Le téléphone arabe a fonctionné dans le petit milieu des chefs traditionnels du Grand-Nord. Est-il venu te voir? Combien as-tu perçu? Pourquoi ai-je été exclu? Les lamibé n'ont plus que ce sujet à la bouche. L'homme au centre de cet intérêt n'est autre qu'Oumarou Jean, chargé de mission au cabinet civil de la présidence de la République, dépêché dans la partie septentrionale du pays par Martin Belinga Eboutou, Directeur de cabinet civil.
Sa mission remettre des liasses d'argent a des chefs traditionnels triés sur le volet. Une semaine durant- il a regagné Yaoundé le 11 août 2013 - il a rencontré discrètement une dizaine de chefs traditionnels essentiellement dans les régions de l'Extrême-Nord et du Nord dont ceux de Makary, Kousseri, Moulvoudaye, Mayo-Oulo, Guider, Garoua, Doumourou, le lawana de Bizili...
Bien que la desserte de Yagoua figure sur le tracé du chargé de mission au cabinet civil de la présidence de la République, le lamido du coin, Litassou Maikani affirme pour sa part ne l'avoir pas rencontré. «Je n'ai vu personne», a-t-il indiqué à notre reporter. Reste à savoir. Cinq des lamibé contactés par votre journal ont pour leur part reconnu avoir reçu l'émissaire de la présidence de la République. Mieux, chacun admet avoir perçu la rondelette somme de dix millions de FCFA!
Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil, la présidence de la République ayant cultivé avec les chefferies traditionnelles du Grand-Nord des affinités particulières. Sauf que dans le cas de cette mission spéciale, il ne s'agissait pas de remettre aux chefs traditionnels «une enveloppe présidentielle» à l'occasion de la fête de Ramadan, mais de les soudoyer dans le cadre d'une opération mise en place pour le double scrutin du 30 septembre 2013. «Nous allons héberger du matériel électoral qui nous sera remis avant les élection». Moi, je n'ai encore rien, mais d'autres les ont déjà. C'est quand même une exigence surprenante mais je ne peux pas protester pour des raisons que vous êtes sans ignorer.
L'émissaire nous a transmis le message d'aider le parti, que la biométrie a fait des dégâts. Il avait des chiffres que moi-même j'ignorais. La biométrie a vraiment fait des dégâts et les pertes n'ont pas été compensées par les nouvelles inscriptions. Il a dit que si rien n'était fait, les choses se compliqueraient pour nous», explique un des dix lamibé rencontré par Oumarou Jean.
A en croire un autre, les urnes devraient être bourrées dans les chefferies avant d'être échangées lors des dépouillements. Toujours, selon les mêmes sources, les bureaux de vote ont déjà été répertoriés et ils seraient pour la plupart situés dans des zones rurales où la surveillance électorale est généralement très faible, et les représentants des partis politiques financièrement fragiles. Reste à connaître si le matériel électoral devant être dissimulé dans les chefferies proviendra du stock d'Elecam...
Le choix des lamibé visités à ce jour est loin d'obéir aux considérations de rangs protocolaires ou de prestige si ce n'est qu'ils sont à la tête des chefferies traditionnelles situées dans des circonscriptions électorales à risques pour le parti au pouvoir, où la biométrie et l'exaspération des populations ont fait de gros dégâts. Dans le Mayo-Louti par exemple, circonscription pourvue de quatre sièges aux législatives où l'Undp et le Rdpc font office de favoris, les lamibé de Mayo-Pulo et de Guider ont reçu la visite de l'émissaire du cabinet civil et ont été priés de jouer le «jeu« pour contenir l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp). Leurs collègues de Figuil et de Lam ont, eux, été laissés sur le carreau, trahis par la fidélité de leur chefferie au parti au pouvoir.
«C'est une prime à l’opposition», dénonce d'ailleurs un lamido oublié qui dit désormais vivre sous la suspicion de ses lawans. «L'information circule que la Présidence a envoyé l'argent pour les élections et ils attendent leur part. Moi je crains qu'il y ait un effet inverse, que ceux qui ont été oubliés souhaitent la victoire de l'opposition pour qu'ils soient pris en considération la prochaine fois. Beaucoup de mes collègues m'ont téléphoné et ils sont amers», poursuit-il.
«Cette descente n'est pas spécifique au Grand Nord. Le cabinet civil a déployé sa toile sur l'ensemble du pays bien que le Grand-Nord soit particulièrement intéressant en ce sens que tout recul du Rdpc pourrait être mis au bénéfice de Marafa», renseigne une source à la présidence de la République. Laquelle informe d'ailleurs qu'une nouvelle mission dans le même cadre est prévue dans les prochains jours dans le Grand Nord.
Approché par la rédaction, Oumarou Jean s'est muré dans le silence.