Lettre du Docteur Thierry Amougou au Docteur Théophile ABEGA : souvenirs d’enfance dans la foulée d’un talent à l’état pur

Thierry Amougou:Camer.be« Théophile ABEGA is dancing Makossa at the round center », est une des multiples envolées lyriques que ton talent tourbillonnant, mystifiant et stupéfiant inspira à Zacharie Nko lors d’un match des Lions indomptables quand, pour Abel Mbengue, la séquence nominale « ABEGA-MBIDA-MILLA-BUT !» était devenue la traduction d’une phase de jeu récurrente précédant un but des Lions et l’explosion de joie subséquente.

Alors que la lettre ouverte comme modalité communicationnelle est généralement adressée à des contemporains encore en vie, je t’adresse celle-ci car tu n’es pas mort dans mon esprit d’enfant rêvant devenir un footballeur et mes premiers pas d’adulte admiratif des talents camerounais du ballon rond.

Tu sais Théophile, autant le Christ est toujours vivant pour ceux qui pensent que sa parole est le chemin du salut, autant tu restes vivant dans la mémoire collective camerounaise et africaine comme l’incarnation d’un talent à l’état pur, d’un style élégant, d’une esthétique du beau jeu et d’un footballeur doué d’une technicité de haut vol.

Docteur, c’est cela rester en vie après sa mort,

ABEGA, c’est cela survivre à la mort,

Théophile, c’est cela être immortel.

Ta vie après la mort ce sont ces souvenirs merveilleux que j’ai plein la tête lorsque que par effluves successives et en mode flash-back, tes dribles, tes passes, tes accélérations et changements de direction et tes buts resurgissent dans ma mémoire et lui donnent l’embarras du choix dans leur classification.

Cher Théophile ABEGA, je n’ai pas besoin de savoir si la vie existe après la vie et encore moins si le paradis existe et si tu y auras une place.

Ce que je sais c’est qu’alors que j’étais à l’école primaire dans un petit village camerounais, j’avais toujours mon poste transistor collé à l’oreille le week-end pour suivre tes exploits au sein du Canon sportif de Yaoundé et des Lions Indomptables.

Ce que je sais Docteur, c’est que toi tu as construit mon paradis ici bas car je dormais heureux après que tu ais permis à notre patrie de remporter maintes victoires.

Ce que je sais c’est que tu as été un artiste du ballon rond et non une star du football car de nombreuses stars actuelles du football ne sont pas toujours artistes du ballon rond.

Ce que je sais Théophile, c’est que ce n’est pas le montant de ton compte en banque et encore moins ton ego démesuré qui peuplent mon esprit au moment où tu t’en vas. C’est plutôt le jeu, le beau jeu et l’esprit d’équipe car tu étais un meneur de jeu, un numéro dix comme notre pays rêve d’en revoir. Pour le dire littéralement par traduction de la langue éwondo, tu étais « un arrangeur » de jeu, mieux « un faiseur » de jeu.

Ce que je sais c’est qu’alors que tu évoluais au Cde Yaoundé, des joueurs camerounais alors professionnels dans des clubs européens prenaient la direction du banc de touche sans rechigner en équipe nationale car tu étais le numéro 10 incontestable et incontesté des Lions Indomptables.

Ce que je sais « Dobra », version tropicalisée de docteur, est que mon poste transistor collée à l’oreille, j’ai joué des matchs avec toi dans ma tête, dans mon esprit de gamin pendant et après ceux-ci.

J’ai vibré en écoutant le lyrisme et l’hyperbolisme verbal inspirés par tes exploits au duo mythique Abel Mbengue et Zacharie Nko.

« Théophile ABEGA is dancing Makossa at the round center », est une des multiples envolées lyriques que ton talent tourbillonnant, mystifiant et stupéfiant inspira à Zacharie Nko lors d’un match des Lions indomptables quand, pour Abel Mbengue, la séquence nominale « ABEGA-

MBIDA-MILLA-BUT ! » était devenue la traduction d’une phase de jeu récurrente précédant un but des Lions et l’explosion de joie qui s’en suivait.

To nom fait ainsi partie d’un temps où les entraîneurs pouvaient dormir en paix sur leurs lauriers et gagner des matchs parce qu’ils avaient un joueur d’exception pouvant ramener le match à l’endroit à n’importe quel moment.

Ton nom est une séquence d’un temps de victoire, d’un Cameroun qui gagne.

Ton nom est un maillon fort du moment de jeu mémorable « ABEGA-MBIDA-MILLA-BUT ! » dans tous les ordres possibles de ce trip type.

Cher docteur, je t’ai donc connu très jeune sans t’avoir jamais vu jouer au football mais t’ayant entendu jouer au football par le vent des tes exploits qui balaya les ondes des radios africaines et mondiales et irradia la mémoire et les rêves footballistiques de la jeunesse africaine toute entière.

Cher Théophile ABEGA, mon CPE en poche, je partis du village pour le Lycée Général Leclerc de Yaoundé. Mon excellente performance au concours d’entrée dans ce Lycée plomba encore plus mes espoirs de jouer au football car mes parents y mirent un véto définitif. Conséquence, tu as continué à être celui dont les « posters » tapissaient les murs de ma chambre de jeune lycéen.

Cher Théophile ABEGA, sais-tu que ce qui me reste de sacré dans ta carrière, n’est même pas la domination outrageante du football africain avec le Canon de Yaoundé.

Ce n’est pas non plus tes exploits en 1982 en Espagne avec les Lions Indomptables et encore moins ton passage à Toulouse en France ou à Sion en Suisse.

Cher Docteur ABEGA, ce qui me reste de toi est le compte-rendu d’un match par un aîné et une action d’école à la CAN 1984.

Un aîné qui assista à une finale Canon-Union me dit un jour que Mbou-Mbou Emile milieu défensif accrocheur de l’Union sportive de Douala t’avait empêché de faire du jeu pendant presque tout le match. Cet aîné me raconta aussi que le coach de l’Union de Douala sortit Mbou-Mbou Emile vers la fin du match qu’il pensait avoir déjà gagné. C’était sans compter avec la profondeur de l’eau qui dort car les quelques minutes qui restaient te suffirent pour que deux passes décisives distillées suite à ton légendaire coup de rein donnent la victoire au Canon sportif de Yaoundé.

Pour moi cher Docteur, l’image qui reste indélébile dans ma mémoire est aussi cette accélération en finale de Coupe d’Afrique des Nations en 1984. Je l’ai vue pour la première fois via une cassette vidéo du match chez un camarade de Lycée. Accélération ponctuée d’un une-deux qui a depuis fait école dans les annales du football africain et mondial. Nous sommes en 1984, le match est difficile et serrée car le Cameroun croise le fer avec le Nigeria, équipe pétrie de talents dont les fameux Clément Temile, Stephen Keshi, Adémola Adeshina et Muda Lawal. Tu es marqué à la culotte depuis le début de la rencontre par le n°14 nigérian nommé Adémola Adeshina. Alors que nous sommes à 1 but partout avec le Nigeria, survint cette action de jeu où, avec ta course caractéristique, tu places une accélération foudroyante. Le n° 14 nigérien te suit à toute allure mais ne voit plus que le dos de ton maillot jaune. Il essaie de te faucher mais tu résistes à sa charge. Tu vois Roger Milla à ta droite. Tu lui adresses une passe de l’extérieur du pied droit, il te la remet immédiatement en mi-hauteur. Alors que tu es en pleine course tu amortis ce ballon difficile pour ne pas dire que tu « le tue » littéralement comme on le dit dans le jargon populaire au pays. L’immense gardien nigérian Okala Patrick sort de ses buts pour fermer son angle et tu réussis à glisser ce ballon en toute finesse dans le coin droit de ses buts. Tu étais au sommet de ton art et tu avais mis le Cameroun au sommet de l’Afrique du football, tu devins ballon d’or Africain cette année-là.

Pour entrer dans la légende, l’exploit appelle sa célébration collective, nous t’avons célébré docteur avec ce trophée.

Toi tu es depuis longtemps entré dans ma légende car tes exploits ont transformé en merveilleuse épopée mythique mes rêves d’enfance, une enfance et une adolescence où tu as incarné le football dans ce qu’il a de génial et d’esthétique du beau geste.

Salut docteur, salut l’artiste, salut « Dobra » merci pour tout.

Les stades de l’Afrique et du monde se souviennent encore de ta classe, de ton style élégant et de ta course aérienne les bras à hauteur du torse comme ceux d’un homme assis sur son clavier d’ordinateur.

Ta POESIE de jeu, ton football MIEL, ton PANACHE dans l’effort, ton IMAGINATION dans l’entrejeu des Lions et du Canon, ton INTELLIGENCE de déplacement entre les lignes, ta FINESSE, ton DRIBLE en pleine course, ton INSPIRATION devant les buts, et Théophile ABEGA tu sais, ton HUMILITE et ton CALME légendaires, sont un fabuleux cadeau que tu laisses aux Camerounais.

Tu es donc toujours vivant Docteur ABEGA.

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, Université catholique de Louvain


19/11/2012
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