Les absences de Paul Biya sont préjudiciables à la marche de l’État

Les absences de Paul Biya sont préjudiciables à la marche de l’État

Le journaliste et acteur sociopolitique Joseph Marie Eloundou revient ce jour sur les absences à répétition du président Paul Biya du Cameroun. Selon ce dernier, ce n’est pas le fait d’être absent  qui est un problème en soi.  Ce qu’il faut se demander pourquoi c’est «l’impact  que son absence sur la marche de l’Etat ?  Si son absence pose un préjudice à la bonne marche de l’Etat, un citoyen pourrait « réclamer » sa démission. Maintenant a-t-il la compétence de « demander » la démission ?



M. Mba Talla & MS Fongang: Un président toujours absent  pourquoi ?
Joseph Marie Eloundou : Les raisons de ses multiples absences sont toujours tenues secrètes. D'abord, le mois d’octobre semble ne pas porter bonheur à Monsieur Biya, dont l’entourage nous dit ne plus supporter de longs voyages. On se souvient que l’année dernière, son voyage au sommet de la francophonie de Québec au mois d’octobre avait laissé voir un président très fatigué, affaiblie sans doute par le très long voyage qui sépare le Canada de l’Europe. Avec pour comble de malheur la fatigue du décalage horaire.

 

Le conseil constitutionnel (ce qui en tient lieu actuellement au Cameroun) peut-il constater la vacance de pouvoir du président de la République ?
Vous savez très bien que cet instrument n’est pas permanent et que c’est la Cour Suprême qui « exerce les attributions du Conseil Constitutionnel jusqu’à la mise en œuvre de celui-ci ».Cf. article 67 al. 4 La Cour Suprême  se mue donc périodiquement en cours constitutionnelle, généralement en période électorale. Pour répondre clairement à votre question, aucun mécanisme constitutionnel clair ne permet de constater la vacance du pouvoir du Président de la République au Cameroun. Il est à remarquer la peine avec laquelle les institutions démocratiques se mettent en place chez nous. 


Notre confrère Le Jour quotidien publiait dans un de ses articles que le Président Paul Biya avait passé 115 jours sur 300 passés à l’étranger depuis le début de l’année 2009 dont 98 jours de séjour privé et seulement 15 jours de séjour officiel. Après 3 mois d’absence, peut- on constater une vacance du pouvoir ?  Sinon combien de jours faut-il ?
La Constitution est muette sur la question. Il est à observer que les multiples séjours à l’étranger du Président de la République  profitent aux collaborateurs du chef de l’Etat ; ceux-ci font leurs affaires pendant ce temps : le chat parti, les souris dansent. C’est ainsi que se sont est installées l’impunité et l’inertie. Le laxisme a pris ses quartiers dans notre pays. La maffia administrative en profite pour faire main basse sur la fortune publique.


Est-ce qu’un citoyen camerounais peut demander la démission du président au Cameroun pour absence répétée du pays.
Il me semble qu’il est important de préciser que le fait d’être absent n’est pas un problème en soi. Je pense qu’il faut se demander pourquoi il s’absente et quel impact a son absence sur la marche de l’Etat ?  Si son absence pose un préjudice à la bonne marche de l’Etat, un citoyen pourrait « réclamer » sa démission. Maintenant a-t-il la compétence de « demander » la démission ? Là, la question devient vraiment sérieuse car, il s’agit bel et bien de la plus haute fonction de l’Etat et je pense qui si l’on est sérieux, on ne saurait laisser une telle action entre les mains d’un citoyen. Par ailleurs vous voyez bien que c’est par pudeur qu’on ne dit pas l’empereur BIYA. M. Paul BIYA est au-dessus de la loi. C’est ça les républiquettes. Dans l’Etat actuel de nos institutions, de notre opposition, de notre société civile et de nos consciences, quiconque se trouverait à la place de Paul BIYA aurait tendance à se comporter en roi. Regardez comment se comportent nos membres du gouvernement, ce sont tous des roitelets. Le premier ministre pour effectuer les quelques mètres qui le séparent de sont bureau se livrent quotidiennement à un spectacle indescriptible. Sirène, route barrée. Idem pour le ministre de la défense. Ils n’ont de comptes à rendre à personne. Vous les voyez toujours tirés à quatre épingles. Jamais ou presque, ils ne descendent sur le terrain. Le Président est en costume. Il en est de même pour les ministres, les Gouverneurs, les Directeurs, les  ingénieurs, les députés, les maires ! Qui est donc sur le terrain ? Ils sont tous déconnectés.


Premièrement à qui s’adresserait-il ? À la cours constitutionnelle ou bien directement à la justice qui constaterait une absence répétée du président ?
La constitution ne décrit pas clairement la démarche mais, j’imagine au regard de ce qui se passe ailleurs que le constat de l’absence du Président et des conséquences engendrées doivent être suffisamment visibles pour mettre en branle un certain nombre de mécanismes institutionnels notamment l’article 10 al.3 concernant l’empêchement temporaire, avant de constater la vacance art.6 al.4. Il me semble que ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. On a vu des cas de chefs d’Etat africains malades des années durant, qui ont occupé leur fonction jusqu’à la fin de leur jour. Voyez le cas actuel du Président Nigérian.


Au niveau du RDPC, y a-t-il un mécanisme qui encadre les absences du président du parti ?
Dans le cas d’espèce, le Président du parti est également le Président de la République. Ici les absences ne posent aucun problème. Par contre, en cas de « vacances », il existe là bas des vice- présidents


On entend plusieurs barrons du parti se plaindre sous couvert de l’anonymat que les absences répétées du pays de Paul Biya, président du RDPC, paralyse la tenue du congrès ordinaire du parti dont le dernier date de 1996 ?
Il n’y a pas que les barons qui se plaignent. Les progressistes de ce parti et les militants de base se plaignent aussi. Maintenant les absences du pays du chef de l’Etat peuvent-elles vraiment empêchées la tenue d’un congrès ordinaire du parti 14 ans durant ? Comment font-ils pour tenir des Congrès extraordinaires. Mais je pense qu’ils ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes car, je reste convaincu qu’ils existent des mécanismes contraignant dans les textes de ce parti, permettant de tenir un congrès sans forcement s’en référer au Président.  D’autres part, cette situation arrangent certainement ceux qui commandent le régime car, le Congrès est un grand moment au cours duquel on rend compte. Je reste convaincu que cette défaillance n’a pas permis à ce parti de faire son aggiornamento, et de limiter les dégâts qui le mine à ce jour. En tout cas plus que jamais, au moment où l’opération épervier bat son plein et que des membres influents du RDPC son fortement indexés, le parti de Paul BIYA a plus que jamais intérêt à faire le point, s’il veut éviter l’implosion.


S’il n’y a aucun moyen de démettre un président toujours absent on pourrait donc dire que le parti est sa propriété?
On peut penser au moins deux choses : soit le parti tel qu’il fonctionne arrange tout le monde et les gens font semblant de se plaindre, soit les absences ne gênent pas du tout. Si leurs plaintes sont sincères, on ne peut que déplorer le déficit de capacité de ses militants à remettre de l’ordre dans leur parti


À ce sujet il semble y avoir un vide juridique tant au niveau de l’état que du parti. Est-ce qu’il y a vraiment une différence entre le RDPC et l’État Camerounais ?
Deux faits apparemment banaux montrent que de manière quasi inconsciente, il n’ y a plus de différence entre le parti et l’Etat. Lors du 3ème Congrès extraordinaire du RDPC, tenu le 21 juillet 2006, le discours du Président du Parti avait été rédigé sur l’en-tête de la présidence de la République. Il en est de même de la récente lettre adressé au camerounais. C’est un véritable confusionnisme. Il est assez difficile en réalité de faire la différence, tant que le chef de l’Etat est en même temps président du RDPC. Nous ne sommes pas loin de la thèse du célèbre politiste camerounais Mathias Eric Owona Nguini qui dit que le RDPC est un pari d’Etat à ne pas confondre avec un parti Etat.  


S’il fallait changer la loi pour encadrer les absences répétées du chef de l’État. Comment définir les pouvoirs du judiciaire et de l’exécutif quand on sait que le judiciaire est nommé par l’exécutif qui ne rend aucun compte devant le peuple?
Il faut véritablement séparer les pouvoirs. Hors chez nous le chef de l’Etat est chef de tout. A notre humble avis, le problème ne réside pas tant que cela sur les absences répétées. La vérité est que l’Etat est fortement centralisé et les déplacements du chef de l’Etat bloquent la marche du pays. Il faut décentraliser. Personne ne prend ses responsabilités. L’on pratique la politique de l’expectative.  Il est nécessaire de donner plus de pouvoir et plus de marge de manœuvre au gouvernement. Il faut que le chef de l’Etat fasse confiance aux hommes qu’il nomme lui-même. Ils vivent en permanence l’angoisse d’un remaniement ministériel. Ils se suspectent, se guettent, se font des coups bas. Le gouvernement est le lieu de toutes les ruses, des trahisons et des perfidies.
La seule infraction qu’on peut reconnaître au chef de l’état est la haute trahison. Qui d’ailleurs est haute trahison. Encore que cette infraction est l'une des moins bien définies dans le droit pénal camerounais. Elle est laissée à la libre appréciation de la Haute Cour de justice. Alors est ce qu’on ne se trouve là dans un cul de sac?
Je pense que tel que le modèle set conçu – ceci était aussi vrai à l’époque du 1er Président - le chef d’Etat n’est pas loin d’un empereur ou d’un roi. Quand on observe le comportement de l’élite intellectuelle et gouvernante, on voit bien qu’on n’est pas loin de l’époque médiévale. Et la dernière modification de la constitution a bien renforcé la quasi immunité du chef de l’Etat, même après son départ.


Beaucoup de citoyens parlent également de la possibilité d’établir un âge maximum pour se présenter où bien se représenter candidat. Ceci d’autant plus qu’on à un âge minimum, 35 ans pour  être candidats. Qu’en pensez-vous?
Le moyen le plus sûr de régler toutes les questions liées à l’alternance c’est de limiter le nombre de mandats. 


On connaît les problèmes de santé récurent passé les 70 ans. Est-ce qu’à cet âge on ne s’occupe pas plus de sa santé que des affaires courantes de la République?
Lorsqu’un homme est bien géré, c'est-à-dire, bien alimenté, bien soigné, bien logé, instruit, il peut se porter comme un charme et garder toute sa lucidité jusqu’à 80 ans. Abdoulaye Wade pétillent d’énergie. Le plus grand danger dans le cas d’espèce c’est l’usure du pouvoir. Après un certain nombre d’années, et c’est scientifique, il y a forcément décroissance en termes de capacité à produire de nouvelles idées et à s’adapter aux réalités d’un environnement souvent changeant. En économie, on parle de la décroissance de l’efficacité marginale du Travail. Il y a aussi le problème de génération. Voyez le décalage d’âge entre le chef de l’Etat et certains de ses collaborateurs les plus proches. Il est parfois de plus de trois décennies. Toutes fois, il peut aussi s’il est bon manager, utiliser avantageusement ce sang neuf. Pourvu qu’il leur fasse confiance et les responsabilise réellement. Ce serait un bon passage de témoin.


Le Bénin à réussit à introduire 75 ans comme la limite d’âge maximum pour se porter  candidat à la magistrature suprême. Ce qui a eu pour effet positif de permettre une alternative à la tête du Bénin et surtout la sortie du président Kérékou et l’opposant Nicéphore Soglo. Que pensez-vous de cela?
Je vous ai dit que pour nous, le plus important c’est la limitation des mandats. Il y a des jeunes, physiquement parlant, qui sont complètement et intellectuellement archaïques. Nous avons besoin de patriotes à la tête de nos Etats. Des gens ambitieux, conscients des enjeux d’aujourd’hui et ceux de demain. Et qui se mettent au service de leur peuple.


Propos recueillis par M. MbaTalla et MS Fongang



16/03/2010
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