Les absences de Paul Biya sont préjudiciables à la marche de l’État
Les absences de Paul Biya sont préjudiciables à la marche de l’État
Écrit par M. Mba Talla & MS Fongang | Yaoundé Mardi, 16 Mars 2010 18:05
Le journaliste et acteur sociopolitique Joseph Marie Eloundou revient ce jour sur les absences à répétition du président Paul Biya du Cameroun. Selon ce dernier, ce n’est pas le fait d’être absent qui est un problème en soi. Ce qu’il faut se demander pourquoi c’est «l’impact que son absence sur la marche de l’Etat ? Si son absence pose un préjudice à la bonne marche de l’Etat, un citoyen pourrait « réclamer » sa démission. Maintenant a-t-il la compétence de « demander » la démission ?
M. Mba Talla & MS Fongang: Un président toujours absent pourquoi ?
Joseph
Marie Eloundou : Les raisons de ses multiples absences sont toujours
tenues secrètes. D'abord, le mois d’octobre semble ne pas porter
bonheur à Monsieur Biya, dont l’entourage nous dit ne plus supporter de
longs voyages. On se souvient que l’année dernière, son voyage au
sommet de la francophonie de Québec au mois d’octobre avait laissé voir
un président très fatigué, affaiblie sans doute par le très long voyage
qui sépare le Canada de l’Europe. Avec pour comble de malheur la
fatigue du décalage horaire.
Le conseil constitutionnel (ce
qui en tient lieu actuellement au Cameroun) peut-il constater la
vacance de pouvoir du président de la République ?
Vous
savez très bien que cet instrument n’est pas permanent et que c’est la
Cour Suprême qui « exerce les attributions du Conseil Constitutionnel
jusqu’à la mise en œuvre de celui-ci ».Cf. article 67 al. 4 La Cour
Suprême se mue donc périodiquement en cours constitutionnelle,
généralement en période électorale. Pour répondre clairement à votre
question, aucun mécanisme constitutionnel clair ne permet de constater
la vacance du pouvoir du Président de la République au Cameroun. Il est
à remarquer la peine avec laquelle les institutions démocratiques se
mettent en place chez nous.
Notre confrère Le Jour
quotidien publiait dans un de ses articles que le Président Paul Biya
avait passé 115 jours sur 300 passés à l’étranger depuis le début de
l’année 2009 dont 98 jours de séjour privé et seulement 15 jours de
séjour officiel. Après 3 mois d’absence, peut- on constater une vacance
du pouvoir ? Sinon combien de jours faut-il ?
La
Constitution est muette sur la question. Il est à observer que les
multiples séjours à l’étranger du Président de la République profitent
aux collaborateurs du chef de l’Etat ; ceux-ci font leurs affaires
pendant ce temps : le chat parti, les souris dansent. C’est ainsi que
se sont est installées l’impunité et l’inertie. Le laxisme a pris ses
quartiers dans notre pays. La maffia administrative en profite pour
faire main basse sur la fortune publique.
Est-ce qu’un citoyen camerounais peut demander la démission du président au Cameroun pour absence répétée du pays.
Il
me semble qu’il est important de préciser que le fait d’être absent
n’est pas un problème en soi. Je pense qu’il faut se demander pourquoi
il s’absente et quel impact a son absence sur la marche de l’Etat ? Si
son absence pose un préjudice à la bonne marche de l’Etat, un citoyen
pourrait « réclamer » sa démission. Maintenant a-t-il la compétence de
« demander » la démission ? Là, la question devient vraiment sérieuse
car, il s’agit bel et bien de la plus haute fonction de l’Etat et je
pense qui si l’on est sérieux, on ne saurait laisser une telle action
entre les mains d’un citoyen. Par ailleurs vous voyez bien que c’est
par pudeur qu’on ne dit pas l’empereur BIYA. M. Paul BIYA est au-dessus
de la loi. C’est ça les républiquettes. Dans l’Etat actuel de nos
institutions, de notre opposition, de notre société civile et de nos
consciences, quiconque se trouverait à la place de Paul BIYA aurait
tendance à se comporter en roi. Regardez comment se comportent nos
membres du gouvernement, ce sont tous des roitelets. Le premier
ministre pour effectuer les quelques mètres qui le séparent de sont
bureau se livrent quotidiennement à un spectacle indescriptible.
Sirène, route barrée. Idem pour le ministre de la défense. Ils n’ont de
comptes à rendre à personne. Vous les voyez toujours tirés à quatre
épingles. Jamais ou presque, ils ne descendent sur le terrain. Le
Président est en costume. Il en est de même pour les ministres, les
Gouverneurs, les Directeurs, les ingénieurs, les députés, les maires !
Qui est donc sur le terrain ? Ils sont tous déconnectés.
Premièrement à qui
s’adresserait-il ? À la cours constitutionnelle ou bien directement à
la justice qui constaterait une absence répétée du président ?
La
constitution ne décrit pas clairement la démarche mais, j’imagine au
regard de ce qui se passe ailleurs que le constat de l’absence du
Président et des conséquences engendrées doivent être suffisamment
visibles pour mettre en branle un certain nombre de mécanismes
institutionnels notamment l’article 10 al.3 concernant l’empêchement
temporaire, avant de constater la vacance art.6 al.4. Il me semble que
ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. On a vu des cas de
chefs d’Etat africains malades des années durant, qui ont occupé leur
fonction jusqu’à la fin de leur jour. Voyez le cas actuel du Président
Nigérian.
Au niveau du RDPC, y a-t-il un mécanisme qui encadre les absences du président du parti ?
Dans
le cas d’espèce, le Président du parti est également le Président de la
République. Ici les absences ne posent aucun problème. Par contre, en
cas de « vacances », il existe là bas des vice- présidents
On entend plusieurs barrons
du parti se plaindre sous couvert de l’anonymat que les absences
répétées du pays de Paul Biya, président du RDPC, paralyse la tenue du
congrès ordinaire du parti dont le dernier date de 1996 ?
Il
n’y a pas que les barons qui se plaignent. Les progressistes de ce
parti et les militants de base se plaignent aussi. Maintenant les
absences du pays du chef de l’Etat peuvent-elles vraiment empêchées la
tenue d’un congrès ordinaire du parti 14 ans durant ? Comment font-ils
pour tenir des Congrès extraordinaires. Mais je pense qu’ils ne doivent
s’en prendre qu’à eux-mêmes car, je reste convaincu qu’ils existent des
mécanismes contraignant dans les textes de ce parti, permettant de
tenir un congrès sans forcement s’en référer au Président. D’autres
part, cette situation arrangent certainement ceux qui commandent le
régime car, le Congrès est un grand moment au cours duquel on rend
compte. Je reste convaincu que cette défaillance n’a pas permis à ce
parti de faire son aggiornamento, et de limiter les dégâts qui le mine
à ce jour. En tout cas plus que jamais, au moment où l’opération
épervier bat son plein et que des membres influents du RDPC son
fortement indexés, le parti de Paul BIYA a plus que jamais intérêt à
faire le point, s’il veut éviter l’implosion.
S’il n’y a aucun moyen de démettre un président toujours absent on pourrait donc dire que le parti est sa propriété?
On
peut penser au moins deux choses : soit le parti tel qu’il fonctionne
arrange tout le monde et les gens font semblant de se plaindre, soit
les absences ne gênent pas du tout. Si leurs plaintes sont sincères, on
ne peut que déplorer le déficit de capacité de ses militants à remettre
de l’ordre dans leur parti
À ce sujet il semble y
avoir un vide juridique tant au niveau de l’état que du parti. Est-ce
qu’il y a vraiment une différence entre le RDPC et l’État Camerounais ?
Deux
faits apparemment banaux montrent que de manière quasi inconsciente, il
n’ y a plus de différence entre le parti et l’Etat. Lors du 3ème
Congrès extraordinaire du RDPC, tenu le 21 juillet 2006, le discours du
Président du Parti avait été rédigé sur l’en-tête de la présidence de
la République. Il en est de même de la récente lettre adressé au
camerounais. C’est un véritable confusionnisme. Il est assez difficile
en réalité de faire la différence, tant que le chef de l’Etat est en
même temps président du RDPC. Nous ne sommes pas loin de la thèse du
célèbre politiste camerounais Mathias Eric Owona Nguini qui dit que le
RDPC est un pari d’Etat à ne pas confondre avec un parti Etat.
S’il fallait changer la loi
pour encadrer les absences répétées du chef de l’État. Comment définir
les pouvoirs du judiciaire et de l’exécutif quand on sait que le
judiciaire est nommé par l’exécutif qui ne rend aucun compte devant le
peuple?
Il faut véritablement séparer les pouvoirs. Hors
chez nous le chef de l’Etat est chef de tout. A notre humble avis, le
problème ne réside pas tant que cela sur les absences répétées. La
vérité est que l’Etat est fortement centralisé et les déplacements du
chef de l’Etat bloquent la marche du pays. Il faut décentraliser.
Personne ne prend ses responsabilités. L’on pratique la politique de
l’expectative. Il est nécessaire de donner plus de pouvoir et plus de
marge de manœuvre au gouvernement. Il faut que le chef de l’Etat fasse
confiance aux hommes qu’il nomme lui-même. Ils vivent en permanence
l’angoisse d’un remaniement ministériel. Ils se suspectent, se
guettent, se font des coups bas. Le gouvernement est le lieu de toutes
les ruses, des trahisons et des perfidies.
La seule infraction qu’on
peut reconnaître au chef de l’état est la haute trahison. Qui
d’ailleurs est haute trahison. Encore que cette infraction est l'une
des moins bien définies dans le droit pénal camerounais. Elle est
laissée à la libre appréciation de la Haute Cour de justice. Alors est
ce qu’on ne se trouve là dans un cul de sac?
Je pense que tel que le
modèle set conçu – ceci était aussi vrai à l’époque du 1er Président -
le chef d’Etat n’est pas loin d’un empereur ou d’un roi. Quand on
observe le comportement de l’élite intellectuelle et gouvernante, on
voit bien qu’on n’est pas loin de l’époque médiévale. Et la dernière
modification de la constitution a bien renforcé la quasi immunité du
chef de l’Etat, même après son départ.
Beaucoup de citoyens
parlent également de la possibilité d’établir un âge maximum pour se
présenter où bien se représenter candidat. Ceci d’autant plus qu’on à
un âge minimum, 35 ans pour être candidats. Qu’en pensez-vous?
Le moyen le plus sûr de régler toutes les questions liées à l’alternance c’est de limiter le nombre de mandats.
On connaît les problèmes de
santé récurent passé les 70 ans. Est-ce qu’à cet âge on ne s’occupe pas
plus de sa santé que des affaires courantes de la République?
Lorsqu’un
homme est bien géré, c'est-à-dire, bien alimenté, bien soigné, bien
logé, instruit, il peut se porter comme un charme et garder toute sa
lucidité jusqu’à 80 ans. Abdoulaye Wade pétillent d’énergie. Le plus
grand danger dans le cas d’espèce c’est l’usure du pouvoir. Après un
certain nombre d’années, et c’est scientifique, il y a forcément
décroissance en termes de capacité à produire de nouvelles idées et à
s’adapter aux réalités d’un environnement souvent changeant. En
économie, on parle de la décroissance de l’efficacité marginale du
Travail. Il y a aussi le problème de génération. Voyez le décalage
d’âge entre le chef de l’Etat et certains de ses collaborateurs les
plus proches. Il est parfois de plus de trois décennies. Toutes fois,
il peut aussi s’il est bon manager, utiliser avantageusement ce sang
neuf. Pourvu qu’il leur fasse confiance et les responsabilise
réellement. Ce serait un bon passage de témoin.
Le Bénin à réussit à
introduire 75 ans comme la limite d’âge maximum pour se porter
candidat à la magistrature suprême. Ce qui a eu pour effet positif de
permettre une alternative à la tête du Bénin et surtout la sortie du
président Kérékou et l’opposant Nicéphore Soglo. Que pensez-vous de
cela?
Je vous ai dit que pour nous, le plus important c’est
la limitation des mandats. Il y a des jeunes, physiquement parlant, qui
sont complètement et intellectuellement archaïques. Nous avons besoin
de patriotes à la tête de nos Etats. Des gens ambitieux, conscients des
enjeux d’aujourd’hui et ceux de demain. Et qui se mettent au service de
leur peuple.
Propos recueillis par M. MbaTalla et MS Fongang