Les dinosaures africains s’accrochent au baobab
Les dinosaures africains s’accrochent au baobab
Un après le départ de Ben Ali le 14 janvier, les dinosaures africains, ces dirigeants au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle, ont résisté à toutes les tempêtes de 2011 et sont toujours là. Mais que leur réserve l’année 2012?
En Afrique subsaharienne, les révolutions du monde arabe ont secoué les cocotiers mais n’ont pas déraciné les baobabs.
Mais rappelons que le nom de baobab vient de l’arabe « bu hlowdotibab » qui signifie « fruit aux nombreuses graines ». Et il n’est pas exclu qu’en 2012 les graines des révolutions arabes trouvent dans l’Afrique au sud du Sahara un terreau fertile…
Deux dirigeants se disputent en Afrique le titre peu envié de chef d’Etat en exercice depuis le plus longtemps au pouvoir: Teodoro Obiang Nguema (Guinée équatoriale) et Eduardo Dos Santos (Angola). Depuis août 1979 pour le premier, septembre 1979 pour le second.
Il faut quasiment ouvrir un livre d’histoire pour savoir ce qu’il s’est passé cette année… Le monde vivait alors en pleine guerre froide, le président américain Jimmy Carter était au pouvoir à Washington et surveillait du coin de l’œil le Soviétique Leonid Brejnev à Moscou.
En Iran, la république islamique est proclamée. Le deuxième choc pétrolier plonge l’Occident dans une longue crise économique. Le président français Valery Giscard d’Estaing se prend les pieds dans l’affaire des diamants de Bokassa, le fantasque dirigeant centrafricain renversé la même année.
Mais en attendant que l’Histoire dise son dernier mot, faisons un petit tour chez les derniers « dinosaurus africanus »:
Teodoro Obiang Nguema (Guinée-équatoriale)
Assis sur une montagne de pétrodollars, le dirigeant de la petite Guinée équatoriale n’a pas vu son pouvoir contesté à l’intérieur du pays en 2011. Il est même devenu président de l’Union africaine, au grand dam des organisations de défense des droits de l’Homme, très critiques de son bilan en la matière.
Arrivé au pouvoir grâce à un coup d’Etat qui a renversé son oncle, il a été élu en 1989, puis réélu en 1996, 2002 et 2009 (avec plus de 95% des voix) lors de scrutins toujours contestés. A 69 ans, il dirige toujours d’une main de fer cette ancienne colonie espagnole de moins d’un million d’habitants.
En novembre, un référendum constitutionnel a été approuvé avec un score soviétique (97,7%) qui constitue un bon indicateur de la vie démocratique dans le pays. L’opposition compte un seul député au Parlement, Placido Mico. Les autres opposants sont en exil.
La liberté de la presse est des plus restreintes mais les compagnies pétrolières font les yeux doux au troisième producteur d’or noir en Afrique subsaharienne. Le régime s’est lancé dans une ambitieuse politique de grands travaux et les groupes étrangers de BTP se frottent les mains. Business as usual.
Jose Dos Santos (Angola)
Les choses commencent à bouger en Angola. Bien sûr, ce n’est pas encore le grand vent qui a déraciné Ben Ali, Moubarak et Kadhafi. Mais la brise angolaise a ébouriffé le tout puissant José Dos Santos qui, depuis le mort du chef rebelle Jonas Savimbi, est quasiment sans adversaire de taille.
Mais la rue gronde. Toute l’année 2011, des jeunes activistes ont défilé à Lunda pour demander plus de liberté et aussi un partage équitable du « gâteau pétrolier ».
Le pays devrait bientôt dépasser le Nigeria comme premier producteur africain d’or noir, les multinationales découvrent régulièrement de nouveaux gisements off-shore. Mais l’immense partie de la population reste d’une pauvreté scandaleuse.
La société civile s’organise en contre-pouvoir, notamment autour du journaliste William Tonet, éditeur de l’hebdomadaire Folha 8.
Le président Dos Santos a senti qu’il fallait lâcher du lest. Plusieurs fois repoussées, des élections générales (présidentielle et législatives) doivent finalement se tenir fin 2012. L’homme fort de Luanda devrait, à 70 ans, être candidat à sa succession.
Robert Mugabe (Zimbabwe)
« Bob » a réussi à se faire oublier en 2011, à quasiment disparaître des radars de l’actualité internationale. Mais il est toujours là. Robert Mugabe est arrivé au pouvoir en 1980, la même année que son homologue américain Ronald Reagan, décédé en 2004.
On le dit malade, atteint d’un cancer de la prostate. Mais « Bob » s’accroche et épuise chaque jour un peu plus son opposant, devenu Premier ministre, Morgan Tsvangirai, qui a pourtant relevé l’économie d’un pays ruiné par une redistribution anarchique des terres au profit de la majorité noire.
La cohabitation entre les deux hommes dure depuis deux ans et se passe de plus en plus mal. Des élections devraient avoir lieu cette année. Mais « Bob » estime que prendre sa retraite serait un « acte de lâcheté ».
Les élections de 2008 avaient dégénéré en violences meurtrières, le pays était au bord de la guerre civile. Mais le président Mugabe n’en a cure. Mugabe répète qu’il vivra jusqu’à 100 ans et sera président jusqu’à sa mort.
Il peut déjà compter sur le soutien de la puissante ANC (Congrès national africain) du voisin sud-africain, qui lui a promis de travailler à des stratégies électorales pour remporter la victoire. L’ANC, dont la longue lutte contre l’apartheid est tout à son honneur, n’est pas pressé de voir partir son « frère » Mugabe.
Paul Biya (Cameroun)
Le président Paul Biya est un homme discret. Il ne fait pas parler de lui à l’extérieur des frontières de son pays, n’est pas un leader d’opinion au sein de l’Union africaine.
Il ferait presque oublier qu’il est arrivé au pouvoir en novembre 1982, soit un an et demi après l’élection historique de François Mitterrand en France.
Le chef de l’Etat camerounais peut se targuer d’avoir survécu à son homologue français et surtout à son fameux « discours de la Baule » sur la démocratisation en Afrique.
Et à 78 ans, il vient de se faire réélire en octobre avec plus de 77% des voix pour un nouveau mandat de sept ans. L’opposition a crié à la fraude. Mais Biya a conservé son humour. « L’heure est à l’action », a-t-il lancé sans sourciller lors de son discours d’ouverture.
Les 20 millions de Camerounais n’ont besoin de personne pour tirer le bilan de son long règne: pauvreté endémique (une personne sur quatre survit avec un euro par jour, un sur trois n’a ni eau potable, ni électricité), corruption quasiment plus élevée que le Mont Kilimandjaro et croissance économique atone.
Et pourtant le Cameroun , avec son cacao, son pétrole, ses diamants et une population dynamique aurait pu être le pays le plus riche d’Afrique centrale.
Les opportunités gâchées laissent toujours un gout amer dans la bouche.
Yoweri Museveni (Ouganda)
Le président ougandais ferme cette marche de dinosaures africains, qui sont au pouvoir depuis plus de 25 ans. Et il s’est démené pendant l’année 2011 pour ne pas rejoindre ses homologues de Tunisie, d’Egypte et de Libye.
Le printemps arabe a bien failli trouver dans l’Ouganda sa première terre d’accueil au sud du Sahara. Dès le mois d’avril, les premières manifestations contre le président et ex-chef rebelle Museveni ont eu lieu, avant d’être violemment réprimées. Bilan lourd : une dizaine de morts.
Au pouvoir depuis 1986, le chef de l’Etat peut se targuer d’une forte croissance économique même si beaucoup de choses restent à faire pour en faire profiter tous les Ougandais.
Mais il a la main de plus en plus lourde face à toute contestation et Amnesty International dénonce un régime de plus en plus répressif. Pour ne pas gâcher un bilan économique quelque peu flatteur, Museveni ne devrait pas rater sa sortie et préparer sa succession.
Et Blaise Compaoré?
Enfin pour fermer la marche des cinq dinosaures africains, une mention spéciale à un dirigeant hors concours mais qui a senti le vent du boulet en 2011, le Burkinabè Blaise Compaoré, contesté dans la rue comme dans les casernes.
Au pouvoir depuis un coup d’Etat au cours duquel le capitaine Sankara a été tué, il entrera le 15 octobre 2012 dans le club des dinosaures africains…