Les fourberies politiques de Paul Biya, si elles l’ont souvent servi, finissent toujours par lui jouer un mauvais tour.
Ainsi en est-il du débat aujourd’hui ouvert par les éminents juristes sur l’inéligibilité de l’actuel président de la République, après la révision constitutionnelle d’avril 2008 ; une révision qui n’avait concernée que l’article 6 alinéa 2 de la constitution du 18 janvier 1996, relative à l’élection du président de la République. Pour bien comprendre l’art du boulanger dont se sert l’homme du 6 novembre, qui malheureusement ou heureusement voit le piège tendu à ses opposants se refermer autour de lui, il conviendrait de remonter le cours de l’histoire politique récente du Cameroun.
En effet, nous sommes en 1990 et à l’instar de la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne qui sont encore insidieusement sous la coupole de l’ancienne puissance colonisatrice, la France (pour ne pas la nommer), le Cameroun connait des secousses sociopolitiques sans précédent du fait de l’emprise du discours «mitterrandien » de la Baule en juin 1990 qui conditionnait désormais l’aide au développement des pays du Sud à l’instauration du multipartisme et de la démocratie. Meilleure occasion pour les hommes politiques et les membres de la société civile, animés d’un esprit de changement de système politique, de formuler une litanie de revendications, parmi lesquelles l’organisation d’une Conférence nationale souveraine (Cns) et, à la suite, des élections libres et transparentes. C’est ici que Paul Biya, frappe et réussit son premier coup de poker car, contrairement à beaucoup d’autres pays voisins, les lexicologues du gouvernement de l’époque ne sont pas allés loin pour trouver une terminologie digne des grands maîtres dans l’art de la roublardise politique. C’est ainsi que le terme «Tripartite » devait être imposé à la place de « conférence nationale souveraine », l’intention étant de ne pas accéder favorablement aux doléances des partisans du changement puisque pour Paul Biya, resté inflexible : « La conférence nationale souveraine est sans objet ! », avait-il toujours martelé.
LE PIÈGE S’OUVRE…
C’est ainsi qu’à la place d’une conférence nationale souveraine, devait se tenir, à l’initiative du Président Paul Biya, la rencontre tripartite, organisée du 30 octobre au 17 novembre 1991, au palais des congrès de Yaoundé. Les 300 participants à cette rencontre représentants les pouvoirs publics, les partis politiques et la société civile avaient pour objectif de désamorcer une bombe sociopolitique née de l’impossibilité pour le régime et les partis d’opposition à s’entendre sur la meilleure façon de gérer la transition démocratique au Cameroun. Dans la logique de la préparation de ces assises, le président de la République avait manifesté, dans une adresse à la nation le 11 octobre 1991, l’intention de faire de la tripartite « un véritable code d’honneur démocratique », en exhortant les leaders des partis d’opposition à prendre part à cette rencontre historique « pour qu’ensemble nous préparions sereinement les règles du jeu de l’avenir démocratique de notre pays », avait-il souhaité avant de préciser plus loin : « les décisions […] s’imposeront à tous ». Mais entre ce discours officiel et la réalité, le fossé était grand dans la tête de M. Biya, puisque comme le note le magistrat Emmanuel Kengne Pokam, observateur averti de la scène politique camerounaise de l’époque, « Paul Biya voulait une simple rencontre entre les acteurs socio-politiques camerounais présidée par son Premier ministre avec un secrétaire désigné par lui, qui, au terme des travaux, allait adresser le Procès-verbal signé par lui et le Président, mais dont le contenu n’avait aucune valeur juridique et ne s’imposait à aucune des parties à la rencontre ». Cela s’appelle avoir une culture de double langage caractéristique des hommes du Renouveau.
L’autre feinte préparée pour distraire les parties prenantes à cette rencontre est l’ordre du jour qui se limitait à deux points, à savoir : la réforme de la loi électorale pour les Législatives et le code médiatique tendant à réglementer l’accès aux médias officiels par les partis politiques, alors que les participants souhaitaient aller audelà pour évoquer des questions devant permettre la refondation de la gouvernance de l’Etat. En outre, cette rencontre était un piège à cons non seulement dans la mesure où en coulisses, des pions du régime faisaient des yeux doux à certains leaders politiques afin que ceux-ci brisent la dynamique de la Coordination des partis de l’opposition, mais aussi parce que le Chef de l’Etat se proposait de rencontrer individuellement les membres de la Coordination. Et quand on sait que ces assises, contrairement à ce qui avait été arrêté de commun accord, n’avaient pas été diffusées en direct de la télévision nationale (la seule chaine à l’époque), l’on comprend que la sincérité et la sérénité n’étaient pas au rendez-vous de cette rencontre.
… ET SE REFERME
Ce pendant, en dépit de la mésentente observée au sein de la Coordination pendant la Tripartite, les leaders d’opposition réussiront à imposer un troisième point majeur à l’ordre du jour, à savoir la Réforme constitutionnelle, sans compter d’autres sujets non prévus initialement ; ce qui avait provoqué un courroux Paul Biya contre son Premier ministre de l’époque, M. Sadou Hayatou « au point de tenter de vouloir tout reprendre suivant le canevas qu’il avait prévu », précise Kengne Pokam qui poursuit : «Mais, il était déjà trop tard, car les accords du 13 novembre 1991 auxquels avaient donné lieu les travaux de la Tripartite, avaient
été déjà signés et diffusés tant au plan interne qu’au plan
international », avant de conclure pour le regretter : « certains
leaders de l’opposition […] par idiotie, allaient lui donner le motif de refuser de respecter les engagements pris par son Premier ministre dans les Accords du 13 novembre », faisant ainsi allusion au rejet de ces Accords par Ni John Fru Ndi, le Chairman du Sdf, principal parti de l’opposition. Mais au-delà de cette récrimination, l’on retiendra pour l’essentiel que la Tripartite n’aura pas été une rencontre pour rien, loin s’en faut. Car, s’il est une victoire que les partis d’opposition et les membres de la société civile, c’est bien d’avoir réussi imposer l’idée d’une réforme constitutionnelle, contre le gré du gouvernement. Au bout du compte, le Cameroun devait se doter d’une Loi fondamentale le 18 janvier 1996. Cette Loi qualifiée de consensuelle, constituait une sorte de «pacte républicain» signé entre les leaders de l’opposition et Paul Biya ; ce dernier ne pouvant plus avoir droit qu’à deux mandats de sept ans chacun puis de laisser place à l’alternance en se retirant, puisque l’article 6 alinéa 2 disposait : « Le président de la République est élu pour un mandat de sept (7) ans renouvelable une fois ». A l’analyse, cette disposition de la Constitution avait beaucoup contribué à apaiser le climat sociopolitique de l’époque qui était pourtant électrique et favorable au départ de Paul Biya.
Mais comme l’art du politique du président de la République a toujours moins visé l’amélioration du bien-être des Camerounais que son maintien au pouvoir, en février 2008, la modification constitutionnelle n’avait visé que ce fameux article 6.2, dans l’espoir que l’homme du 6 novembre au pouvoir depuis 30 ans se représenterait à la présidentielle de 2011, incarnant ainsi une présidence ad vitam aeternam dans une République. Et c’est là où le bât blesse puisque le «principe de la non rétroactivité» d’une loi, fait que l’article 6.2 modifié ne peut s’appliquer au président en fonction. Du coup, Paul Biya et ses lieutenants sont pris de cours et se lancent dans une opération de charme désespérée qui se traduit ces derniers temps par des tonnes de tomes d’appels à candidature. La panique n’est vraiment pas du côté de l’opposition, comme quoi, le voleur a été pris dans son propre piège.
Germinal N° 075 du 25 août 2011