Les
pistes de la bravoure, avec pour partenaires ceux que mon
désintéressement m’a donné de rencontrer, trouvent leur origine aux
premières lueurs de la matinée…
L’enthousiasme du début de journée me fait ignorer le sol latéritique de
cette artère secondaire en pente, première de mes routes matinales que
je bats à chaque pas. Cette allée, plus d’une fois en travaux tout au
moins en théorie, fait face à la réalité de l’insatiable appétit de ceux
qui pour chaque nouvelle couche d’asphalte revêtent une couche nouvelle
de latérite. Les mêmes qui abandonnent les canaux d’évacuation à
l’arbitraire de la nature, qui dans ses émoluments se fraiera un chemin,
quitte à emporter avec elle les abris de famille entière. Dès lors que
les responsables participent à l’économie réelle locale, au travers
d’une relance par la consommation personnelle, dont on ne voit que trop
le résultat…ou alors une économie virtuelle ailleurs, créant sur place
une trappe de liquidités. Le corollaire d’un management du
désenclavement sans contrôle de résultats. Cette culture du laissé aller
est néanmoins étrangère à l’insouciance de l’enfant que j’étais.
Subjugué par le désir de revoir ceux que j’avais laissés la veille,
je traverse le premier rond-point et enjambe par là même la deuxième
pente…moins abrupte mais plus longue que la première… Elle constitue le
premier goudron à mes pieds. L’atmosphère agréable et la sensation du
vent frais à contre-courant du sens de la marche participent de la bonne
humeur matinale. À mi-chemin je suis rejoint comme habituellement par
mon premier compagnon de la journée…l’occasion de premiers échanges qui
oblitèrent la longueur du trajet restant. Les quelques centaines de
mètres sur cette fin de relief ascendant donnent l’occasion de
contempler de part et d’autre de la route l’exemple, si besoin était,
d’un gaspillage ordinaire: une bâtisse, chimère du plan originaire,
censée abriter des commerces, dont la livraison sur l’épitaphe comme un
pied-de-nez pour ceux qui s’y attarderaient, regarde les commerçants
agglutinés en bordure de route sans que cela n’émeuve personne; ni
commanditaires, ni prestataires, ni commerçants, ni clients… chacun
continue sa vie.
Cette fin de relief ascendant donne l’occasion reprendre son souffle…
s’étant fait rejoindre par un troisième mousquetaire, nous voilà à
présent au complet et abordons la première et seule descente du trajet. À
mi-parcours sur cette descente de faible amplitude jonchée de commerces
hétéroclites, se succèdent les différentes agences de voyages qui
ramènent les « Pa Kutu* » vers le soleil couchant. Une aubaine pour nos
regards émerveillés: tant de personnes… dans un si petit habitacle…
Franchissant enfin la barrière centrale de l’établissement, j’esquisse
au passage un geste à l’endroit du cerbère à l’entrée et me dirige du
même pas décidé vers ma salle de classe; Prêt pour ce monde qui m’ouvre
ses bras…
Diplômé de l’école de la vie, je demeure le reliquat de ces pistes poussiéreuses du lointain pays organisateur qui a éprouvé mes mollets sur les descentes et les montées de la soif de connaissances; Bravant chaque kilomètre avec le détachement de l’enfance, observant insipide les équilibres disparates du pays qui se sont construit autour de moi. Le regard d’un enfant sur les quiétudes des souffrances ordinaires qui à force d’être le seul horizon, apparaissaient comme normalité. Cet arbitraire décidé ailleurs et par d’autres que la masse d’enfants que nous étions, a vécu, que la masse de nos enfant aujourd’hui continue de vivre dans l’insouciance qui est la leur, ces équilibres disparates apparaissent et prospèrent… Nous, on rit on pleure, on vit et meurt.
*Pa Kutu: Gens d’en haut, gens des montagnes en langue Bantoue