Paul Eric Kingué. L’ex-maire de Njombé Penja dit payer le prix de son opposition à l’expropriation des populations.Le 29 février 2008, la tension était retombée dans la petite localité de Penja, au sud du département du Moungo. Ce coin de la région littorale du Cameroun, réputé pour son potentiel agricole, revenait de loin, comme de nombreuses autres villes du pays : quatre jours de manifestations contre la faim et la vie chère, orchestrées par une jeunesse frustrée contre les interminables promesses non tenues de ses dirigeants, des roues de voitures brûlées sur la chaussée, des scènes de pillage à la Société des plantations du Haut Penja (Php) et chez certains cadres de cette société, la riposte musclée des forces de l’ordre et de l’armée, suivie de morts d’hommes.
Alors que l’on croit ce feuilleton à jamais clos, les populations, contre toute attente, vont assister ce jour, impuissantes, à l’arrestation de leur maire, Paul Eric Kingué. Un fort dispositif militaire a été déployé pour cette opération, appuyé par une puissante logistique : six pick-up de la gendarmerie et 12 camions bourrés d’hommes en treillis, armés jusqu’aux dents. Des coups de feu en l’air pour dissuader les partisans du maire, au cas où ceux-ci se montreraient hostiles. Kingué, «tel un vulgaire malfrat », est sorti de sa salle de bain, où il s’était retranché ce jour-là.
Il s’est rendu, non sans avoir préalablement reçu l’assurance d’un haut gradé de l’armée camerounaise, qu’il avait eu le temps de joindre au téléphone. Il raconte que «le général » lui a promis qu’il allait demander le désarmement des soldats massés devant la cour du maire, ce qui aurait été fait. Il ajoute que ces éléments, sous le commandement du Lieutenant-colonel Ngueté Nguété, alors commandant du groupement de gendarmerie de Nkongsamba, avaient l’intention de l’éliminer physiquement.
Kingué était vêtu d’une modeste chemise et d’un pantalon inappropriés pour les sorties. Il a été ensuite embarqué dans l’un des pick-up, et conduit à Nkongsamba, sous le regard passif de ses proches. Le maire a passé sa première nuit dans la cellule de la brigade de gendarmerie territoriale de Nkongsamba.
Pour beaucoup d’observateurs de la scène politique nationale, le régime du président Biya voulait, à travers cette théâtralisation de l’arrestation de Kingué, présenter ce dernier comme un vulgaire justiciable.
Pendant sa détention à la prison principale de Nkongsamba, Kingué a écrit plusieurs fois aux autorités de la République, dont le chef de l’Etat. Les correspondances les plus retentissantes sont celles rédigées entre la fin mars et le mois de juin 2008, destinées au président de la République.
Dans sa première lettre, le maire dénonce les conditions de sa garde à vue, jugées inhumaines : reclus dans une pièce sombre, trois et souvent quatre gendarmes pour veiller à l’entrée de sa cellule nuit et jour, interdiction de visites et rupture de communication avec le monde extérieur, peur d’une élimination physique, etc. La preuve patente, selon des observateurs avisés, que le régime voulait présenter ce « détenu politique » comme un détenu de droit commun.
A ce moment seulement, l’opinion nationale et internationale, prise à témoin, commence à comprendre le lien entre les déboires judiciaires du maire et son combat politique.
Le détenu attire également l’attention du chef de l’Etat sur son limogeage, contenu dans un décret lu sur les ondes de la radio et télévision nationales, le 02 juin 2008.
En effet, avant son interpellation et sa mise sous
mandat de dépôt, Paul Eric Kingué était maire de la commune de
Njombé-Penja. Il a été élu le 22 septembre 2008. L’article 94 de la loi
de 2004/18 fixant les règles applicables aux communes, dans sa section 3
portant suspension, cessation
des fonctions et substitution de l’exécutif communal, précise à ce sujet
: « En cas de violation des lois et règlements en vigueur ou de faute
lourde, les maires et adjoints, après avoir été entendus ou invités à
fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés,
peuvent être suspendus par arrêté du Ministre chargé des Collectivités
Territoriales pour une période n’excédant pas trois mois ».
Le concerné n’a jamais été entendu, aux dires de son conseil. Le silence manifeste du chef de l’Etat, face à cette pluie de sollicitations, pour peu qu’on s’y attarde, n’est pas innocent.
Nos sources révèlent que le premier Camerounais est bien informé des démêlés judiciaires de l’ex-maire de Njombé-Penja. L’arrivée de Kingué à la tête de la commune avait, pourtant, charrié beaucoup d’espoirs parmi les populations de Penja. Mais sa popularité n’était pas appréciée à l’unanimité.
Dès sa première réélection comme président de la sous-section de Penja Ouest en 2002, fonction qu’il occupait depuis 2000, Kingué accuse la Php de s’être approprié toutes les terres riches de Penja, au détriment des riverains.
Devenu maire en 2008, il somme tous les grands propriétaires terriens de payer leurs taxes. Courant 2005, Kingué s’est attaqué à l’exécution d’une décision de la Cour suprême, ordonnant l’expulsion de près de 20 000 personnes résidant au lieu dit Nkompita, dans la zone de Njombé-Centre. Il en rajoute ainsi à la liste de ses ennemis : la plupart des témoins à charge dans le procès lié aux émeutes, sont des adversaires politiques de kingué. Ce qui fait dire à Me René Manfo que le procès de son client est un règlement de comptes politiques.
Du temps où il faisait ses premiers pas dans la politique, l’ex-chef de l’exécutif communal bénéficiait d’appuis solides dans l’appareil de l’Etat. Il a pour parrain Joseph Charles Doumba, ci-devant secrétaire général du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Ce dernier est le père de Philippe Bertoua, avec qui Kingué a entretenu de bonnes relations autrefois.
Si,en 2001, ces réseaux ont aidé à la réhabilitation de Kingué dans sa fonction de président de la sous-section, quelque temps seulement après sa suspension par le président de la section Rdpc Moungo sud, Daniel Ngolè Mbanga Moh, ils n’ont pas pesé contre l’arrestation du maire, aujourd’hui accablé par une pluie de procès.
Au bout de cette démarche, le maire écope de trois condamnations, l’une de six ans, pour complicité de pillages en bande, l’autre de 10 ans, pour complicité de faux et usage de faux en écriture.
Il n’a encore purgé que trois de ces nombreuses années