Pour bien comprendre l’affaire Kinguè, il faut partir du début quand, enfant de Penja, fils de veilleur de nuit, il a vécu la paupérisation. Et pourtant, il y faisait bon vivre, à Penja, avant que les petits planteurs soient expropriés (et on sait ce qu’expropriation voulait dire dans les années 60) pour laisser place à de puissants groupes agro-industriels français. Les habitants de la région n’ont plus eu alors d’autre choix que de devenir ouvriers agricoles, sous-payés, travaillant pour certains jusqu’à quinze heures par jour dans des conditions déplorables, dans des nuages de pesticides et de fongicides déversés à tout va, dont l’usage semble pourtant interdit partout dans le monde tant ils sont nocifs… sauf au Cameroun !
Sur le territoire de la commune de Ndjombé et Penja, PHP, SPM et CAPLAIN se partagent le copieux gâteau de l’exploitation de la banane pour bien peu de retour aux populations, avec la complicité intéressée de quelques autorités, comme le soulignait F.Pigeaud en 2009 dans une enquête et citait en exemple une élite locale : « je suis payé chaque mois par la PHP, le sous-préfet et le préfet aussi… », et de pointer du doigt un député du parti au pouvoir, un ministre, et notant des indices permettant de penser que SEM Biya serait actionnaire de PHP.
Devenu jeune homme, Paul Eric Kinguè et quelques autres s’étaient promis d’essayer de faire quelque chose pour améliorer le triste sort de la population. PEK, foncièrement légaliste, choisit la voie politique. Fermement décidé à arriver à ses fins, il adhère au RDPC. A ceux qui s’en étonnent, il répond : « Je pense n’avoir jamais reçu de ce parti aucune doctrine de destruction. Il existe dans ce parti des responsables plus proches de Dieu que du Diable. Seulement, les rapports de force en son sein finissent toujours par donner raison aux serviteurs du Diable, c’est-à-dire à ceux-là qui ont volontairement vendu leur âme devenant des serviteurs irréversibles du mal ». En 2002 (à 36 ans) il est élu maire et député, mais son parti refuse de l’investir. Réélu le 22 septembre 2007, il opte pour la fonction de maire.
D’emblée, il entreprend le nettoyage des dépenses injustifiées de la commune : faisant fi des menaces du préfet du Mungo de l’époque, il dénonce les frais fictifs du préfet, du sous-préfet et de sa secrétaire et de son chauffeur. Mais surtout, il somme PHP, SPM et CAPLAIN de payer les taxes communales dont elles ont toujours été inexplicablement exonérées jusqu’alors. Et c’est là que commence l’affaire Kinguè.
Ayant refusé de se laisser corrompre (du jamais vu !), PEK est devenu l’empêcheur de danser en rond, l’homme à éliminer.
Une première tentative maladroite échoue : il est accusé d’être resté assis lors de la fête de la jeunesse, le 11 février 2008 et son arrestation est prévue, mais PEK déjoue ce grossier mensonge grâce à une vidéo irréfutable.
A la fin de ce mois, les émeutes de la faim de triste mémoire provoquent des troubles graves à Penja réprimés dans le sang, comme dans tout le pays. Les bananeraies sont saccagées par la jeunesse en furie. Voilà le prétexte tout trouvé. Le 29 février, alors que la tension est retombée, la population médusée assiste impuissante à l’arrestation de son maire. « Un fort dispositif militaire a été déployé pour cette opération, appuyé par une puissante logistique : six pick-up de la gendarmerie et douze camions bourrés d’hommes en treillis, armés jusqu’aux dents. Des coups de feu en l’air pour dissuader les partisans du maire, au cas où ceux-ci se montreraient hostiles » (Théodore Tchopa, le Point du jour).
Jugé arbitrairement, en dépit des lois, pour complicité de pillage en bande, destruction, vol aggravé, actes de vandalisme, formellement reconnu par de faux témoins comme commanditaire et surpris à haranguer les jeunes… et on en passe, PEK écope de six ans de prison assortis de sommes considérables pour dédommager les bananeraies pour les dégâts causés. Pourtant, aucun des 22 témoins à charge et préalablement préparés par le Parquet n’a déposé contre lui, et encore moins ses 30 co-accusés. L’un d’eux (Ambomo Guy Modeste) avouera même plus tard avoir menti sous les pressions et les promesses.
Sentant ce jugement non fondé juridiquement et susceptible d’être qualifié de "politique", il lui est collé un autre procès sur le dos, tout aussi fantaisiste mais faisant plus « délit de droit commun » : détournement de 1 400 000 Fcfa ensemble avec trois autres personnes (ça fait donc 350 000 Fcfa chacun) qui ont servi pour la fête (obligatoire) de son investiture comme maire. En fait, il ne s’agit pas d’un quelconque détournement d’argent, mais il est reproché à PEK d’avoir engagé cette somme sans autorisation du préfet, ce qui n’était d’ailleurs pas nécessaire.
Plus tard, en mars 2009, sentant sans doute que les deux premières inculpations ne tiennent absolument pas la route, un autre procès lui est encore ajouté, portant sur 4 960 000 Fcfa qu’il aurait « détournés » en faisant installer l’eau dans le bâtiment communal. Tout aussi faux que les deux précédents: allez vérifier, l’eau coule bien des robinets à la mairie de Penja à la grande satisfaction de tous!
Pour le premier procès (les événements de 2008), PEK a fait appel de sa condamnation à 6 ans et à 850 000 000 Fcfa d’amende. Au terme d’une interminable procédure honteusement dilatoire (25 renvois rien que pour constituer le tribunal), alors qu’on s’attendait à un acquittement pur et simple puisque rien ne pouvait être retenu contre lui, le tribunal l’a quand même condamné à trois ans et l’amende ramenée à 645 000 Fcfa. « Pour ne pas faire perdre la face à l’État », avouera le juge en aparté. Trois ans parce qu’il a osé réveiller les consciences de ces populations exploitées et opprimées par les bananeraies françaises… Il a fait appel, en Cour Suprême.
Dans le deuxième procès, le détournement de 1 400 000 Fcfa pour lequel il a été condamné à 10 ans sans avoir été entendu ni invité au procès, PEK est actuellement en appel. Depuis juillet 2010, audience après audience, le Ministère Public joue au chat et à la souris. Aucune preuve matérielle, ce qui est étonnant dans une affaire de simple comptabilité, seulement quelques témoins qui ont brillé par leurs mensonges tellement flagrants que même le Procureur en était parfois gêné.
Cette fois, un collectif d’avocats étrangers bénévoles d’AFD International est venu épauler Maître Manfo pour lui éviter les humiliations qui lui ont été infligées précédemment. On sait le soin que portent les Autorités camerounaises à donner au monde entier (et donc aux éventuels investisseurs étrangers) l’image d’un parfait État de droit. La seule présence des avocats d’AFDI incite dès lors la magistrature à se montrer correcte et PEK espère ainsi bénéficier enfin du jugement équitable qu’il réclame, dans le strict respect des lois de son pays.
Mais il semblerait que le Ministère Public ne l’entende pas de cette oreille, et recommence à faire traîner les choses en obtenant renvois d’audience sur renvois d’audience, dans l’espoir sans doute que les avocats finissent par jeter le gant. Il est en effet lourd financièrement pour eux de devoir constamment laisser leurs affaires respectives en Europe pour faire des aller-retours incessants au Cameroun… et les voyages ont un prix !
C’est pourquoi le Groupe de Soutien à Paul Eric Kinguè lance un appel à tous ceux qui veulent aider PEK dans le bras de fer qui l’oppose à la puissante "mafia" à laquelle il fait bravement face. Vous trouverez en fin d’article les renseignements à ce sujet.
Vaincre en justice est le seul moyen pour lui d’être légalement réhabilité, et son vœu le plus cher est aujourd’hui de se représenter aux prochaines législatives pour continuer aux côtés des siens le combat engagé, mais loin d’être achevé.
En effet, à ce jour, bien qu’en décembre 2007 la Direction Générale des Impôts ait supprimé l’exonération fantaisiste dont jouissaient PHP, SPM et CAPLAIN, ces entreprises n’ont toujours pas payé les taxes qu’elles doivent à la commune. Les humiliations, menaces de mort, tortures physiques et surtout morales qu’il a subies (sur lesquelles nous ne reviendrons pas par pudeur) ne sont pas venues à bout de lui et, même emprisonné, PEK continue de rugir comme un lion en cage : il a dernièrement dénoncé ces faits à la CONAC en accord avec Transparency International, et envisage d’aller en Justice contre ces sociétés et le ministère concerné.
Les enjeux sont importants, et on en a pour preuve les remous que l’affaire Kinguè provoque à tous niveaux et même, paraîtrait-il, jusqu’à Paris. Car, dans le cas où ces sociétés devraient payer les taxes dues comme la loi les y oblige, d’autres grosses multinationales pourraient trembler partout au Cameroun et revoir leurs arrangements à l’amiable avec certaines Autorités trop complaisantes…
Et d’autre part, si PEK obtient d’être jugé équitablement pour les fautes qui lui sont officiellement reprochées, ça risquerait de faire jurisprudence et d’enrayer le système des procès « bidons » qui maquillent souvent maladroitement les affaires politiques en délits de droit commun.
Prochaine audience le 30 janvier, avec peut-être un acquittement à la clé. Mais nous attendons avec grande inquiétude le verdict dans le 3ème procès en cours à Nkomgsamba, celui concernant le soi-disant détournement d’argent pour l’installation d’eau à la mairie, procès auquel ni PEK ni sa défense n’ont été entendus.
Courage, PEK, nous sommes nombreux au Cameroun et partout dans le monde à te soutenir.
Soyez actifs aux côtés de PEK, vous pouvez aider les avocats internationaux à continuer de le défendre en apportant votre contribution aussi modeste soit-elle sur le compte : AFD (AFD International) – IBAN : BE18 132 5227257 65 - BIC : BNAGBEBB avec mention : « pour PEK ». ( visible sur le site afdinternational.org )