«Le
Cameroun est un pays qui devrait être développé. C’est un pays riche;
riche en ressources naturelles, riche en ressources hydrauliques, riches
en hommes et femmes bien formés. J’y ai passé six semaines en 1997, et
depuis lors, je reste très triste lorsque je pense à ce pays béni de
Dieu qui, malheureusement ne tire pas tous les bénéfices des atouts dont
Dame Nature l’a doté. C’est dommage!»
Ce sont là, mot pour mot, les propos d’un collègue que j’ai invité à
souper (à dîner comme on dirait chez nous au Cameroun) il y a quelques
jours à la maison. Ces propos n’ajoutent rien à ce que tous les
Camerounais savent depuis très longtemps. Notre pays est une bénédiction
divine. Pourquoi ne sommes-nous pas bénis? Pourquoi tant de souffrances
pour les Camerounais, surtout les jeunes, qui continuent à tirer le
diable par la queue, malgré leur formation et les innombrables richesses
de notre pays, si l’on s’en tient au taux de sous-emploi et de chômage
qui, selon diverses estimations, frôlent les 75 ou les 80 %?
Deux hypothèses en guise de réponse. La première est l’incompétence.
Cette hypothèse doit être écartée parce que les Camerounais se défendent
bien partout où ils sont dans le monde, qu’ils soient formés au
Cameroun ou ailleurs. Ils ne peuvent donc pas être bons ailleurs et nuls
chez eux. La deuxième hypothèse est la présence des institutions
inadaptées.
En fait, un ministère de l’agriculture dont la
priorité n’est pas le développement agricole dans toute sa dimension
(humaine, technique et technologique, commerciale et industrielle) n’est
pas digne de son nom. Un ministère de l’économie qui n’est pas capable
pendant plus de vingt ans de proposer des solutions pour sortir le pays
de la crise économique ne mérite pas son nom non plus. Un ministère du
tourisme incapable de présenter annuellement des mesures palpables pour
attirer les touristes dans le pays et de mesurer l’impact de l’affluence
touristique sur l’économie n’est pas digne de son nom. Tous les
départements ministériels et les organismes étatiques devraient mesurer
annuellement leur efficacité si l’on veut vraiment donner au pays la
place qui lui revient dans la course pour le développement.
Aussi, est-il impératif qu’au moment où le Sénat doit être mis en place
au Cameroun, nous nous posions la question suivante : le Sénat pour qui?
Le Sénat pourquoi faire?
Un petit rappel historique. En remontant à la tradition britannique,
nous constatons que les Rois britanniques du Moyen Âge renvoyaient les
pétitions reçues de leurs sujets demandant justice à leur Grand Conseil,
composé de barons, d’hommes d’Église puissants ayant des pouvoirs
consultatifs et administratifs. Ce Conseil, ancêtre de la Chambre des
Lords, légua à celle-ci la compétence judiciaire qu’elle exerce
jusqu’aujourd’hui. Rappelons que le Royaume Uni n’a pas de Cour suprême.
Lorsque les Américains, libérés du joug anglais,
réorganisent leur société, ils créent le Sénat pour assurer l’égalité
des États membres de l’Union. Ainsi, la constitution des États-Unis de
1787, première constitution écrite dans le monde, consacre la séparation
des pouvoirs (législatif et judiciaire). La Chambre de Lords du Royaume
Uni a permis aux Nobles et au Grand Clergé de participer à la gestion
du Royaume, tout en jouant le rôle dévolu à la Cour suprême. Quant au
Sénat américain, il a apporté dans la gestion de la Fédération, le
principe d’équité entre les États fédérés.
En ces moments où le Sénat prévu dans la Constitution de1996 est sur le
point d’être mis en place, je voudrais inviter le président de la
République, les partis politiques et tous les compatriotes à innover en
apportant à cette institution une originalité camerounaise, comme l’ont
fait les Américains en 1787. C’est ainsi que nous invitons le Président
Biya à modifier le texte relatif à l’organisation du Sénat pour porter
le nombre de sénateurs à 120, afin d’assurer la représentativité de la
Diaspora, tranche importante de la société camerounaise estimée à près 4
millions (chiffre conservateur) de personnes. Oui, la Diaspora mérite
une représentation au Sénat; elle la mérite par son nombre, plus
important que la population de certaines provinces. Elle la mérite
également par sa contribution à l’économie nationale (près de 340
milliards de FCA par année selon la Banque mondiale).
Par ailleurs, nous demandons au Président de la république d’apporter,
par son pouvoir de nomination, un certain équilibre dans la composition
générale du Sénat en assurant une parité homme/femme et une parité
jeune/moins jeune. Ainsi sur les trois sénateurs qu’il doit nommer par
région, qu’il choisisse un jeune, une femme et un moins jeune. Le
Président de la République doit également nommer des gens provenant du
petit peuple : des benskinneurs, des taximans. Nous demandons également
aux partis politiques d’inclure dans leurs listes électorales des jeunes
issus de la masse populaire et des femmes. Toutes ces mesures donneront
à la Nouvelle Institution le cachet d’équité dont le pays a
actuellement tant besoin.
Si le Sénat est perçu comme la Chambre qui vient corriger les injustices, introduire l’équité dans la gouvernance, la Chambre qui permet à toutes les couches de la Société de faire entendre leur voix — au même titre que le Sénat américain qui donne à la Californie (30 millions d’habitants) la même voix qu’au Nebraska (1,5 million habitants) — alors, le Cameroun, comme les États-Unis (voire l’Angleterre), aura réussi à calmer son peuple, et à léguer à la prospérité un modèle. Nous souhaitons que tous ceux qui sont acteurs dans cette entreprise de mise sur pied du Sénat au Cameroun puissent partager le point de vue exprimé ici et travailler à l’avènement d’un Sénat d’équité pour le bonheur de tous nos compatriotes.