Le Sud Cameroun accuse Laurent Esso
Écrit par N. TONGUE à Mengalle | Ebolowa Lundi, 10 Mai 2010 09:46
Le peuple majoritaire du village natal de Bibi Ngota (Mengalle) n’est pas passé par quatre chemins pour désigner le secrétaire général de la présidence de la République (SGPR) comme « l’assassin » de leur fils. Pour le démontrer, les plus jeunes ont dressé une barricade à l’entrée du village, vendredi dernier 07 mai 2010, au moment ou le cortège mortuaire est arrivé.
Il fallait être courageux pour rallier le village Mengalle dans l’arrondissement d’Efoulan, au tréfonds de la région du Sud Cameroun. Car, pour parcourir les 48 kilomètres de route en terre qui séparent ce petit village de la ville d’Ebolowa en moto, il fallait faire fi des chutes causées par un chemin boueux et de la sollicitude d’une forêt qu’on soupçonnerait n’avoir jamais connu l’agriculture. Parvenu enfin à Mengalle, on affronte le visage de quelques villageois qui mesurent visiblement le poids de la mort d’un « frère » qui a défrayé la chronique. En cette triste occasion, les habitants de ce coin situé à mi chemin sur le tronçon de la route qui relie Efoulan et Lolodorf, ont préparé une décoration de grands jours. Des palmes sont tissées sous forme de voûte en l’entrée du village en signe de chaleureuse bienvenue aux nombreux visiteurs venus de très loin pour compatir. A trois cent mètres devant, se trouve la maison des Essiane Ngota. Entièrement rénovée, de grandes tentes sont déployées dans la cour attenante. C’est bien là que se tiendra la cérémonie devant consacrer le dernier « papier » de Bibi Ngota. En signe de deuil, de la musique religieuse est diffusée en boucle. La plus prisée dit en refrain : Woulou ma ewolo tateuh !!! (Traduction : Que la force du seigneur me conduise, à Lui).
C’est que, les Essiane Ngota ont le cœur meurtri. Un de leurs dignes fils s’en est allé, « il s’en est allé dans des conditions troubles et troublantes », peut- on entendre. Illustration, cette vielle dame âgée d’une soixante dizaine d’années qui questionne en langue bulu locale. « Pourquoi l’ont –ils tué ? Pourquoi l’ont-ils humilié ? Est-ce que les gens de Mvoméka’a savent qu’un de notre fils a été liquidé ?». Elle va laisser s’écraser sur ses fossettes saillantes, une larme d’amertume. Par contagion affective, une poignée de congénères qui l’accompagnent lâchent quelques cris de détresse. Elles sont toutes consolées par les chants qui fusent tous azimuts : Woulou ma ewolo tateuh !!! La cérémonie entamée, la sépulture de Bibi Ngota est transportée du salon familial pour l’esplanade où se déroule le culte d’adieu (la famille étant chrétienne), par des amis et confrères. L’émotion est à son comble. La mère du journaliste disparu ne tient plus sur le siège que lui a réservé le comité d’organisation.
Assise devant elle, sa femme Georgette se tort de douleur, on dirait qu’elle vient d’être frappée par une gastro-entérite. L’émotion traverse toute l’assistance. Même le délégué régional du ministère de la Communication pour le Sud, Liliane Bobé, venue représenter le ministre Issa Tchiroma, réajuste ses lunettes de soleil pour dissimuler sans doute, en raison de sa charge, tout son ébranlement. Le cercueil est disposé sous le contrôle d’un ministre du culte. Crépitements de flash par-ci, petits commentaires par là. Autant la famille, les amis, les confrères, les autorités locales veulent le revoir une dernière fois en chair et en os et prier pour le repos éternel de son âme ou immortaliser le moment. Ils en ont pour leur compte. Ils peuvent ainsi revoir cette véritable star ad mortem sanglé dans un somptueux costume, son dernier.
Et puis, vient le temps des témoignages. La famille du défunt le présente comme un garçon très intelligent et brave. Atteste son parcours scolaire entamé à Dschang dans la région de l’Ouest, poursuivi à Vangane dans le Sud puis à Yaoundé, au gré des affectations d’un tuteur fonctionnaire. A la clé, un baccalauréat Philo- Lettres, plus impressionnant, une copie du journaliste avec 18/20 en philosophie est brandie. Enfin, il est évoqué ses études supérieurs à l’Université de Yaoundé I, jusqu’en 3e année. Pris de sympathie pour le journalisme, il abandonne les études et se lance, tête baissée dans le plus beau des métiers. Germain Cyrille Ngota Ngota de son véritable nom, collabore pour le tabloïd Révélation, travaille pour l’hebdomadaire L’Anecdote, dont il est un founding fathers et créé son propre journal : le désormais célèbre Cameroun Express. Bibi Ngota est présenté à ses frères du village comme un homme extrêmement sociable, inoffensif, innocent.
« Il est mort pour rien, que la commission d’enquête mise sur pied par le président donne les vraies raisons de sa mort avant nous. Parce que nous savons de quoi il est mort », fini par lâcher un membre de la famille. Cette phrase a le don d’arracher à la fois des applaudissements, des gémissements et des pleurs. Un père pleure son fils parti prématurément, une sœur regrette un frère rassembleur, un ami d’enfance se demande s’il trouvera sur cette terre un autre fidèle compagnon. Vers 16 heures 30 samedi 08 mai 2010, la terre de Mengalle, en pleine forêt équatoriale, se referme sur Bibi Ngota. La douleur atteint son paroxysme. « Il a été tué. Son assassin est un « bao »(grande personnalité, Ndlr) à Yaoundé », croient savoir les sœurs et frères. Mais il y’a toujours ce chant pour consoler : Woulou ma ewolo tateuh !!! Repose en paix.
Focal: La tribu Ekomba accuse Laurent Esso
Le peuple majoritaire du village natal de Bibi Ngota (Mengalle) n’est pas passé par quatre chemins pour désigner le secrétaire général de la présidence de la République (SGPR) comme « l’assassin » de leur fils. Pour le démontrer, les plus jeunes ont dressé une barricade à l’entrée du village, vendredi dernier 07 mai 2010, au moment ou le cortège mortuaire est arrivé. Même l’escorte de la gendarmerie qui l’accompagnait n’a pas émoussé leur détermination à demander des comptes. Ces jeunes regroupés en plusieurs dizaines ont brandi des pancartes qui indiquaient en quintessence que le village Mengalle ne veut pas de la présence des autorités dans leur village avant que « Laurent Esso ait payé le prix de son crime ». Le blocage qui a duré une trentaine de minutes a été jugulé, grâce à la médiation du chef de village et de quelques autorités de la gendarmerie qui ont expliqué que la présence des autorités aux obsèques de leur « frère » est un signe que le pouvoir de Yaoundé sait quelle est leur peine. Quelques aînés ont dû garantir aux jeunes qu’ils font confiance au président de la République qui « est avant tout un Bulu » comme eux.
Au finish, le cortège a pu atteindre le village sans autre écueil ; toujours sous forte escorte de la gendarmerie comme au départ de Yaoundé. On apprendra des proches du défunt qu’une équipe motorisée de la compagnie de gendarmerie du Mfoundi l’a transporté jusqu’à Mbalmayo avant d’être relayée par une autre qui la confiée à l’entrée de la ville d’Ebolowa à la compagnie locale. C’est cette dernière qui a assuré la sécurité jusqu’au dernier coup de pelle sur la tombe Bibi Ngota.
Rodrigue N. TONGUE à Mengalle
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