Les Camerounais et la dérive ethniciste : comment sortir du paradigme du pays organisateur et (ré) enchanter la République ?

Les Camerounais et la dérive ethniciste : comment sortir du paradigme du pays organisateur et (ré) enchanter la République ?

Thierry Amougou:Camer.beLe Cameroun, notre beau pays, est plongé depuis cinquante ans dans les ténèbres de l’incurie d’une gouvernance conçue comme jouissance sans limites des privilèges du pouvoir. Le berceau de nos ancêtres est empêtré depuis plus d’un demi-siècle dans le magma de la médiocrité et l’abîme d’un pouvoir corporatiste détourné de l’esprit républicain. Au quotidien, cela se répercute négativement sur la vie réelle des hommes, des femmes, des enfants et des institutions telle la justice dont le fonctionnement se situe désormais à mille lieues des arguments et des canevas d’un Etat de droit.
   
L’ennemi, est connu de tous. Il est identifié depuis l’Etat-colonial où il se donna à voir comme ceux du dedans et du dehors qui détiennent et promeuvent un pouvoir politique non désireux de se hisser au niveau des œuvres historiques au service de la vie des Hommes. Notre défi actuel et futur est aussi connu de tous : il est de réinventer un pouvoir politique qui se conçoive comme l’exercice de l’exaltante et noble mission d’être mandaté par son peuple pour régler les problèmes de ses concitoyens. Nous devons retrouver les sentiers perdus d’un pouvoir politique dont le rôle serait d’assurer la continuité, l’indivisibilité et la neutralité des droits et des devoirs qui tissent la toile de l’égalité entre les citoyens et fondent la République. Nous en sommes aujourd’hui très loin au regard, tant de la perpétuation de la dynamique libidineuse du pouvoir en place, que de la dérive ethnocentriste où se place la focale argumentative de plusieurs esprits camerounais. Situation d’autant plus préoccupante que ces esprits ne sont pas les moins avertis de ce qu’est un Etat, de ses fondements et de sa fragilité une fois soumis à des dynamiques primodialistes au détriment de ses allégeances suprêmes : un seul peuple, une même citoyenneté et un territoire commun.

En effet, comment, alors que le pays a besoin de mieux s’enraciner dans la justice politique afin de retisser les ponts entre citoyenneté camerounaise et vie réelle vécue de ses enfants, la pensée sur son passé, ses problèmes présents et son avenir s’abîme à ce point sur le nombrilisme et la généalogie dont le début et la fin ont été et seront toujours une question de sang différent, de sang pur, de sang impur et, finalement, de sang qui coule ? Pourquoi, alors qu’une nuit des ténèbres est tombée sur nous depuis 1960, des Camerounais avertis se décident à critiquer l’obscurité et à condamner leurs frères dans la souffrance, au lieu de chercher comment allumer une bougie ou tenir un flambeau d’espoir au sein d’un Tiers-Etat généralisé ? Le paradigme du pays organisateur est-il devenu « la Bible » d’une certaine pensée politique camerounaise adepte attardée de la Sainte Inquisition ? Avons-nous le nez assez costaud pour supporter la puanteur des effluves que nos argumentations réactivent des catacombes rwandaise, ivoirienne, yougoslave et du troisième Reich? Le Camerounais qui espère le meilleur a-t-il devant lui des intellectuels faussaires et criminels qui enverront l’espoir d’un peuple définitivement au cimetière de ses illusions de vie bonne une fois le pouvoir aux mains des siens ?  Avons-nous été contaminés par le système Ahidjo-Biya au point d’en être plus que la face cachée de sa pire reproduction future ? Où devons-nous placer le curseur de la pensée sur le Cameroun afin de nous éloigner du précipice auprès duquel nous dansons avec tant de désinvolture depuis un moment ?

Etant donné que nous avons l’énorme privilège, entant qu’hommes modernes, de résoudre nos désaccords par le débat, seule instance capable de domestiquer la violence du conflit tout en faisant bouger les lignes des uns et des autres, notre objectif est double : dire clairement ce que nous pensons de la dérive ethniciste qui guette notre pays, et préciser ce que nous proposons comme combat primordial pour le futur. En conséquence, notre thèse est simple. Elle tient en quatre idées :

1. Ceux qui, comme le Rdpciste Charles Ateba Eyene, dénoncent le fait que les populations du Sud ne bénéficient pas des retombées du pouvoir que détient depuis 1982 Paul Biya, ressortissant de ladite localité, ceux qui comme le Pr. Mouangué Kobila protègent les droits de l’autochtonie minoritaire au prisme de l’invasion allochtone (Bamiléké), et ceux qui, comme le Dr. Jean-Claude Shanda Ntomne s’appesantissent sur les droits naturels de la majorité bamiléké, défendent tous une variante de ce que nous appelons le paradigme du pays organisateur. Loin d’être affabulatrices, les thèses de ces compatriotes que nous ne partageons pas, sont les symptômes contemporains d’une République fourvoyée depuis plus de cinquante ans.

2. Le Cameroun n’a pas un problème ethnique et/ou tribal, mais un problème politique à résoudre par la poursuite incessante de l’idéal républicain.

3. Il y a une différence entre poser un problème pour en faire un fonds de commerce politique, et poser un problème pour le résoudre dans l’esprit républicain.

4. L’élite camerounaise de l’intelligence doit être « le sel et la lumière » du Cameroun de demain. Cela exige que nous sortions des problèmes par des analyses qui tirent la République vers l’excellence, et non par des argumentations qui l’orientent vers les bas-fonds des relents implosifs et explosifs des constructions politiques comme l’Etat.
   
Le paradigme du pays organisateur : d’où vient-il, comment se manifeste-t-il et quelles sont ses différentes variantes ?

 Le paradoxe du pays organisateur : élites productrices ou prédatrices ? Le cas de la province du Sud-Cameroun à l’ère Biya, Edition St. Paul Yaoundé, est un ouvrage qui connut un certain succès de librairie au Cameroun. Il fut écrit, il y a quelques années, par un apparatchik du RDPC, Mr. Charles Ateba Eyene. L’auteur y dénonce le fait que le peuple du Sud et son territoire dont les fils n’ont jamais été aussi fortement représentés dans les sphères du pouvoir, ne bénéficient pas des retombées de cette situation. De là, ce qu’il appela « le paradoxe du pays organisateur » car, en terres camerounaises, il relève d’une paradoxologie que ceux qui détiennent le pouvoir politique soient les moins servis par celui-ci depuis trente ans. Le résultat de son ouvrage est sans appel : Paul Biya est l’homme le plus détesté d’un Sud exploité mais non développé par ses fils au pouvoir, ses élites.

C’est de cette argumentation que nous partons pour mettre en exergue le schème de pensée politique qui structure l’analyse de Charles Ateba Eyene sans qu’il ne s’en rende compte lui-même. Dans « le Biyaïsme », notre dernier ouvrage, ce schème de pensée est ce que nous appelons le paradigme du pays organisateur. C'est-à-dire, la constriction tribale du Cameroun et ses incursions intempestives dans la gestion de l’Etat lui-même ne s’appréhendant plus que comme un espace polymorphe de liens de sang, territoriaux et généalogiques que les acteurs performants utilisent comme fonds de commerce politique pour se positionner, tant au sein du régime en place (Charles Ateba Eyene, Jacques Fame Ndongo, André Mama Fouda… ), qu’ au sein de l’opposition (Issa Tchiroma, Bouba Beilo Maïgari…) ou de la société civile (Shanda Ntomne, Mouangué Kobila, Hilaire Kamga…). Dès lors, le pays et son échiquier politique ne sont plus qu’un ensemble de libres électrons tribaux dont plusieurs leaders et intellectuels exaltent la persécution et les particularismes. Ces derniers sont présentés comme ne pouvant développer des forces centripètes vers le noyau de l’atome- politique (l’Etat-nation), que si l’ethnie dite victime est traitée avec plus d’égards. Dans le cas contraire, la menace politique brandie est celle de libérer les forces centrifuges de son ethnie comme preuves de son poids politique pouvant porter atteinte au vivre ensemble harmonieux au sein de l’Etat. Le paradigme du pays organisateur montre ainsi comment plusieurs Camerounais qui se revendiquent de la modernité politique, réactivent et aiguisent sans cesse la lame tribale et les identités ethno-raciales dans l’analyse des problèmes d’un Etat qu’ils veulent pourtant de droit. Il en résulte une industrie politique camerounaise où se dégagent trois instruments performants :

La motion de soutien qui aligne artificiellement une ethnie derrière le régime en place. Stratégie de Jacques Fame Ndongo et des signataires de Paul Biya, l’appel du peuple.

La pétition et/ou la menace comme arguments pour l’opposition politique, pour ceux qui estiment être exclus (Bamilékés via Hilaire Kamga, Shanda Ntomne et Maurice Kamto), ou pour ceux qui ont peur de perdre le pouvoir (les Beti via André Mama Fouda) : les élites du grand-nord, notamment Issa Tchiroma et Mamadou Moustapha et leurs compères, sont revenus aux affaires après une pétition des forces vives de ladite région dénonçant sa sous-représentation au sein du pouvoir en place. Le Pr. Mouangué Kobila et le Dr. Shanda Ntomne sont aussi dans la stratégie de la menace quand le ministre André Mama Fouda brandit en 2008, le spectre d’un génocide et d’une guerre tribale Beti contre Bamiléké. Ces derniers, accusés de fomenter des troubles contre le régime sous couvert des marches contre la réforme constitutionnelle, allaient, d’après André Mama Fouda et les notables du Nfoundi signataires de la déclaration, trouver sur leur route les forces vives du Nfoundi à nouveau revêtues de la tenue de combat de leurs ancêtres en lutte contre les allemands.

Le fameux équilibre régional qui sacralise un usage officiel de statistiques ethno-territoriales dans l’attribution des postes de responsabilité dans l’appareil d’Etat ou des places dans les grandes écoles nationales.

Les différents modes de pensées politiques adossés sur le paradigme du pays organisateur
Plusieurs schèmes de pensée politiques surgissent au Cameroun avec pour arrière fond analytique commun, le paradigme du pays organisateur. Ce qui les diffère est que le pays organisateur y prend des formes différentes. Et ce qui fait leur unité tient au fait que leur primordialisme politique disloque le projet républicain, entame ses promesses, centralise la rente politique de l’ethnie et, à la citoyenneté camerounaise, privilégie le télescopage nous autres contre vous autres. Sans être exhaustif, en voici quelques figures de styles parmi les plus en vue :

Le pays organisateur comme ceux dont la généalogie et la terre aura enfanté celui qui occupe le poste de Président de la République du Cameroun. Ce sont eux qui détiennent le sésame du développement, des postes de responsabilité et des privilèges. Il devrait à ce titre en profiter plus que tous les autres Camerounais ne faisant pas partie de berceau du pouvoir en place. Cette forme défendue par Charles Ateba Eyene fait automatiquement du Camerounais Président, la tête de pont, tant de l’accumulation d’une ethnie au détriment des autres, qu’une stratégie de capture de l’Etat et de la République par la terre natale et les frères de sang de celui qui déteint le pouvoir politique : « la chèvre broute où elle est attachée » ; « un Camerounais est quelqu’un derrière quelqu’un » ; « c’est nous qui mangeons » sont quelques figures de styles de cette variante du pays organisateur.

Le pays organisateur comme autochtones d’une partie du Cameroun qu’on détache du territoire national qui ne devient plus qu’un conglomérat disparate de terres d’autochtones aux droits surplombant ceux des autochtones d’ailleurs désormais allochtones ici. C’est la citoyenneté camerounaise à genoux devant les droits inaliénables de l’autochtonie. Cette thèse qui est celle du Pr. Mouangué Kobila fait de la République camerounaise, un projet de vie où l’équilibre entre les droits et les devoirs des citoyens camerounais sera chaque fois à redéfinir au profit de l’autochtone et au détriment de tout autre Camerounais n’ayant pas le privilège de ce statut d’autochtone où il se trouve. C’est donc l’autochtonie le pays organisateur car c’est elle qui doit toujours avoir le dernier mot.

Le pays organisateur comme ethnie majoritaire. Dans cette variante défendue par les arguments du Dr. Shanda Ntomne, c’est l’ethnie majoritaire par rapport aux autres ethnies qui doit avoir le pouvoir politique. Il en résulte automatiquement une dominance logique et naturelle de ladite ethnie majoritaire sur les autres dites minoritaires sur le plan statistique. Dès lors, dans toutes les parties du Cameroun, la préséance des droits de cette ethnie majoritaire sur ceux de la citoyenneté camerounaise entreraient automatiquement en conflit avec la préséance de droits des autochtones sur ceux conférés par la citoyenneté camerounaise. De là, les prémisses d’un choc de titans dans le futur car il s’agirait de trouver qui de l’ethnie autochtone du Pr. Mouangué Kombila ou de l’ethnie majoritaire du Dr. Shanda Ntomne, aura le dernier mot. Avec un avantage probable pour le Dr. Shanda Ntomne car son ethnie-Eléphante est capable de tout broyer sur son passage.

Le pays organisateur comme ceux qui n’ont pas encore mangé et doivent maintenant manger. Cette variante dont le Pr. Maurice Kamto et son réseau choc pour 2018 sont les défenseurs, réduit aussi la République en « une mangeoire nationale » où chaque ethnie a son tour comme maîtresse du grand banquet, les caisses de l’Etat. Les Peuls ayant déjà mangé, n’est-il pas temps aujourd’hui que l’on laisse aussi les Bamiléké manger ? cette question nous a été posée l’an passée par un ingénieur camerounais lors de la dédicace à Paris de notre ouvrage, le Biyaïsme. La République est conçue ici comme un ensemble d’ethnies, et sa gouvernance assimilée à une occupation rotative de la place centrale de « la mangeoire nationale » par chaque ethnie. Gouverner, c’est se servir, manger et nourrir son lignage à tour de rôle.

Cette typologie donne plusieurs informations. La forme de pensée défendue par Charles Ateba Eyene est ce que nous appelons le pays organisateurs régnant car effectivement au pouvoir. Les autres formes sont des pays organisateurs aspirants car voulant occuper la place de celui de Charles Ateba Eyene. Dans ces trois paradigmes, notre ethnie à tous n’est plus la citoyenneté camerounaise, notre territoire à tous n’est plus le territoire national, ce n’est plus un Camerounais qui est Président mais un Beti, un Bamiléké, un Anglophone etc. La République n’est plus la chance de tous les Camerounaise, mais uniquement celle de l’ethnie au pouvoir, de l’ethnie autochtone et/ou de l’ethnie majoritaire. Toutes les allégeances impersonnelles qui servent de liants entre Camerounais ne sont plus fonctionnelles. Elles sont inféodées aux droits de la minorité ethnique, aux droits de la majorité ethnique, aux droits de l’ethnie au pouvoir et aux droits de ceux qui n’ont pas encore mangé et doivent maintenant aussi manger. En outre, la démocratie que nous disons tous vouloir, devient de la langue de bois incarnée car, fonctionnant avec de telles dispositions mentales, nous ne cherchons plus une société démocratique, mais plutôt l’érection des identités ethno-raciales et ethno-territoriales comme modes d’accès au pouvoir et comme principes à la base de nos droits et devoirs. Les défenseurs de telles visions auraient pu avoir un crédit théorique si la nation camerounaise avait eu un fondement ethnique comme l’est par exemple l’Allemagne ou prévalut le droit du sang. Sous cette hypothèse, le Dr. Shanda et le Pr. Kobila feraient alors partie de l’approche traditionaliste de l’Etat-nation. Mais il se fait que le Cameroun n’a pas une origine ethnique. La thèse valable ici est celle des modernistes selon laquelle il est une construction historique dont les assises sont à la fois politiques et institutionnelles.

Il y a une différence entre poser un problème pour en faire un fonds de commerce politique et poser un problème pour le résoudre dans l’esprit républicain

 Loin de nous l’idée de nier l’existence au Cameroun de multiples sentiments d’appartenance communautaire. Les identités ethno-raciales et ethno-territoriales y sont aussi des réalités sociologiques et démographiques. Nous pensons-mêmes que ces identités ethno-raciale et ethno-territoriales constituent la richesse inaliénable de notre pays. Le Cameroun ne serait pas l’Afrique en miniature s’il avait été autrement le cas : notre diversité est une richesse et non un opérateur de division à hypertrophier. Nous pensons qu’une décentralisation républicaine peut permettre un meilleur développement de cette diversité comme richesse nationale.

 Qui plus est, si nous faisons une lecture positive du paradigme du pays organisateur, alors ce que dit Charles Ateba Eyene devient tout simplement la description du Cameroun tel qu’il fonctionne réellement depuis 1960 sur bases, tant de l’équilibre régional, que d’une ethnie au pouvoir se coalisant avec d’autres ethnies pour faire la loi sur tout et tous. Cette lecture positive qui reviendrait à faire une sorte de realpolitik à la camerounaise, indique que les générations actuelles ont hérité d’une République fourvoyée dans ses principes de base par ceux qui ont été au pouvoir depuis plus de cinquante ans. Via cette lecture positive, il apparaît que les thèses défendues par le Dr. Shanda Ntomne et le Pr. Mouangué Kobila deviennent, autant que leurs auteurs, des symptômes d’un projet républicain trahi par Ahmadou Ahidjo et Paul Biya depuis 1960. Le dire n’évacue cependant pas le potentiel conflictuel et dangereux des arguments développés par ces deux compatriotes car il y a une nette et grande différence entre mettre en évidence un problème, et utiliser la rente politique de l’ethnie pour se positionner politiquement. Quand la première attitude, dans un esprit de construction, se fait par une mise en forme sociétale du problème décelé en le présentant comme étant une carence du projet républicain, la deuxième attitude rejoint plutôt un opportunisme politique dont les retombées peuvent, soit donner un statut de défenseurs intracommunautaires à ceux qui les tiennent, soit  liguer les ethnies les unes contre les autres en portant ainsi un sacré coup au projet républicain et à la nation. Chercher la rente politique de l’ethnie est très dangereux pour la promotion des libertés, car toute rente n’a besoin pour exister ni de démocratie, ni de participation et encore moins de travail. Elle ouvre plutôt la voie au populisme ethnique avec toutes les dérives fascisantes possibles. 
  
Comment sortir du paradigme du pays organisateur et (ré) enchanter la République ?

 Nous n’avons pas le droit de tomber dans une moindre anorexie analytique. Nous n’avons pas le droit de laisser le moindre garrot de la dictature obstruer nos neurones. Nous n’avons pas le droit de céder aux solutions de facilité. Nous n’avons pas le droit de transformer l’autre en enfer comme le dirait Jean Paul Sartre. Notre obsession doit être une réinvention constante du projet républicain.

Les récents évènements de Douala et la lettre des Borroro au Président sont des preuves tangibles que la République ne fera jamais disparaître complètement les identités ethno- raciales et ethno-territoriales. De temps en temps, elles resurgissent en Belgique entre Wallons et Flamands, entre Italiens du Sud et du Nord, en Corse en France ou alors dérivent en communautarisme en Angleterre et aux USA. Mais, tout compte fait, le projet républicain est notre seule chance pour qu’on puisse vivre ensemble tous autant que nous sommes et aussi divers que nous le sommes. C’est lorsque le projet républicain a failli comme c’est le cas au Cameroun depuis plus de cinquante ans, que les identités ethno-raciales et ethno-territoriales sont réactivées et cherchent à déclasser la République parce que celle-ci n’aura pas tenu ses promesses d’émancipation de tous partout. Les leaders et les populations reviennent alors aux référents pré-étatiques en espérant ainsi compenser les carences d’un projet républicain qui ne fait plus l’unanimité et le bonheur de tous. Les propos du Dr. Shanda Ntomne et du Pr. Mouangué Kobila sont les conséquences d’un projet républicain en crise à cause des dictatures en place depuis 1960. Cela implique, l’Etat et la République étant des normes, que nous devons utiliser la lecture positive du paradigme du pays organisateur, pour développer sa lecture normative au service du projet républicain. La focale analytique de notre pensée politique sur le Cameroun de demain est, à notre humble avis, à replacer de toute urgence dans trois choses :

1. D’abord, ce qui permet à notre diversité nationale de s’exprimer à la fois comme une richesse nationale (la démocratie le permet) et comme le laboratoire miniaturisée du projet panafricaniste de nos aînés dans la lutte pour le Cameroun et l’Afrique libres (une pensée politique non ethnocentriste le permet).

2. Ensuite, pondérer fortement tout ce qui renforce la citoyenneté camerounaise, l’unité du peuple, du territoire et la symétrie des droits et des devoirs entre tous (une politique juste à la tête de l’Etat le permet autant que des instances libres).

3. Enfin, élargir notre logiciel politique par l’alter mondialisme qui négocie de nouveaux espaces de pouvoir, de nouvelles formes d’Etats, de nouveaux types de marché et de nouveaux systèmes financiers favorables au développement des peuples du bas.

 Notre pays n’a donc pas un problème ethnique et/ ou tribal, mais un problème politique à résoudre politiquement par des politiques publiques justes et équitables parce que républicaines. Au lieu de réveiller nos pulsions de mort, au lieu de réactiver nos bas instincts animaux qui pourraient faire de chacun de nous un loup pour l’autre, nous devons travailler avec acharnement au renforcement continu de l’Etat, de la nation et de la République. C’est au service des ces normes-là que doit être notre lecture positive du paradigme du pays organisateur. Les intellectuels, plus que tout autre Camerounais, sont impardonnables s’ils deviennent des promoteurs des identités meurtrières. Ils sont impardonnables s’ils laissent leur intelligence se fourvoyer. Ils doivent être « le sel et le lumière » du pays et non ses fossoyeurs. Notre pays organisateur à tous doit être le Cameroun, notre ethnie à tous la citoyenneté camerounaise, et notre boussole politique, bâtir un Etat de droits et de devoirs identiques pour tous. Si nous le faisons, alors les Camerounais de demain pourront fredonner sous un baobab :

 Soudain, derrière l’arc-en-ciel camerounais, la pluie se mêle au soleil.
J’ai le cœur qui bat à l’unisson de la liberté retrouvée et de la diversité redevenue force et ciment de mon Afrique en miniature.
Ô mon beau Cameroun, je t’ai enfin retrouvé !

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, Président de la Fondation Moumié


22/03/2012
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