diop qui me
disait quelques jours avant sa mort : « la première fois que j’ai entendu un africain dire : je veux l’indépendance de mon pays, c’était un Camerounais » !
Il est peut-être temps de commencer à mettre tout ça en place et
d’harmoniser les différentes positions, en fait, d’essayer de sauver le
Cameroun ensemble, sans exclusive, sans condamnation, sans faire couler
une goutte de sang… pacifiquement : il s’agit donc d’organiser ces
assises nationales pour abolir le tribalisme, instituer
l’Etat de droit et reposer la question de notre souveraineté nationale.
L’organisation
de cette grande réconciliation nationale demande une grande volonté
politique et sa mise en œuvre, quelques moyens. Il est connu de tout le
monde que le Pouvoir actuel détient tous les moyens nationaux. Il
incombe donc naturellement aux Autorités de nos pays, se considérant
comme les détenteurs de ce pouvoir, de faciliter la mobilisation pour
cette grande cause nationale. Ce régime organise des élections à grand
frais depuis 50 ans : est-ce que pour une fois, notre pays n’aurait pas
pu faire la différence ? En ce tournant décisif du 3è millénaire,
devant un monde Occidental en perte de vitesse, à bout de souffle et
une Chine tellement gigantesque qu’elle en est devenue plus effrayante
que le communisme, les hommes ne fonctionnent plus que dans la logique
de la mort : partout, la logique marchande ne se réduit plus qu’à tuer
les autres, pour s’accaparer de leur richesse comme le leur reprochait
Hannah Arendt : la seule façon d’avoir, de s’approprier l’Autre c’est de
le tuer...(2)
Pour refonder l’Autre façon de faire la politique
Ils ont dit qu’ils venaient nous « civiliser », puis nous « développer » et maintenant, nous « démocratiser ».
Et nous les avons cru : ils ont pris ça pour de la faiblesse, pire ils
sont vraiment convaincus que la politique ce n’est que ruse, mensonges
et rapports de force.
Qu’éternels enfants, nous ne verrons jamais leurs véritables motivations. J’aurai tellement souhaité qu’on leur montre la voie, pour que dans 50 ans, nos enfants et petits enfants soient fiers de nous comme nous sommes tous fiers aujourd’hui de Ruben Um Nyobè. Pour cela il nous aurait fallu d’abord faire de l’Amour une motivation fondamentale, non plus votre fameuse liberté, qui certes prétend mettre le droit au fondement des communautés humaines.
Malheureusement nous n’en avons aucune expérience puisque nous
n’avons jamais eu des droits ! Ensuite il nous aurait fallu du Courage
pour affronter l’adversité...C’est vrai qu’en 1990, les Camerounais et
des Camerounaises- ceux qu’on appelle le Peuple et dont le destin est de
subir, ont affronté votre Pouvoir pendant des mois, juste pour
s’apercevoir, que pour l’immense majorité d’entre nous, l’extraordinaire
est que nous sommes abolis, dissous dans la représentation de l’ Etat
comme disait Claude Lefort (3). Il faudrait enfin que nous ayons la
culture du Beau. Et ça, cela relève presque de l’impossible quand on
sait d’où nous venons...Car il faut avoir une capacité au superflue très
nécessaire pour accéder à cette gratuité qui fait le fondement de
l’humain.
Cependant, à chaque anéantissement, chaque
extermination, à chaque assassinat, commence toujours une nouvelle vie,
une nouvelle tentative, une lueur d’espoir qui surgit et se met en quête
de son humanité détruite par ce Pouvoir. Il suffirait juste une fois,
une seule fois, comme par le miracle des imprévisibles hasards de
l’amitié et de la sympathie ou encore la grande et incalculable grâce de
l’amour, qui affirme avec Saint Augustin : « je veux que tu sois »,
sans pouvoir donner de raison précise à cette suprême et insurpassable
affirmation pour que dix, quinze millions, peut-être même plus de
personnes basculent du monde du mourir à la vie, sortent de la Vallée de
la mort et renouent avec la créativité humaine.
Comme je
concluais dans ce livre (4)- évoqué plus haut- il y a dix ans : le
totalitarisme au Cameroun, les camps de concentration qui nous tiennent
lieu de pays en Afrique, bien sûr c’est d’abord l’affaire de leurs
victimes et de ceux qui les administrent, c’est-à-dire les gens de ce
pays. Mais comme l’enjeu fondamental ici est la transformation de la
nature humaine elle-même, alors l’existence de ce régime devient
l’affaire de tout le monde. Si des hommes ont été capables d’instaurer
une telle horreur et quand bien même il n’existerait qu’une seule
personne victime de cette expérience de domination, tous les autres
devraient se mobiliser pour en venir à bout, au nom de leur propre
humanité.
Très haute considération.
Douala, le 6 Septembre 2011
Marie Louise Eteki-Otabela
Présidente de la Coordination des Forces Alternatives
Parti politique féministe, légalisé au Cameroun depuis 1997
e-mail : mle_ otabela@hotmail.com
info-line : www.forces-alternatives.com
Notes
1- Cardinal Christian Tumi, Ma foi : un Cameroun à remettre à neuf, éd. Véritas : 2011,chap.2 pp.15-16
2-H. Arendt, L’impérialisme, les origines du totalitarisme, Fayard-Paris 1982, p. 46 et suivantes : la Phrase exacte est : «
la forme de possession la plus radicale, la seule vraiment sûr est la
destruction car les choses que nous avons détruites sont à coup sûr et
définitivement les nôtres. »
3- C. Lefort, Un homme en trop, essai sur l’archipel du Goulag, Paris, le Seuil, 1975 : p.251
4- M L. Eteki-Otabela, Le totalitarisme des Etats africains, le cas du Cameroun, éd. L’ Harmattan-Paris, 2001, p. 474