LES CAMPUS SCOLAIRES DEVIENNENT DES SANCTUAIRES DE LA VIOLENCE
Source : Camerounlink 17 01 2020
Le Jour : Franklin Kamtche
Les pouvoirs publics semblent dépassés par les agressions qui se multiplient dans les lieux de dispensation de savoir et de savoir-vivre.
Une fois de plus, un enseignant a été tué. A la Une de la quasi-totalité des tabloïds camerounais le mercredi, 15 janvier 2020, il n’y avait de place que pour cette tragédie survenue au Lycée classique de Nkolbisson, dans le septième arrondissement de la ville de Yaoundé. L’onde de choc est telle que les autres médias ont passé la journée à solliciter toutes sortes d’experts, pour analyser et comprendre ce qui s’est passé, ce qui a poussé le jeune B.B.N. à attenter à la vie de son jeune professeur de mathématiques, Boris Kevin Tchakounte Njomi (26 ans). La veille, l’enseignant en cours d’intégration à la Fonction publique a été mortellement poignardé par son élève. Sur les circonstances du drame, on rapporte après des versions contradictoires, une altercation entre le professeur et le jeune homme, au terme de laquelle l’élève a sorti un couteau de son sac pour poignarder à deux reprises l’enseignant avant de prendre la fuite. Au cœur de la dispute, un problème de notes.
Ses camarades expliquent qu’à la veille des congés de Noël, les deux avaient échangé des coups de poing. Une situation malheureusement non portée à la connaissance des responsables administratifs et qui a laissé la possibilité au petit de préparer la riposte fatale. Le portrait qu’en dresse ses camarades fait peur : « grand trafiquant de drogue en milieu scolaire », il menaçait régulièrement les élèves et les enseignants. « Il venait toujours en classe en retard. Parfois lorsqu’il voulait partir, il escaladait la clôture mais son cas n’avait jamais été transmis à l’administration. Il avait toujours des comportements bizarres », a témoigné un camarade.
Des enfants drogués
Dans des enceintes mal sécurisées Dans une sortie que certains apprécient sévèrement, le Ministre des Enseignements secondaires a tenté de rassurer la communauté des enseignants sur la diligence de l’enquête. Mme Nalova Lyonga a indiqué entre les lignes que ce fonctionnaire en début de carrière est mort dans un établissement de Yaoundé alors qu’il aurait dû se trouver à son poste d’affectation, Panke-Njindoum, dans le département du Noun, à l’Ouest. Ce qui ajoute un problème administratif à l’insécurité décriée. Ce détail pourrait-il expliquer ce qui est arrivé ? Selon nos sources, il y exerçait depuis deux ans comme professeur de mathématiques et son comportement n’était pas particulièrement différent de celui des autres enseignants de l’établissement. Alors, comment le délinquant a-t-il dissimulé un couteau sous sa tenue pour entrer dans le campus et commettre son forfait comme il l’avait programmé et dit à ses camarades ?
Un constat général est que les mesures de sécurité ne sont pas rigoureuses dans et autour des établissements scolaires. Pas de caméra de surveillance, insuffisance criarde du personnel d’encadrement. Il y a longtemps que l’Etat ne recrute plus cette catégorie de personnel. La fouille des élèves est occasionnelle, même si le butin est effarant : un chef d’établissement secondaire a récemment fait le buzz en présentant aux caméras le sac de poignards qu’il dit avoir confisqué aux enfants, en une seule descente inopinée dans les classes. Au plus fort de la lutte contre la menace terroriste de Boko Haram, les établissements scolaires avaient été contraints d’acquérir des détecteurs de métaux. La psychose passée, l’usage est devenu aléatoire.
Pour ne rien arranger, les enfants sont entassés dans les salles de classe de sorte que même l’enseignant le plus rigoureux ne peut circuler pour contrôler ce que font les uns et les autres.
Dans cette promiscuité qui renforce la nervosité des acteurs, certains usent de complicités extérieures et du silence complice des camarades, pour brouiller les vecteurs de la sécurité. Entre eux déjà, les bagarres se gèrent avec des lames de rasoir dissimulées dans les boîtes de géométrie, les compas, le matériel de travail manuel et de nombreux objets contondants.
Conflits de modèles
Nombre d’élèves trafiquent et vendent la drogue, sous le regard complice des parents qui viennent souvent au lycée plaider pour que les délinquants ne soient pas exclus. Pour de nombreux enseignants qui ont commenté l’incident, c’est la faute du système. Ils pointent un doigt accusateur sur une mauvaise promotion des droits des enfants, avec ces multiples textes, instances et organismes qui, ces dernières années, donnent l’impression de travailler pour leur émancipation. « Nos écoles sont truffées d’assassins et de tueurs sans scrupules », regrettent d’aucuns, qui parlent d’une fragilisation de l’autorité des enseignants par des gens qui n’hésitent pas à les maltraiter ou à leur porter plainte devant des juridictions aux ordres. Beaucoup regrettent « la déification » des élèves.
« Il ne doit pas être puni, il ne doit pas être exclu d’une salle, encore moins d’un établissement en milieu d’année scolaire, il ne doit pas être mis à genoux, il ne doit pas être battu, il ne doit pas avoir zéro même s’il n’a rien trouvé, il ne doit pas être insulté mais il doit quand même réussir », caricature l’un d’eux, pour résumer l’imbroglio dans lequel l’enseignement est désormais placé. « Un élève, ça respecte l’enseignant. Un enfant, ça respecte l’aîné, même parfois quand ce dernier a tort. Voilà les valeurs africaines que nous avons chassées. Nos enseignants nous fouettaient et on les respectait. Mais aujourd’hui, on peut rencontrer son ancien maître et ne pas lui dire bonjour », observe un autre.
On en arrive à une situation confuse où, au lieu que l’ouverture d’une école entraîne la fermeture d’une prison par la transmutation des valeurs, les deux doivent cohabiter. Les observateurs sont choqués par la sérénité apparente du petit B.B.N., dans le regard de qui ils cherchent vainement des signes de contrition. Cet enfant encourt pourtant la peine capitale, par l’acte qu’il a posé, en vertu des dispositions de l’alinéa 5 de l’article 156 du Code pénal, qui traite des violences à fonctionnaire. « Si les violences et voies de fait sont commises avec l’intention de donner la mort, le coupable est puni de mort », lit-on. Un vrai paradoxe. « Nous ne sommes pas des ‘’Jésus’’ pour transformer l’eau en vin ou la boue en or. Nos élèves nous considèrent comme leurs bourreaux, des freins à leur épanouissement. A la maison, ils utilisent à souhait leurs téléphones et nous, on le leur interdit. Au quartier, ils fument, boivent de l’alcool et se droguent sous le regard des aînés, leurs parrains. Et nous, on leur dit que ce n’est pas bon. A la maison, ils dictent leurs lois et les parents exécutent. Et nous, on leur demande de nous respecter. Le week-end, ils vont en boîte avec ou sans permission de leurs parents. Et nous le lundi on les punit pour devoir non fait. A 15 ou 18 ans, ils sont pères et mères d’enfants, ils s’en vantent. Et nous, on leur apprend que c’est trop tôt. Ils aiment l’argent plus que tout.
Et nous, on leur dit : fréquentez d’abord… », analyse Roméo Berlin Assiene, professeur de philosophie en service dans la région de l’Ouest. Conclusion désabusée : « En réalité, nous sommes apparemment trop vieux dans un monde trop jeune, trop droi
it dans un monde trop tordu, trop idéaliste dans un monde trop matérialiste. Nous voulons changer un monde que nous n’avons pas construit. La société fabrique des brigands et l’enseignant doit en faire des saints ! »
Les enseignants au menu des … faits divers
Ceux qui le trouvent pessimiste doivent cependant avoir à l’esprit que les enseignants depuis quelque temps animent la rubrique des faits divers au Cameroun. Rien qu’au cours de cette année scolaire, les scandales se sont multipliés. Dans la ville de Bafoussam, un militaire s’est invité dans l’école de sa fille et a bastonné la maitresse au point de l’envoyer à la réanimation. Deux élèves du Lycée bilingue de Bafoussam rural ont par la suite attenté à la vie de leur surveillant général lorsque ce dernier les a surpris en train de cambrioler son bureau. Un gendarme a infligé une belle correction au censeur d’un lycée de Douala, parce qu’elle a osé réprimander sa copine qui était arrivée en retard à l’école. Si l’on signale le cas de l’enseignant contraint de se mettre à genoux pour demander des excuses à son enfant, c’est juste pour relever que les nombreuses attaques que subissent les enseignants au quotidien et qui ne font pas de bruit : dans les salles de classe, sur le chemin de l’école ou dans les débits de boisson. D’où cette question provocatrice : faut-il créer une brigade policière dédiée à la défense des enseignants ?
Presque à l’unanimité, les enseignants soutiennent que dans l’exercice de leur métier, il est prudent d’éviter les confrontations violentes. « La force des idées et non l’idée de la force, surtout physique », suggère Guillaume Ebela, professeur de lettres. Selon Bertin Tchinda, un enseignant d´université et spécialiste en Programmation neurolinguistique, les parents doivent reprendre du service dans l’éducation de leur progéniture. « Les parents sont incapables aujourd´hui de connaître véritablement qui sont leurs enfants parce qu´ils ne sont généralement pas là avec eux et l´éducation des enfants à la maison, l´implémentation des valeurs s´il y en a sont faites par les ménagères, les voyous du quartier, etc. Les parents ont oublié que leur rôle, leur devoir n´est pas de faire leur part d´enfants comme les autres mais d´accompagner ces enfants à remplir leur mission sur terre ».
Identique pour l’enfant lui-même, qui doit assumer la responsabilité de sa propre vie, en abandonnant la voie de la facilité pour embrasser celle du travail. Dans l’école d’aujourd’hui, l’application des textes est un serpent de mer. (@ ). Un proviseur de la Menoua suscita jadis la moquerie de ses collaborateurs, en annonçant aux élèves lors du rassemblement hebdomadaire que l’utilisation du fouet est interdit, comme les traitements jugés inhumains ou dégradants. Il fut fortement applaudi et les enseignants adeptes de ces pratiques hués. Grande fut la surprise de ses subordonnés de le voir lui-même, au cours de la même semaine, infliger des gifles sonores à une bande d’enfants qui l’avaient mis hors de lui ! Après l’incident de l’année dernière au Lycée bilingue de Deido, un programme de sécurisation des campus scolaires a germé dans quelques cerveaux, vite relégué aux calendes bantoues. Ou plutôt, avant que le quotidien ne nous rattrape. Selon un chercheur en éducation, la plupart des campus scolaires, notamment en zone rurale sont difficiles à sécuriser. A cela, deux raisons : leur vaste étendue au milieu des champs et la mauvaise occupation des espaces.
Bien plus, les constructions sont initiées et conduites par les associations des parents d’élèves, qui manquent généralement d’expertise suffisante pour les conduire
Source : Lejourquotidien.info