Le vrai film et les non-dits de la libération des otages français

Cameroun : Le vrai film et les non-dits de la libération des otages françaisLes services spéciaux français (la Dgse) au Nigéria n’étaient pas dans leur élément. Ainsi que les forces de sécurité nigérianes dont la détermination d’en découdre avec la secte Boko Haram aurait by Text-Enhance">directement conduit à un regrettable bain de sang. Seul Paul Biya avait plus d’atouts pour mener avec succès les manoeuvres le 19 février 2013 dans le Nord du Cameroun. Retour sur les étapes importantes et les non-dits de cette libération.

Avec la libération, dans la nuit du 18 au 19 avril dernier de la famille Moulin-Fournier enlevée à Dabanga dans la région de l’Extrême-Nord, l’histoire comme une idiote s’est mécaniquement répétée. En 2008, le président Paul Biya s’était déjà investi personnellement dans la libération de 10 otages capturés dans la nuit du 30 au 31 octobre sur un navire du groupe français Bourbon opérant sur un terminal pétrolier au large de la péninsule de Bakassi.

Face aux gâchettes faciles de la Joint Task Force (Jtf) nigériane, à l’inexpérience des hommes de la Direction générale de la sécurité extérieure (Dgse), les services de renseignements français, et aux nombreuses approximations des services camerounais, c’est encore lui, Paul Biya, qui a été à la manoeuvre de bout en bout. Par une méthode dont il a seul le secret : la discrétion. Cela suffit pour comprendre, comme vous pouvez l’observer dans la photo ci-contre, l’absence de tous les hauts responsables chargés de la sécurité dans notre pays, à la cérémonie que le couple présidentiel organise au palais de l’Unité le vendredi 19 avril 2013, à l’honneur des otages français libérés. C’est sans doute un signe des temps. Mais cela suffit pour mettre en vitrine tous les principaux acteurs ayant joué de près ou de loin un rôle important dans l’aboutissement heureux des négociations ayant conduit à la libération de Tanguy moulin-Fournier et des autres membres de sa famille.

S’il faut reprendre les choses par le commencement, des confidences entrecroisées, il ressort qu’une fois informées par les agents du State Security Service (Sss) et par la Cia dont les satellites ont aussitôt réussi à suivre tous les mouvements des ravisseurs nigérians, de Dabanga au Cameroun jusqu’à Bama et dans les autres villages nigérians proches du Lac Tchad, les forces de sécurité nigérianes ont très vite su où étaient exactement gardés les otages français.

Des informations qui sont rapidement fournies aux autorités françaises qui mobilisent dans la région concernée des éléments aguerris des forces spéciales et
des services de renseignements de la France. Ceux-ci suivent à la trace, épaulés par la Joint Task Force nigériane, les otages et leurs ravisseurs. Grâce à d’importants moyens électroniques de surveillance fournis par les Américains et à l’expertise britannique sur les différents réseaux de pouvoirs locaux et la sociologie clanique et tribale liée à tous les Etats du Nord-Est du Nigeria (Borno, Kano, Bauchi, Adamawa, Yobe, etc.), les agents français et nigérians ont de quoi donner l’assaut à tout moment. D’ailleurs, le président nigérian Jonathan Goodluck sous pression, parce qu’on lui reproche son indécision, commence à manifester des signes d’impatience, pour venir à bout de la secte Boko Haram par la seule force militaire.

En visite à Maiduguri, le 5 mars 2013, il oppose un niet catégorique à une assemblée de sages baptisée Elders à laquelle s’est joint l’influent sultan de Sokoto, Sa’adu Abubakar. Ceux-ci lui proposaient d’amnistier les islamistes du Boko Haram qui accepteraient, selon eux, de déposer les armes, comme on l’avait déjà fait avec le Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger (Mend). A Abuja, la tension serait montée d’un cran, après la diffusion de la première vidéo à travers laquelle les ravisseurs islamistes exigeaient, le 25 février 2013, la libération de tous leurs membres détenus au Nigeria et au Cameroun. Elle se serait davantage accrue après celle d’un enregistrement sonore de Tanguy Moulin-Fournier qui affirmait, le 18 mars 2013, qu’ils sont détenus par Jamaatu Ahlisunnah Lidda’awatiwal Jihad.

Solidarités ethniques

Certaines confessions en privé laissent entendre aujourd’hui que pendant que son homologue nigérian piaffait d’impatience ; pendant que sur le terrain ses hommes lourdement armés avaient hâte d’en finir avec les ravisseurs islamistes, de son côté, le président Paul Biya prônait la solution négociée et le dialogue avec les hommes de Boko Haram. Il savait à cet effet qu’en prenant lui-même les choses en main, il avait plus d’atouts que les Nigérians et les Français. D’abord, parce que la secte Boko Haram a toujours ménagé Yaoundé pour pouvoir utiliser le Nord du Cameroun comme base arrière et de repli. La posture que lui confère, cette position, lui octroie d’office une neutralité pouvant lui permettre de négocier avec aisance avec les hommes de Boko Haram. Un avantage que n’a pas le Nigéria en situation de guerre ouverte contre la secte depuis 2009. En plus, il faut le souligner : l’exécution, le 9 mars 2013, par Ansaru, une faction de Boko Haram, de 7 otages étrangers aura davantage radicalisé la position des autorités nigérianes.

Ensuite, le chef de l’Etat camerounais, pour mettre en place sa diplomatie parallèle, pouvait, à la fois, miser sur l’entregent des chefs traditionnels Kanouri dont les solidarités ethniques transfrontalières peuvent bousculer toutes les barrières dans une région où on s’exprime prioritairement en Haoussa et en Fulfudé (habituellement les Kanouri du Nigeria se refugient facilement chez leurs cousins au Cameroun) ; sur les réseaux de ses dignitaires politiques originaires de l’Extrême-Nord et sur quelques hommes de main rompus à toute épreuve dans ces milieux de ravisseurs nigérians.

Des atouts que n’avaient pas les Français dont la marge de manoeuvre, très étroite, butait devant un flux d’obstacles. Le premier obstacle est d’ordre culturel, car le Nigeria ne fait pas partie de l’ancien pré carré de la France. Le deuxième obstacle provient du climat de quasiguerre civile et de la propagande islamiste essentiellement fondée sur des thèses anti-occidentales.

Proches collaborateurs

Fort de tous ces atouts, le président camerounais, himself, entreprend à sa manière, les grandes manoeuvres. D’abord, il rassure les autorités françaises de mener les opérations avec succès jusqu’au bout. Ce sont elles qui mettent la pression sur Abuja de laisser les coudées franches aux autorités camerounaises. Les multiples coups de  téléphone qu’il passe au ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, vont justement dans ce sens. Ensuite, il prend activement langue avec un de ses hommes de main qui connait bien les arcanes de la secte Boko Haram et du Mend. Celui ci est bien en cour dans les milieux des preneurs d’otages nigérians. Ces états de service à l’époque de  Remy Ze Meka étant là pour le certifier.

Jeune Afrique dans sa livraison de la semaine dernière parle d’un général de l’armée camerounaise. Même si un halo de mystère entoure comment ce dernier se déploie sur le terrain, nos sources indiquent que c’est lui qui est pratiquement à la manoeuvre jusqu’à ce que Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence de la République, quelques jours avant la libération des otages, entre dans la danse. Peu enthousiaste à l’idée d’associer d’autres intermédiaires aux négociations avec les responsables de la secte Boko Haram, le président Paul Biya s’est entouré juste de quelques proches collaborateurs du Cabinet civil et du secrétariat général de la présidence de la République. A l’écart des projecteurs et en toute discrétion, ce sont ceux-ci qui vont exceller en rencontrant tous les chefs traditionnels et les imams de la région de l’Extrême-Nord, tous familiers des milieux des ravisseurs nigérians.

Ce sont eux qui trouvent les premiers repères de la négociation avec Boko Haram. Il faut dire en passant que, déjà, le 27 février 2013, Cavaye Yeguié Djibril, le président de l’Assemblée nationale du Cameroun, avait déjà planté le décor de cette diplomatie parallèle, en réunissant le gros des chefs traditionnels et imams à Maroua pour leur exiger plus d’implication dans la traque des islamistes.

En plus, avec des nairas, tout devient possible dans cette partie du monde pour opérer des miracles. Quand donc l’Elysée affirme au lendemain de la libération de la famille Tanguy Moulin-Fournier que celle-ci n’est pas due, ni au versement d’une rançon, ni à une action de force, mais à l’aboutissement de contacts multiples. C’est vrai. Car même s’il s’était agi de verser une rançon, ce n’est pas la France qui l’aurait fait, mais le Cameroun. Et quid d’une action de force ? Il va de soi que la seule réponse à cette question se trouve aujourd’hui du côté de Baga, un village de pêcheurs sur les bords du Lac Tchad, situé à près de 150 km de Maiduguri, le sanctuaire de Boko Haram. Assurément, les militaires nigérians, en donnant l’assaut à une mosquée censée servir d’abri aux membres de la secte, ont juste attendu que la famille Tanguy Moulin-Fournier foule le sol camerounais pour en découdre définitivement avec leurs ennemis jurés. D’où la sauvagerie avec laquelle ils vont complètement décimer par les flammes ce vendredi 19 avril 2013, tout un village.

N’épargnant ni femme, ni enfants, ni personnes âgées. Bilan : près de 200 morts et 77 blessés. Imaginez un seul instant que les otages français n’aient pas été libérés quelques heures avant … On l’a toujours dit : Paul Biya, c’est à la fois une ligne droite (jusqu’à foncer délibérément dans le mur) comme De Gaulle, et une sinusoïde qui évite les obstacles, pour arriver ; coûte que coûte comme Mitterrand. A François Hollande de situer, cette fois-ci, le coup de barre du maître-sorcier bantou de l’Afrique centrale.

© La Nouvelle : Jacques Blaise Mvié


29/04/2013
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