Législatives: La supercherie reprend ses droits

Yaoundé, 05 juillet 2013
© GEORGES ALAIN BOYOMO | Correspondance

La répartition des sièges et le découpage spécial cachent mal les intentions du pouvoir de fausser le jeu électoral.

La revendication de l'opposition et la sonnette d'alarme tirée par l'ancien Minatd, Marafa Hamidou Yaya, au sujet du découpage électoral ont glissé sur le président de la République, Paul Biya, comme l'eau sur les plumes d'un canard. Ignorant les derniers résultats du recensement général de la population rendus publics le 14 avril 2010, le chef de l'Etat a reconduit par décret mercredi dernier la répartition des sièges par régions découlant du décret n92/013 du... 15 janvier 1992. Ainsi, sur la base de cette démarche qui s'appuie sur l'article 150 du code électoral «un décret du président de la République fixe le nombre de députés représentant chaque circonscription électorale», les sièges sont ventiles comme suit: Adamaoua (10 députés), Centre (28), Est (11), Extrême-Nord (29), Littoral (19), Nord (12), Nord-Ouest (20), Ouest (25), Sud (11) et Sud-Ouest (15). «L'iniquité est (...) évidente, en ce sens que certaines circonscriptions ont plus de sièges que d'autres, pourtant 5 voire 7 fais plus peuplées», indiquait Marafa Hamidou Yaya, dans sa lettre adressée le 02 juin dernier à Paul Biya, lui qui a été le patron des élections entre 2002 et 2011.

Le second décret signé par le chef de l'Etat mercredi trahit davantage le souci de piper les dés avant la tenue des législatives le 30 septembre prochain. Ledit décret porte «découpage spécial de certaines circonscriptions électorales et répartition des sièges au sein desdites circonscriptions». Il s'adosse sur l'article 149 du code électoral qui dispose que « le département constitue la circonscription électorale [pour les législatives]. Toutefois, compte tenu de leur situation particulière certaines circonscriptions peuvent faire l'objet d'un découpage spécial par le Président de la République». Sept régions sur 10 sont concernées par ce découpage, qui fait des vagues au sein de la classe politique depuis son avènement dans le droit électoral camerounais en mars 1997. Il s'agit du Centre (un département, cinq sièges), l'Extrême-Nord (quatre départements, 21 sièges), le Littoral (deux départements, 15 sièges), le Nord (un département, quatre sièges), le Nord-Ouest (six départements, 18 sièges), l'Ouest (un département, cinq sièges) et le Sud-Ouest (deux départements, six sièges).

Difficile de ne pas constater que ce «découpage spécial» concerne des circonscriptions électorales dans lesquelles l'opposition a potentiellement plus de chances de rafler la mise que le parti au pouvoir. Pour ce qui est de l'Extrême-Nord, sur la base des dernières performances électorales, on sait par exemple que la domination du Rdpc est fortement contestée (pour ne pas dire plus) par l'Undp et l'Add dans le Diamaré, par le Mdr dans le Mayo-Danay et le Mayo-Tsanaga. Idem dans le Littoral où le Sdf a toujours donné des insomnies au Rdpc dans le Wouri et le Moungo. Dans le Nord, la rivalité entre le Rdpc et l'Undp est de notoriété publique dans la Bénoué. Pour ce qui est du Nord-Ouest, il n'échappe à personne que jusqu'aux dernières sénatoriales, cette circonscription a toujours été considérée comme le bastion imprenable du Sdf.

Enfin, s'agissant de l'Ouest, le Noun passe aux yeux d'une bonne partie de l'opinion pour «le Ndamnjoyaland», autrement dit une enclave de l'Udc.

La justification de l'existence des circonscriptions électorales a été fournie en 1997 par l'ancien Minat, de regrettée mémoire, Gilbert Andzé Tsoungui, pour couper court à la fronde de l'opposition qui y voyait déjà une manœuvre électoraliste: «assurer une représentation équitable des composantes de la population des régions concernées».

Dans un article scientifique publié au lendemain des législatives de 1997 dans le revue Polis, voici l'analyse que le politologue Alain Didier Olinga en fait: «Le découpage spécial apparaît (...) clairement comme une donnée politique de premier plan, un amortisseur de défaites électorales ou un facteur de victoires électorales pour les gouvernants en place. Néanmoins, une analyse des gains à sens unique, en faveur du Rdpc, ne serait pas honnête. Soit par souci de paix politique, soit par manipulation encore peut maîtriser du découpage spécial qui en était à son premier essai, le parti au pouvoir a dû partager là où il aurait pu l'éviter. En fait c'est à l’ avenir que l'on appréciera la portée et les différents contours du «découpage spécial». La réalité commande aujourd'hui de dire qu'après les «erreurs de stratégie» de 1997, le pouvoir a retouché le fameux découpage spécial en 2002 et 2007. Pour des objectifs questionnables.

Source: Mutations


06/07/2013
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