Les populations d'Ebolowa en colère contre Paul Biya

Le Messager

La pilule du report de ce grand événement du monde agricole est dure à avaler par les natifs de cette localité. Conséquence : les activités commerciales exercées dans la ville en ont pris un sérieux coup.



« Le Sud sous de nouveaux horizons, à l'ère des grandes ambitions. Les producteurs initiateurs de la réimplantation de la culture du riz dans la région du Sud Cameroun remercient du fond du cœur son excellence Paul Biya pour sa présence au comice agro-pastoral ». La banderole qui porte ce message à l'image des dizaines de pancartes floquées à l'effigie du chef de l'Etat, trône encore un peu partout dans la ville d'Ebolowa. Cela va faire trois semaines qu'elles y sont fièrement hissées. C'était sans compter que le « premier agriculteur de la République » ferait faux bond aux populations de la ville hôte du comice. Du coup, demander à un habitant ici comment est-ce qu'il a accueilli la nouvelle du report de cet événement, sonne un peu comme une provocation qui peut avoir pour répercussion des insultes ; si ce n'est plutôt une malédiction. « Si vous tenez à célébrer la nouvelle année sans problème, abstenez-vous de poser cette question à ceux que vous croiserez en chemin ». Conseil d'un vieillard au reporter du Messager qui a voulu en savoir un peu plus. Ce patriarche rencontré à la chefferie traditionnelle de 3ème degré de Ngalane ce 30 décembre 2010 sait très bien de quoi il parle. On comprend donc que le fameux communiqué de la Présidence de la République, signé de son secrétaire général, Laurent Esso, et publié lundi 14 décembre 2010, est loin d'avoir quitté les esprits de ces valeureux éleveurs et agriculteurs qui étaient déjà tout excités de prendre part à ce rendez-vous du monde paysan, initialement prévu du 09 au 15 décembre 2010.

L'espoir et l'enthousiasme que nourrissaient ceux-ci depuis que Paul Biya a jeté son dévolu sur la localité, ont progressivement cédé place à une profonde désolation et même à la colère chez certains. Ceux des mécontents qui acceptent même de se prononcer sur le sujet qualifient ce report d'insulte à l'intégrité des populations de la « ville située sur la colline du chimpanzé pourri ». En ce sens qu'« on n'était pas obligé de nous mettre du sucre à la bouche en annonçant une date qu'on ne pouvait pas respecter. Et bien même qu'elle doit être reportée, on nous l'annonce lorsque nous sommes déjà prêts. Ça leur coûtait quoi d'être honnêtes avec nous ? C'est une façon de nous manquer de respect. A leurs yeux, nous ne valons rien », tempête Hermann Ondoua, vigneron. Et de poursuivre, « nous nous apprêtions pourtant à faire de cet événement un succès monumental. Maintenant, je ne crois pas que cela puisse être possible car les populations sont découragées et blessées dans leur amour propre. Vous verrez de vous-même : ce qui se tiendra en janvier prochain n'aura plus la même coloration que celle que nous réservions en décembre ».

Exposants désemparés

A la gare routière de New-Bell, comme à Ekombitié, à Mendamessaman, ou à Mbanga où se développent depuis des années des activités commerciales très courues, certains commerçants dont les recettes n'ont pas été bonnes pendant la fête de Noël ont tôt fait d y trouver un coupable : le report du comice.  Ambiance similaire dans les boutiques, les stations à essence, les hôtels et certains lieux de commerces. La clientèle qu'on connaît souvent pléthorique en pareille circonstance avouent-ils, a considérablement tari parce que les populations courroucées ont préféré rester chez elles. Chez les bayam-sellam, c'est l'amertume totale. « Le plantain, les légumes et les tubercules qui s'arrachent généralement comme des petits pains sont déjà en train de sécher, faute de clients », se lamente une revendeuse à New-Bell. La confusion et le regret se lisent sur la face de certains exposants qui ont dû à contrecœur se consoler, en acceptant d'exposer leurs produits à la foire agro-pastorale régionale du Sud qui s'est tenue dans la ville du 22 au 23 décembre 2010. Tomates, choux, pastèques, légumes et autres agrumes étant tous des produits périssables, ceux-ci n'avaient vraiment pas le choix. « Nous étions obligés d y prendre part car nos produits commençaient à pourrir. Nous avons trouvé juste de les liquider que de tout perdre. Et même comme cela, ça n'a pas été facile de les laisser à vil prix car ce n'était pas l'affluence chez les clients», confesse Célestin Adjou Avom, agriculteur venu de Ngoazip, un petit village situé à 30 km de Ngalane, site du comice.

A Ngalane justement, l'entrée principale est bloquée par un cordon de sécurité. Des vigiles en assurent la garde jour et nuit. Ici, la nouvelle du report semble avoir été très bien accueillie parce que cela permet aux ouvriers de parachever les travaux de déplacement du réseau d'eau potable d'Ebolowa sur le tronçon de la route du Centre de jeunesse jusqu'au village proprement dit. La preuve, une demi dizaine de pick-up vont et viennent, chargés d'une petite citerne remplie d'eau. Le site qui s'étend sur près de 40 hectares est couvert de stands. Fruit de la fondation Inter-Progress, opérateur mandaté par la Commission nationale d'organisation du comice.  Même si l'accès y est strictement interdit pour le moment, le visiteur peut, de l'extérieur, apercevoir ces espaces de démonstration conçus pour les filières de référence de l'agriculture et de l'élevage. On peut aussi voir la grande place des fêtes au milieu duquel trône un podium géant pour les artistes, et des tribunes pour accueillir le public. Un peu plus loin, l'espace prévu pour la restauration subit quelques légères retouches. C'est dire que le site comme une femme enceinte n'attend plus que la « vraie date » de cet accouchement dont la grossesse dure depuis... 22 ans.

 

Chronique d'un Comice au rabais

Chacune des grandes régions géographiques du Cameroun a ses spécificités. Au juste, qui a pensé organiser des comices d'envergure nationale là où le Grand nord, le Grand ouest, le Grand sud, le Grand littoral, le Grand est auraient pu faire des rencontres rurales décentrées pour les paysans locaux ? Le Cameroun est tellement grand et diversifié que sauf à disposer de moyens de transformation et de conservation, les produits agricoles bruts préparés de longue date pour exposition au comice agro-pastoral d'Ebolowa n'y parviendront jamais dans toute leur fraîcheur, que ce soit en janvier ou plus tard. En principe, le comice agricole est une assemblée formée par les propriétaires et les fermiers d'une région pour échanger les expériences de chacun afin d'améliorer les procédés agricoles. C'est pour le monde agricole la vitrine des progrès de l'agriculture à travers ses concours d'animaux et ses expositions de matériels et produits agricoles qui partent de la tomate ou de la mangue nature à celles transformées en produits séchés ou en jus.

La politique aidant, les comices ont été compris comme des vecteurs de développement des chefs-lieux de régions, qui pouvaient contribuer à doter les villes abritant l'événement d'infrastructures qu'elles n'auraient jamais eues sans ces rendez-vous. Pris ainsi, c'est un aveu grave de la mauvaise gouvernance qui s'explique par un développement urbain non planifié pour l'ensemble des régions du Cameroun. Il y a donc quelque part détournement de l'objectif principal qui est la promotion du monde rural, le comice devenant un instrument de propagande politique et d'opportunité urbanistique. Las ! Le rendez-vous manqué d'Ebolowa qui s'accompagne d'un énième report provisoirement définitif sonne comme l'échec programmatique et prospectif d'un régime qui refuse obstinément de mettre l'Homme au centre de ses préoccupations.

On s'achemine donc vers un événement au rabais. A l'Ouest, il était prévu après sélection que 160 exposants représenteront la région au comice national qui devait se tenir du 9 au 14 décembre 2010 à Ebolowa. Si le département du Noun est réputé pour la fabrication des objets d'art, la Menoua aura certainement son mot à dire avec ses porcs. Le département des Hauts-Plateaux quand à lui, devra davantage s'appliquer dans la culture maraîchère. Rien n'indique que les produits agricoles survivront à ce report sur le plan de la qualité. Il en est de même des autres régions du Cameroun et des pays voisins qui s'étaient préparés pour décembre.

Question : pourquoi ne pas faire des comices locaux par région en fonction de la période des semis et des récoltes ? Par exemple le comice d'Ebolowa uniquement pour le grand Sud, puis l'année prochaine le comice de Garoua pour le monde rural du grand Nord etc. Si cette formule est prise en compte, elle aura l'avantage de mieux concentrer les expositions en les rendant homogènes, d'éviter de coûteux et inutiles voyages qui rapportent surtout aux fonctionnaires en missions et au premier d'entre eux. Enfin, cela permettra au chef de l'Etat de pouvoir enfin voyager- s'il y consent- dans chaque région du Cameroun pour toucher du doigt les réalités locales du monde rural et serrer les mains calleuses des seigneurs de la terre.

Dégâts collatéraux : Le report élimine des agriculteurs de la course

Il y a 23 ans que le Sud attend son comice. Aujourd'hui la question de fond qui intéresse les exposants, les visiteurs et sans doute les organisateurs est de savoir si l'échéance de janvier est judicieuse sur le plan agro pastoral. Les produits attendus sont de plusieurs ordres. Les vivres et les transformations industrielles des produits de la terre ; l'artisanat et le matériel agricole ; l'élevage et les produits halieutiques.

Entre régimes de plantain, macabo, ignames, patates, champignons, piments, huile de palme, canne à sucres, ananas, pastèque, poulets, poissons d'eau douce, des conditionnements modernes, à l'image des biscuits de manioc ou de l'amidon extrait du manioc, la fête devrait être l'occasion d'une grande promotion pour les seigneurs de la terre.

Hélas, les implications du report du rendez-vous national du monde rural d'Ebolowa, décidé par le président de la République Paul Biya, sont énormes, traumatisantes et en même temps ruineuses pour plusieurs secteurs. Comment pourra t-on rattraper les bourdes, les improvisations et les mensonges officiels ? Le report de la fête des producteurs est donc un drame national, et rien, aujourd'hui, ne garantit en ce début d'année une représentation à la mesure des investissements et espoirs de ceux qui nourrissent le Cameroun au quotidien.

Les conséquences financières du report sont énormes. la Coalition des producteurs, un Gic  avait loué une boulangerie pour 10 jours, du 06 au 15 décembre à 4,5 millions Cfa avant le premier report, puis à 2,5 millions Cfa du 15 au 23, quand il se disait que le Comice se tiendrait du 15 au 20. Et que dire de ce producteur dont les 10.000 pots de yaourt préparés ne pourront pas attendre le mois de janvier 2011…

Selon un ingénieur agronome, « le calendrier agricole n'est malheureusement pas aussi maniable qu'on pourrait l'imaginer. Quand un régime de plantain a atteint sa maturité physiologique dans l'arbre, il faut le cueillir, sinon il mûrit et pourrit dans l'arbre. Si on l'a cueilli, il peut résister une semaine au maximum. Voila la réalité des producteurs qui avaient déjà cueilli leurs produits pour le Comice. On peut reporter autant de fois le Comice, on ne reportera jamais le mûrissement naturel d'un régime de plantain. Par ailleurs, renvoyer le Comice en janvier augmente la difficulté pour les producteurs, car nous sommes en pleine saison sèche, période de repos végétatif de plusieurs espèces de plantes ».
Pour M. Njonga,  Il y a  lieu de craindre un relâchement  des producteurs, « car le préjudice de ce report, pour la plupart des participants, n'est pas que financier. Il est aussi et surtout psychologique. Mettez-vous à la place des producteurs, qui avaient tout misé sur ce comice pour préparer leurs fêtes de fin d'année… Et que dire de ces participants qui avaient organisé leur agenda, renvoyant certaines activités de décembre à janvier » ? Sans compter que la tenue de ce comice  n'est pas encore évidente. L'imprécision de la date en janvier amplifie le doute. Faut-il oublier que nous en sommes au sixième report ? Le premier a eu lieu en 1991, une semaine avant l'ouverture. En 2008, on l'a annoncé pour l'année suivante. En 2009, on l'a annoncé pour 2011. Au 31 décembre, on l'a ramené en 2010. Prévu du 09 au 14 décembre 2010, la rumeur l'a reporté du 15 au 20 décembre 2010. Enfin le communiqué du secrétariat général de la présidence l'a renvoyé à janvier 2011 ! Est-ce le dernier report ?

Pourquoi s'en cacher ? Depuis notre accession à l'indépendance, l'agriculture constituait, en effet, la première des priorités de la stratégie du développement du Cameroun, parce qu'elle est l'activité économique fondamentale du pays, celle qui occupe la majeure partie de sa population et assure les conditions de son autosuffisance alimentaire, celle aussi qui apporte une contribution importante à la formation de la production intérieure brute, fournit la majeure partie des matières premières nécessaires à l'industrie et demeurait le débouché principal pour la main d'œuvre

Cet objectif n'a-t-il pas changé au regard des faits ? Jusqu'en 1988, le Cameroun assurait son autosuffisance alimentaire. Dans une Afrique menacée par la faim, les Camerounais mangeaient à leur faim. Une importance particulière était alors consacrée au secteur primaire dans les différents plans quinquennaux du pays. Au VIème plan par exemple, près du quart des investissements était consacré à l'agriculture. Les pouvoirs publics avaient d'ailleurs entrepris des efforts de modernisation de l'Agriculture, en créant le Centre National d'Études et d'Expérimentation du Machinisme Agricole (Ceneema) qui n'existe plus que symboliquement.

Car tout est devenu symbolique au même titre que nos produits de rente ou les 40 tracteurs donnés au Cameroun pour promouvoir le machinisme agricole qui ont pris des chemins ‘éperviables'. Le Fonader avait été crée pour permettre aux agriculteurs d'accéder aux crédits afin de financer leurs activités. Le Service Civique de Participation au Développement du Cameroun formait les agriculteurs à Njoré dans la Haute-Sanaga et a Nkondjock dans le Nkam. Tout est symboliquement mort... pour ne pas dire plus.




04/01/2011
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