Parmi
les blancs qui se trouvèrent pris dans les émeutes du 25 mai, il y
avait Léon Pignon, l’administrateur en chef responsable des affaires
politiques au Ministère de l’outre-mer. Voici sa description des
événements : « Il y avait une manifestation en cours et elle dégénéra
ensuite en émeute. Mais ce n’était absolument pas une insurrection. Les
émeutes criaient des slogans contre la police. Ils étaient mal armés.
Les forces de police, qui n’étaient pas assez nombreuses pour contrôler
la manifestation, furent débordées. La peur les fit réagir de façon
excessive et abuser de la force. Les émeutes commencèrent lorsque l’on
essaya de disperser la manifestation »[1].
A Douala, le principal incident fut le fait du sous-prolétariat, et le
détonateur si l’on peut dire en fut l’arrestation et l’emprisonnement de
nombreux militants de l’UPC pendant les trois jours précédents. On
trouve confirmation de ce point dans un rapport d’Inter-Afrique Presse :
« Tous les autres incidents de Douala découlent, semble-t-il, de ces
arrestations puisque selon le comportement habituel des foules
africaines en pareil cas, ces dernières se portent toujours vers les
commissariats et la prison pour demander la libération de leurs
prisonniers »[2].
RACISME ET CHATIMENTS
On trouve dans la presse des colons blancs d’autres éléments qui
permettent de soutenir qu’il s’agissait bien d’une émeute et non d’une
révolte de l’UPC. Malgré son ton raciste et son souci de voir châtier la
communauté de New-Bell, il vaut la peine de la citer sur certains
points importants :
« …. Si les ordres avaient été reçus en temps utile, une action
énergique, menée dès les premières manifestations désordre, aurait coupé
net le mal. Une émeute, c’est comme un incendie, c’est une question de
minutes….. »[3].
« …. Comme toujours, après une première bagarre causée par une «
explication » entre deux partis politiques rivaux, toute la basse pègre
invisible le jour a commencé à sortir de partout… »[4].
« Nous avons signalé déjà combien les événements
du mois de mai au Cameroun furent déformés par la plupart des journaux
métropolitains. Dans la « Dépêche de Toulouse », M. André Lafond,
secrétaire général de la CGT-FO a lancé le grand mot « d’insurrection » :
« le mal s’étend à l’Afrique à l’Afrique noire…. Le Cameroun vient de
connaitre une véritable insurrection. Certes l’UPC, la CGT en sont les
véritables instigateurs, etc. Mais des troubles identiques ont eu lieu à
Douala il y a dix ans, et il n’y avait alors ni UPC ni partis
politiques »[5].
EMEUTES SPONTANEES
L’Administration a prétendu que les incidents de Yaoundé étaient
préparés, mais toutes les preuves montrent le contraire. Rappelons que
ces incidents commencèrent le 26 mai lorsque, selon l’Administration, le
délégué de Force Ouvrière, Pierre Tayou, fut attaqué et battu sur la
place du marché par un groupe de membres de l’UPC[6]. Puis, la police
intervint, arrêta un certain nombre de gens, et une foule se dirigea
vers le poste de police ; elle refusa de se disperser, des coups furent
tirés et quelqu’un (« un spectateur ») fut tué ; l’ordre ne fut rétabli
qu’après que les émeutiers eurent délivré un certain nombre de personnes
emprisonnés et marché sur l’ATCAM. Le jour suivant, selon le même
scénario, une foule d’émeutiers se rua vers le centre ville à la suite
d’incidents entre les manifestants et la police à un barrage routier. De
nouveau la police tira pour disperser les manifestants. Les incidents
de Yaoundé se seraient donc déroulés conformément à ce schéma : une
altercation éclate entre les Camerounais de bords différents et culmine
dans les heurts entre la police et les émeutiers. Voici ce qu’écrit La
Presse du Cameroun le 28 mai :
« Les incidents très regrettables qui ont causé un mort et plusieurs
blessés à Yaoundé dans la journée du 26 et la matinée du 27 commencèrent
au Marché Central à cause d’un désaccord existant entre les commerçants
africains et leur représentant Pierre Tayou, africain également. Notons
que ce dernier avait fait adhérer son groupe il y a un an à la CGT-FO.
Pendant quelques temps, les marchands s’en prirent violemment à lui et
le maltraitèrent tellement que ses amis, le voyant en bien mauvaise
situation, fient appel à la police qui vint à son secours »[7].
Il n’est pas surprenant que, dans le « rapport sur les incidents »
qu’elle soumit aux Nations Unies sept mois après les événements,
l’Administration indiquait que l’enquête était encore en cours sur
l’origine de la balle qui avait tué le spectateur[8]. Selon Mlle
Cachin-Jacquier qui interviewa le chirurgien ayant procédé à l’autopsie
du garçon tué, la balle était « sans doute possible….une balle de la
police »[9]. L’usage précipité des armes par la police, comme à Douala
le 25, causa non seulement la mort de ce garçon mais eut aussi des
conséquences plus tragiques à Yaoundé le lendemain.
« Pour venir chercher le corps du mort, plus d’un millier de
manifestants se sont dirigés sur l’hôpital. Après pourparlers avec le
médecin chef, le cortège rebroussa chemin et se dirigea vers l’ATCAM. Il
s’est alors heurté au service d’ordre appelé par l’hôpital. Les
manifestants ne répondirent pas aux sommations. La police a lancé des
grenades et a ouvert le feu à la mitraillette. Les manifestants se sont
dispersés, affolés. Il restait 6 morts et 40 blessés… »[10].
N.B. : Les intertitres sont de T. NONO.
Remerciements aux auteurs de « Kamerun ! Une guerre aux origines de la
Françafrique, 1948-1971 » (Editions La découverte) pour l’illustration
photographique. Pour de plus amples informations sur « l’histoire cachée
» du Cameroun, on consultera utilement le site www.kamerun-lesite.com
ou la page facebook du livre http://www.facebook.com/pages/Kamerun-Une-guerre-cach%C3%A9e-aux-origines-de-la-Fran%C3%A7afrique/177827458911447
[1] Interview personnel.
[2] « L’Affaire du Cameroun », Inter-Afrique, 2 juin 1955.
[3] Le Cameroun libre, n° 496, 1-15 juin 1955
[4] Le Cameroun libre, n° 497, 16-30 juin 1955, p. 1.
[5] Le Cameroun libre, n° 500, 1-15 aout 1955, p. 3. En italique dans le texte original.
[6] UNTC, T/OBS. 5/71, p. 19.
[7] Dans une interview publiée dans La Presse du Cameroun du 11 juin
1955, Pierre Tayou donna des précisions sur les raisons de la dispute
qui eut lieu sur la place du marché avant la démonstration : en tant que
délégué des commerçants, il était sur le point de quitter le pays pour
une mission à Paris avec la Chambre de commerce. Il fut alors abordé par
certains commerçants qui voulaient connaitre la substance de ses
entretiens avec le gouverneur et l’accusèrent d’être un traitre. Il
était lui-même bamiléké comme ses attaquants, mais de chefferie
différente.
[8] UNTC, T/OBS. 5/71,, p. 20.
[9] « Au Cameroun, pays de l’angoisse », Démocratie nouvelle, n° 8 août 1955, p. 460.
[10] « L’Affaire au Cameroun », Inter-Afrique Presse, 2 juin 1955