Le président camerounais Paul Biya, 78 ans, sait qu'il joue gros à la présidentielle d'octobre. Au pouvoir depuis vingt-neuf ans, l'homme du silence, aussi mystérieux qu'insondable, est de moins en moins profilé "président fréquentable" par la communauté internationale. Depuis juillet, il fait même l'objet d'une plainte déposée en France pour séquestration arbitraire.
Une première au Cameroun! Au cours des prochaines semaines, le prince d'Etoudi tentera toutefois de démontrer qu'il reste incontournable pour assurer la stabilité du golfe de Guinée et empêcher le chaudron camerounais d'imploser. Cet argument réussit pourtant de moins en moins à convaincre. À l'intérieur comme à l'extérieur du pays.
Agenda politique.
Dès son retour de Pékin où, en juillet, il a effectué un voyage
officiel, le chef de l'État s'est isolé durant trois semaines à l'hôtel
Intercontinental de Genève. Entouré de son épouse Chantai Pulchérie
Biya, du secrétaire général du Rassemblement démocratique du peuple
camerounais (Rdpc), René Emmanuel Sadi, et de son directeur de cabinet,
Martin Belinga Eboutou, il a mis la dernière touche à son agenda
politique pour préparer l'échéance d'octobre. Sur le terrain, tout est
prêt. Le président camerounais, qui a regagné son pays le 16 août,
publiera la fin du mois le décret de convocation du corps électoral,
assorti de la date du prochain scrutin.
Suivra le congrès ordinaire du Rdpc au cours duquel il devrait être investi. Un rendez-vous prévu, selon nos sources, la première quinzaine de septembre.
Transition vers une vraie succession ?
Mais Paul Biya, qui s'est longuement questionné sur cette nouvelle
candidature, sait le scrutin risqué. A l'heure des printemps arabes, un
basculement du Cameroun, comme lors des émeutes de février 2008,
inquiète. De fait, des pressions amicales sont venues des présidents
Nicolas Sarkozy et Barack Obama, lui demandant de préparer la relève.
Les Nations unies, qui craignent un embrasement post-électoral, font
également pression pour un mandat négocié.
En mission à Yaoundé début août, le représentant
spécial du secrétaire général et chef du bureau régional de l'Onu pour
l'Afrique centrale, Abou Moussa, s'est inquiété des éventuelles
conséquences d'une réélection. Mêmes appréhensions de la part du
secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui a rencontré Paul
Biya durant sa retraite genevoise. Ce dernier lui aurait confié se
représenter une dernière fois pour "assainir
le climat politique", tout en affirmant vouloir désormais préparer sa
succession dans un délai de deux ans, notamment en abandonnant la
présidence du Rdpc... Avant de regagner son village de Mvomeka'a !
Illustration de l'état socio-juridique du Cameroun : en s'asseyant à son bureau, le prince d'Etoudi a pris connaissance d'une plainte pour détention arbitraire le visant directement. Elle a été déposée le 29 juillet auprès de Sylvia Zimmermann, doyenne des juges d'instruction du Tgi de Paris par Me Caroline Wassermann et Christian Charrière-Bournazel. Ulcérées par les conditions d'emprisonnement de leur cliente Lydienne Yen Eyoum-Loyse, ex-avocate de l'État camerounais arrêtée en janvier 2010 dans le cadre de l'opération Épervier, les deux robes noires ont étendu cette plainte à plusieurs magistrats camerounais, dont le ministre de la justice Amadou Ali. Française de par son mariage, Lydienne Yen-Eyoum est toujours en détention provisoire dans une cellule de la prison de Kondengui, à Yaoundé.
Le 18 août, une nouvelle demande de mise en liberté a été rejetée. Or, une telle détention ne peut excéder
dix-huit mois au Cameroun. Interpellé sur cette affaire par plusieurs
intermédiaires hauts placés dans le village franco-camerounais, le chef
de l'État cultive, comme à son habitude, son mutisme. Le parquet
suivra-t-il l'action des avocats parisiens ? La France l'affirme
désormais haut et fort : "Les temps ont changé en Afrique !". Alors...