Les sept départs de feu d’une fin de règne: conjectures sur l’avenir du Cameroun

BRUXELLES - 01 MARS 2013
© Thierry AMOUGOU | Correspondance

Questionné dernièrement en France par un journaliste sur la problématique de l’alternance au Cameroun, Paul Biya, Président camerounais depuis 1982, a répondu par une question : « Ai-je l’air si fatigué ? ». A cette question en guise de réponse à une autre question a succédé : « Alors évidemment, personne n'est éternel». Ces deux bouts de phrases que la propagande a utilisés pour narguer l’opposition en disent long sur la conception de l’alternance par le Renouveau National : c’est la mort du Prince qui passera le relai à quelqu’un d’autre. En outre, autant le Biyaïsme est irrationnel parce que non préalablement pensé mais rendu possible par une contingence historique, autant « ai-je l’ai si fatigué ? » est une preuve que le pouvoir de l’homme du 6 novembre 1982 est lié au regard des autres sur lui et non à son propre regard sur lui-même. La logique de départ, c'est-à-dire avoir été désigné Président du Cameroun par quelqu’un d’autre, est la même que celle de la fin : attendre que d’autres et les facteurs externes à lui-même confirment sa fatigue. C’est tout le contraire du Pape Benoit XVI qui, en déclarant, « je n’ai plus la force », n’a pas attendu l’avis des autres pour laisser son pouvoir politique et religieux. Il s’est appliqué à lui-même un principe de réalité temporelle en montrant ainsi que l’alternance au pouvoir ne dépend pas seulement des institutions démocratiques en place, mais aussi et surtout de l’existence ou non de l’excellence politique chez le leader. Contrairement à la médiocrité qui entraîne le leader à se penser comme fin de l’histoire du pays ou de l’institution qu’il dirige, l’excellence politique implique, grâce à une élévation d’esprit, à se considérer comme un maillon temporaire d’une articulation de l’histoire d’une institution ou d’un peuple. La fin du Renouveau National ne peut donc en aucun cas venir de son leader lui-même, il en est complètement incapable car sa naissance n’est pas non plus de lui-même mais uniquement de l’initiative des autres. Voici donc, en dehors du Président qui attend la mort pour confirmer à jamais sa médiocrité politique, les sept départs de feu qui encerclent désormais le régime et déterminent l’avenir du Cameroun.


• 1er départ de feu: l’âge avancé du Prince et sa gestion pour conserver le pouvoir

« Alors évidemment, personne n'est éternel » dit Paul Biya pour signifier aux Camerounais que seule sa condition de mortel mettra fin à son pouvoir. C’est donc en premier lieu de la gestion d’un élément exogène inévitable, à savoir la mort du Prince, que dépend l’alternance au pouvoir au Cameroun. C’est à se demander de quelle démocratie parle Biya depuis 1982 s’il faut attendre qu’il passe de vie à trépas pour que l’alternance puisse être envisagée. C’est la mort qui dira qu’enfin Paul Biya est fatigué. C’est la fin naturelle qui permettra au pouvoir de changer de main, illustration d’une médiocrité de trente ans passés à claironner son statut de démocrate auréolé d’un complexe du salvateur. Dans la mesure où l’historique de l’exercice du pouvoir de ses pairs africains a montré des morts subites, le corps du Prince attendant que les autres lui disent qu’il est fatigué (cas d’Omar Bongo ou d’Eyadema), cette éventualité devrait se penser de deux façons : soit Biya est malade longtemps à l’avance au point où son entourage anticipe et désigne un successeur en faisant les modifications constitutionnelles et en prenant les mesures sécuritaires que cela impose comme ce fut le cas au Togo. Franck Biya étant ici en ballotage favorable pour assurer la continuité du Biyaïsme. Soit Biya n’est pas malade de façon visible et meurt subitement comme cela peut arriver à tout humain du quatrième âge. Suivant cette conjecture la mort doit être cachée aux populations pendant un laps de temps afin d’organiser comment cadenasser la succession du Prince. C’est le modèle Ali Bongo qui semble aller avec cette hypothèse.



• 2ème départ de feu : le jeu de Chantal Biya, la moitié du Prince

Chantal Biya dont l’influence dans l’entourage du Président et sur le Président Biya lui-même n’est plus à démontrer, peut, malgré le fait qu’elle ne possède aucun pouvoir constitutionnel au Cameroun, jouer un rôle central dans la gestion de la fin de vie de Paul Biya et, ainsi, dans la transition du pouvoir politique au Cameroun. Non seulement c’est elle qui détient l’information primordiale sur les vrais paramètres de la santé de Biya, c’est aussi elle qui peut, aux premières heures d’une mort subite ou d’une dégradation de santé, jouer de son influence pour favoriser une alternance au profit de X ou de Y suivant ses rapports avec X et Y à cet instant-là. Ce ne sera pas inédit que le Cameroun demeure le Cameroun en faisant dépendre l’avenir du pays de la décision de la première dame soutenue automatiquement par certains caciques du pouvoir qui peuvent cautionner une telle stratégie anticonstitutionnelle afin de préserver leurs multiples privilèges. Le rôle de ceux qui commandent les hommes en tenue est donc fondamental dans une telle éventualité. Si la modification constitutionnelle de 2008 est passée via la répression des populations par l’armée camerounaise, la même armée peut neutraliser toutes contestations en pareille situation.


• 3ème départ de feu : les ambitions et rivalités internes au pouvoir

Les deux conjectures sus évoquées sont complètement dépendantes de la continuité de l’équilibre instable et délétère qui existe entre les différents membres performants de la mangeoire nationale. Les « créatures » du premier cercle du « créateur » lorgnent toutes le pouvoir exécutif et se regardent en chiens de faïence encore disciplinées car elles savent que le Prince, machiavel incarné, frappe mortellement quiconque dégaine le premier en déclarant son ambition de diriger le pays à sa place. Plus l’âge de Biya avance, plus l’équilibre instable entre ses plus proches collaborateurs encore en liberté va se rompre pour dégénérer en guerre ouverte pour le pouvoir exécutif. La première dame et l’armée sont encore des facteurs clés de cette guerre intestine qui irait du palais présidentiel aux ministères en passant par l’armée nationale avec le risque de fractionner le pays en factions politiques rivales se disputant le pouvoir en batailles rangées au sein de l’élite au pouvoir, de l’administration et du RDPC. Le combat politique meurtrier de la scélératesse des esprits pour contrôler le RDPC et le pays va certainement débuter avant la fin de l’actuel mandat du Renouveau. Même si Biya désigne quelqu’un à la tête du RDPC, la légitimité du désigné ne résistera pas longtemps. L’alternance au Cameroun, à l’instar de la Côte-d’Ivoire, peut donc passer par une guerre interne entre ceux qui sont déjà au pouvoir depuis trente ans. L’expérience ivoirienne montre que ce sont toujours les populations qui paient la note au prix fort : quand les éléphants se battent les herbes en pâtissent.


• 4ème départ de feu : les hommes en tenue et la crédibilité des armes

Une arme qui tire à balles réelles tue toujours. Ce sont les armées qui possèdent et gardent la crédibilité éternelle, celle des armes. Il peut arriver que les interventions intempestives de la première dame dans les coulisses pour orienter le transfert du pouvoir exaspèrent l’armée et fassent des mécontents en son sein. Il est aussi possible que la guerre de succession au sein de l’élite au pouvoir mette le pays en situation d’instabilité au point d’obliger l’armée camerounaise à neutraliser les institutions républicaines afin de mettre tout le monde d’accord et de décréter la fin du grand fatras par la force des armes. Ce serait une première au Cameroun. Elle ne serait pas automatiquement négative si cette armée met en place une commission électorale indépendante et organise des élections libres et transparentes. La situation peut être plus chaotique étant donné, non seulement les divisions actuelles au sein de cette armée, mais aussi le fait que la population camerounaise, parfois chasée comme des lapins, lui accorde peu de crédit.


• 5ème départ de feu : la stratégie des hauts dignitaires embastillés

Un autre départ de feu est dans la prison centrale de Yaoundé. Le fait que le Prince veuille mourir au pouvoir n’est pas étranger à son désir ardent de ne pas vivre la vengeance possible de ceux qu’il a faits des prisonniers à vie. Ceux-là, fortunés et puissants, nourrissent une vengeance féroce tantôt muette dans le style Edzoa Titus, tantôt déclarée style Marafat. Ces fortunés et influents emprisonnés sont aussi des pièces incontournables dans l’avenir politique du pays car il est certain qu’un nouveau pouvoir pourrait les sortir de prison et que la guerre qui va s’enclencher contre leurs pairs complices de leur incarcération risque d’être titanesque, la vengeance étant un plat qui se mange froid en poursuivant le crime. Qu’un ancien du pouvoir en place devienne Président n’est donc pas très rassurant pour le Cameroun si celui-ci a participé aux stratagèmes qui ont mis en prison ses collègues : ceux-ci vont le lui faire payer s’ils sont encore en liberté et en vie. On ne chasse pas l’ennemi du dedans, on l’extermine disait Robespierre à Danton.


• 6ème départ de feu : la montée du populisme ethnique

Le fourvoiement cinquantenaire de la République camerounaise dans le paradigme du pays organisateur et le primodialisme clanique qui en résulte ont mis en position favorable un raidissement identitaire comme ultime recours politique et social des laissés-pour-compte. Il en résulte à la fois un populisme ethnique consistant à exalter son ethnie et sa position victimaire pour se créer une crédibilité politique, et des revendications ethno centrées d’un fédéralisme dont le but final est de détruire la citoyenneté camerounaise par le slogan chacun chez lui et le pays pour tous. Ce départ de feu est à l’origine d’une entropie communautaire se construisant à rebours de l’idéal républicain. Dès lors, si Chantal Biya réoriente le pouvoir exécutif vers le Sud (Bétis) ou vers le Nord du pays (Peuls), si l’armée s’accapare du pouvoir et le cède à un homme du Sud ou du Nord, si les luttes intestines au sein du pouvoir actuel réactualisent l’axe performant Nord-Sud comme l’axe dominateur du champ politique camerounais, alors les Anglophones et les Bamilékés qui se considèrent à tort ou à raison comme ceux dont le tour est enfin venu de diriger le pays, ne seraient pas au même diapason. Le populisme ethnique est donc une donnée qui, en cette fin de règne, peut mettre le pays à feu et à sang à cause d’une forme de libéralisme communautaire dérivant en concurrence ethnique de nature antirépublicaine. La note de Mgr. Bakot et les escarmouches de Douala ont montré le potentiel destructeur de ce populisme ethnique ferment d’un fascisme politique en gestation.


• 7ème départ de feu : la nouvelle opposition

La liberté est une charge dont nous devons nous montrer dignes après le Renouveau National. La nouvelle opposition camerounaise à savoir les organisations de la société civile camerounaise, la jeunesse associative, militante et critique, la presse engagée et indépendante et les diasporas camerounaises doivent travailler à un aggiornamento de la chose publique et de l’exercice du pouvoir. La critique radicale que rencontre Paul Biya à l’intérieur du pays et à l’extérieur du Cameroun est le résultat immédiat du travail de cette nouvelle opposition. Elle doit, afin de proposer du nouveau, faire une évaluation critique du pouvoir en place et son opposition traditionnelle afin de définir les nouvelles bases d’un échiquier politique camerounais attractif pour les populations. L’âge du Prince avançant inexorablement, l’heure n’est pas à la recherche tous azimuts du pouvoir en oubliant de tirer les conclusions des expériences vécues. Ce départ de feu ne peut être un contre-feu à l’utopie personnelle que vit le pays depuis cinquante ans que si l’intelligence organisationnelle de la nouvelle opposition réussit à tracer les sentiers d’un champ politique qui s’occupe à résoudre les problèmes des Camerounais. L’heure n’est nullement à une névrose de la mémoire mais à une actualisation des combats des héros camerounais dans le monde actuel afin de trouver des remèdes aux problèmes contemporains d’un pays jeune et richement doté.

Thierry AMOUGOU,
Enseignant-chercheur,
Université catholique de Louvain,
Belgique



02/03/2013
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