Le Sénégal et l'affaire Habré : Vice de forme ou vice de volonté politique ?
Le Sénégal et l'affaire Habré : Vice de forme ou vice de volonté politique ?
L’ancien chef de l’Etat tchadien Hissène Habré sera-t-il enfin un jour entendu par la justice pour les crimes qui lui sont reprochés durant sa présidence (1982-1990) ? Bien malin qui saura répondre à cette question. Tant celui que d’aucuns n’hésitent pas appeler «Pinochet africain» continue d’échapper à la justice à chaque fois que son glaive se rapproche de lui. Dernier rebondissement en date dans cette «affaire Hissène Habré», le refus, mercredi 11 janvier 2012, du Sénégal d’extrader son hôte vers la Belgique, où il est poursuivi pour «crime contre l’humanité» ; un rejet pour vice de forme, puisque la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar a estimé que la demande belge n’est pas conforme aux dispositions légales. L’Etat requérant n’aurait pas «livré de documents authentiques à l’appui de son dossier, mais des copies. D’autre part, il manquerait le procès-verbal de l’arrestation».
C’est en 2005 que la Belgique a lancé un mandat d’arrêt international contre l’ancien dictateur tchadien pour «violation grave du droit international» et adressé la demande d’extradition. Cette procédure se fonde sur une plainte déposée en 2000 par un Belge d’origine tchadienne en vertu d’une loi belge dite de «compétence universelle» pour les crimes de droit international. Cette loi autorise les tribunaux à se saisir d’un tel dossier dès lors qu’un ou des citoyens de nationalité belge sont concernés ou que son auteur présumé se trouve en Belgique.
Débouté, Bruxelles n’entend pas ainsi s’en laisser conter, puisqu’il a décidé de faire appel.
En vertu de la loi qui interdit tout commentaire sur toute décision judiciaire, passons sur les motifs du refus d’extradition de la Cour d’appel de Dakar. Une fois ce principe de droit respecté, interrogeons-nous : et si l’invocation de ce vice de procédure cachait un vice de volonté ? Et si cet argument juridique n’était qu’un expédient pour mieux faire avaler la pilule sénégalaise ?
En effet, depuis que le glaive de justice est aux trousses d’Hissène Habré, soupçonné d’être responsable de la mort de près de 40 000 personnes, le Sénégal n’a cessé de jouer au bouclier : à coup d’allégations politiques, juridiques et financières, le Sénégal a toujours multiplié les flagrants délits d’entrave à la procédure judiciaire.
Pas plus tard que la semaine dernière, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a déclaré sur France 24 et RFI qu’il avait saisi la Cour d’appel de Dakar de la demande belge et que Hissène Habré serait «très probablement extradé». Coup de bluff.
Bien avant ce coup de théâtre, en 2005, un mandat d'arrêt international, assorti d'une demande d'arrestation immédiate, a été délivré par la justice belge le 19 septembre 2005 et transmis aux autorités sénégalaises. Après son arrestation le 15 novembre et une garde à vue de quelques jours, le dictateur déchu est relâché. La justice sénégalaise s'étant finalement déclarée incompétente, et l'affaire ayant été portée devant l'Union africaine.
Mandaté en 2006 par l’Union africaine (UA), le
«Pays de la Terranga» engage une série de réformes législatives et
constitutionnelles afin de juger l’ex-homme fort de N’Djaména. Avant de
conditionner l’action judiciaire à la prise en charge, par l’UA, de la
totalité des fonds nécessaires au procès.
Autant de voltes-faces qui ont fini par convaincre l’opinion du manque
de volonté des autorités sénégalaises de coopérer avec la justice.
Cette souveraine protection survivra-t-elle à l’ère Wade au cas où Dieu prêtera longue vie à Hissène Habré, âgé aujourd’hui de 70 ans ? L’avenir nous le dira.