Quand deux frères se lavent près d’un marigot et qu’apparait une fille venue s’approvisionner en eau, que fait le grand frère ? Vite, il se cache derrière le petit. Ainsi peut-on illustrer le Tchiromagate. Trois jours à peine après la recevabilité du texte et un débat d’environ une heure entre le Député Mbah Ndam (de l’opposition) et les membres de la Commission des résolutions et des pétitions de l’Assemblée nationale (majoritairement du parti au pouvoir) auront été suffisants pour rejeter la proposition d’ouvrir une enquête parlementaire. Voilà qui s’appelle être expéditif. Motif invoqué : « le dossier était quasi vide. » Décidément, « il n’y a que les choses sérieuses qui sont drôles », remarquait Coluche.
D’autant plus drôles que l’esprit de la loi indique que de simples « renseignements ou indices » sont suffisants pour ouvrir une enquête pénale (Art. 9 § 1). Justement, cette rigidité a été appliquée dans le cas Marafa, ou de simples «vraisemblances» rassemblées ici et là ont été suffisantes pour lui signifier un mandat de dépôt pour «détournement de deniers publics en coaction et complicité. » Le prévenu se plaint d’un tel « motif vague » car il ne lui a pas encore été signifié ni où, ni quand, ni comment, ni combien, ni avec qui ledit détournement a été commis. Un exemple type donc de dossier « quasi vide », aussi imprécis que bateau, mais dans lequel d’autres éléments obtenus au moyen d’enquêtes viendront compléter, et pas toujours au sujet de l’affaire Albatros qu’il ne fait que supposer. (Nous y reviendrons).
Alors donc, dans le cas de Tchiroma, en clamant par la voix du président-député RDPC de la Commission des résolutions et des pétitions que le député SDF n’a pas versé suffisamment d’éléments à sa demande d’enquête, les « créatures » de Biya, majoritaires dans un hémicycle factice, n’ironisent-ils pas avec cynisme ? Rappelons-nous le dossier Paul Eric Kingué. Etait-il plein ? Davantage que celui de Tchiroma ? Il n’est point ici question de défendre l’ex-Maire de Penja dont les actes tout de même courageux poussent à questionner sur le sens de sa militance au sein du parti-Etat, et encore moins l’ex-Ministre d’Etat Marafa dont l’humiliation subie aujourd’hui est un rien minable à côté de l’étendue des conséquences des atrocités criminelles que ce désillusionné à commis contre le peuple.
Mais revenons pour consulter le dossier Tchiroma et voir s’il est réellement « quasi vide. » Marafa cite dans sa 4ème lettre « un arrêté en date du 14 novembre 2000 portant création d'un comité de suivi de l'exécution des contrats de maintenance des avions entre Camair et Trans-Net-SAA (cf. Annexe 2). » Il rappelle ensuite au Chef de l’Etat qu’il a reçu le rapport daté du 7 décembre 2000 de la mission de travail de ce comité, dans lequel « le mécanisme de cette corruption a été mis à nu, les différents acteurs et bénéficiaires ont été identifiés et certains l'ont reconnu formellement. » En lisant entre les lignes, c’est le cas pour M. Tchiroma avec qui il ne souhaitait d’ailleurs plus collaborer quand ce dernier fut tout de même promu Porte-parole du gouvernement et Ministre de la Communication. Entre les lignes, une accusation de complicité donc !
Il faut dire que ce rapport mentionnait aussi ceci : « M. Peter Schledon créancier de ATT se propose de fournir au comité les éléments de preuve (relevés bancaires) des sommes payées aux responsables camerounais moyennant le paiement de 850.000 USD qu'il réclame à ATT », dont le gérant associé n’est autre que Mila Assouté. En dehors des lettres de Marafa et de ses nombreuses annexes, le montant du pot de vin empoché par Tchiroma est dévoilé par l’hebdomadaire L’Œil du Sahel, soit 171.247 dollars US. On ne peut être plus précis. Sont également cités les noms des banques utilisées (Standard Chartered Bank (Cameroun), Le Crédit Lyonnais (Paris), la Banque de l’Orient à Paris). Allant encore un cran plus loin, l’hebdomadaire indique deux numéros des comptes ayant servi aux transactions (« compte bancaire n°10085233 - compte client n°1049690 domicilié à la Standard Chartered Bank »). Il cite d’autres moyens de perception des commissions, notamment par un certain Philippe Marnier, que mentionne aussi ledit rapport. Marnier est un intermédiaire de la société de maintenance South African Airways (SAA).
Ces mêmes éléments sont des pièces à conviction déjà utilisées à la fin de l’année 2000 devant plusieurs juridictions de loin plus indépendantes : Tribunal de Johannesburg en Afrique du sud (SAA#ATT), la Cour Internationale d’Arbitrage de Paris saisie « le 30 novembre 2000 à 15 H 30 précises. Les frais de saisine d'un montant de 2500 USD ont été réglés » précise le rapport que Biya a reçu, la Cour d’Arbitrage de Londres, etc. (Nous y reviendrons). Pour Mila Assouté, Akame Foumane et Paul Biya sont les hommes-clé dans cette affaire.
Ajoutons qu’en plus, pour des besoins d’informations judiciaires, si elle jouait dans la transparence, la Commission pouvait obtenir les copies des dossiers auprès des différents tribunaux et banques, enquêter auprès des dirigeants des firme SAA, ATT, Camair, Trans-Net. Ce ne sont pas non plus les témoins directs ou indirects, en vie, qui manquent. Sont cités un député sud-africain (M. Bantu Holomisa), le président sud-africain au moment des faits (M. Thabo Mbéki), M. Tem Emmanuel (« avocat camerounais du Cabinet "Lapin Attorney" basé à Johannesburg »), le Ministre de la défense Amadou Ali, le dissident Mila Assouté, etc. Pour l’indemnisation du crash de 1995, ce dernier mentionnait déjà en 2007 le rôle clé du Conseiller juridique de Paul Biya, le Magistrat Jean Foumane Akame, qui avait perçu pour l’Etat du Cameroun et donc la Camair la de somme de 65 millions de dollars, dans un compte juste ouvert « sous son unique signature » à la Société Générale (SGBC) à Paris en fin 2004.
De ce compte de la SGBC, précisait Mila Assouté, 1.703.721 dollars US par exemple avait été « virés à Monaco dans un compte fantôme ATT/B » de la Banque Nationale de Paris qui n’appartiendrait pas au Gérant de ATT (Mila Assouté) le 11 février 2005 par le magistrat. Il réclamait déjà devant la Cour arbitrale de Paris et de Londres 3 milliards de francs CFA à l’Etat du Cameroun dans le cadre d’un contrat de lobbying pour avoir mené le procès en réclamation de la restitution par la sud-africaine SAA « en exécution de la maintenance des aéronefs de Camair, parce que le contrat était obtenu sur une base de corruption. » M. Assouté explique que « l'argent a disparu de Monaco 48 heures après son arrivée là-bas pour revenir en partie à Paris. C'est vérifié et prouvé. Les juges s'en occupent... D'ailleurs, l'affaire est passée le 24 Mai 2006 puis le 5 juillet 2006… », Etc. L’autre moitié serait allée dans une banque à Beyrouth au Liban. Certains montants dans cette affaire figureraient aussi dans le Journal officiel de l’Afrique du sud, selon M. Assouté. Que faut-il encore pour que le dossier soit « plein » ?
En tant qu’institution, cette Commission de l’Assemblée nationale dispose pourtant d’importants moyens pour accéder à tous ces « renseignements » utiles, nécessaires pour infirmer ou confirmer les éléments fournis dans la demande d’enquête au sujet des pots de vin perçu par le Ministre des transports de l’époque, monsieur Tchiroma Bakary Issa et pour que soit manifester la vérité sur l’indemnisation des victimes après le crash du Boeing dans la mangrove de Youpwè à Douala. Ce faisant, la Commission resterait bien dans son rôle de défense des intérêts de la société et c’est l’esprit même d’un Ministère public dans un Etat de droit. Conformément à l’article 66 du code pénal, la Commission devrait assurer l’information judiciaire en prescrivant des mesures d’enquêtes sur le terrain, en auditionnant témoins et accusés. Mais sous influence de l’Exécutif, elle a choisi d’agir contre les principes qui se dégagent de l’article 9, alinéa 1er, du code de procédure pénale définissant le suspect comme « toute personne contre qui il existe des renseignements ou indices susceptibles d'établir qu'elle a pu commettre une infraction ou participer à la commission de celle-ci. »
Devant cette obstruction à la justice, le citoyen s’interroge : vraiment ? N’existe-t-il pas des « renseignements et indices susceptibles d’établir [que le suspect Tchiroma] a pu commettre une infraction ou participer à sa commission» ? Toutes les informations préliminaires ne sont-elle pas de nature à faciliter les vérifications de ladite Commission de l’Assemblée nationale auprès des institutions citées, surtout que le bénéficiaire n’apporte aucun démenti, crédible ou non ? Tant qu’il n’y a pas d’enquête, ce silence confirme le premier aveu que l’accusé fit lorsqu’il fut confondu par le Comité de suivi qui rédigea le rapport daté du 07 décembre 2000.
Quid de cet unanime soutien des 96 députés RDPC contre 11 de l’opposition qui ont voté pour que la vérité ne soit jamais manifestée, alors même que le suspect qui a depuis lors été promu Porte-parole du gouvernement et Ministre de la Communication ne fait partie ni du RDPC, ni de la majorité présidentielle ? Que cache cette indéfectible collusion dans ce système paradigmatique dans lequel il n’existe plus de frontière entre le moral et l’immoral, et où le grotesque et la bêtise le dispute à la médiocrité et aux hauts-vols ?
Ceux qui ont cru voir dans les déclarations de Tchiroma, encensant quelques jours auparavant que « toute vérité n’est pas bonne à dire » un aveu cette fois-ci publique, ont vite déchanté. Depuis, il s’est tu, honteux dans un silence assourdissant puisqu’il se sait dévoilé, exposé dans toute la laideur de sa nudité, sachant en son for intérieur que les Camerounais savent qu’ « il sait quelque chose dans cette affaire », qu’ils savent que « les salauds ont mangé l’argent du deuil. » On s’attend à ce que seul un Nietzsche soit du même avis, lui qui pose la question philosophique radicale : pourquoi la vérité et vaut-elle d’être recherchée, surtout que l’on sait que la vérité oblige ensuite à assumer le caractère moral de son exigence ? Il est clair que pour Tchiroma, le plaisir, le pouvoir et l’action sont aujourd’hui un leitmotiv en ce qu’ils ne détruisent pas davantage son image écornée en heurtant cette fois-ci sa dignité. Pire, en faisant de lui un prisonnier. Voilà pour qu’elle raison ce Porte-parole « éperviable » pourrait nier l’évidence, une alternative prévue par Descartes qui, traitant de la vérité, remarque qu’elle relève avant tout de notre liberté. Dans ce Tchiromagate, l’observation des faits est le critère de vérité purement formel ou empirique, c’est-à-dire prouvé comme l’indique les numéros de comptes bancaires approvisionnés ainsi que les renseignements, indices, rapports, lieux, dates, noms et statuts des complices.
Dans ce contexte, que cache donc le parti-Etat en rejetant la proposition d’ouvrir une enquête parlementaire sur l’affaire du crash du Boeing 737-200 (baptisé Le Nyong) et sur l’affaire des pots de vin qu’aurait perçus Tchiroma dans le cadre des contrats de maintenance des aéronefs dans lequel il est suspecté ? Dans ce mélange des genres, le Député RDPC Amougou Mezang assure que les victimes ont-ils été indemnisées, faisant valoir le contrat entre la Camair et Chanas Assurances S.A. Il est tout de même assez curieux que Marafa n’ait pas été au courant de cette indemnisation dont il n’est pas fait mention dans ses lettres de trahison et de délation, lui qui, à la veille des années 2000, était le Président du Conseil d’Administration de la Société Nationale des Hydrocarbures qui deviendra l’important « acquéreur du portefeuille privatisé » de Chanas Assurances S.A., ainsi qu’on le lit sur le site Internet de cette compagnie.
Il ne fait aucun doute qu’il y a lobbying de l’Exécutif et de son chef dont la lecture, entre les lignes, des lettres de Marafa et des interventions de Mila Assouté, laisse planer un gros soupçon de sa mainmise sur les 32,5 milliards de francs CFA payés comme dédommagements par la sud-africaine SAA. Comme Tchiroma, d’autres « bénéficiaires ont été promus dont certains à des fonctions gouvernementales », révèle Marafa. En politique, c’est une manière classique d’acheter le silence. Mila Assouté montrait déjà cette duplicité chez Biya qui faisait « passer ses rapports par les gens qui étaient mis en cause dans la corruption que visaient les Sud-africains. » Il citait d’autres bénéficiaires « comme Amadou Ali, Egbe Hilman, et autres ont reçu des récompenses financières avoisinant 100 millions pour certains… » Dans le rapport remis au Chef d’Etat en 2000 et cité par Marafa et dont nous avons obtenu copie, on y lit justement que Tchiroma « a admis avoir reçu et parfois sollicité des sommes d'argent de ATT, pour financer ses activités politiques après la signature des contrats. » Dans cette obstruction judiciaire, c’est un sentiment multiple de drames dans le drame qui interpelle davantage.
En admettant une indemnisation certainement insignifiante des victimes ou de leurs ayant-causes, l’on est en droit de se demander où est passée la très grande partie de ces 32,5 milliards ? Le rejet d’ouverture d’une enquête n’aide en rien à la reconstruction de l’image ternie du Chef de l’Etat dans cette « scabreuse affaire » (Marafa) qualifiée de « commentaires » par le Parrain qui veut vite la voir clôturer. Au contraire, il tend à signifier comme à son habitude que Biya trouve les révélations de l’ex-Secrétaire général à la Présidence de la république et ex-Ministre d’Etat (au MINATD) comme étant « sans objet », terme précisément utilisé avec défiance par le Député RDPC Amougou Mezang qui n’est pas sans rappeler celui formulé par le Chef dudit parti lors des revendications de la tenue d’une conférence nationale souveraine au cours des années de braises.
Malgré les évidences, comme le Chef de l’exécutif il y a un quart de siècle, l’Assemblée nationale à dominance RDPC semble demander à nouveau aux citoyens : « Où sont les preuves ? » Dans cette fusion incestueuse, l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire tancent avec un doigt d’honneur le peuple qu’ils ont pris en otage, leur intimant en quelque sorte cet ordre : « Circulez… n’y a rien à voir ! » Si ! Alors tenez : ce 18 juin, le Secrétaire général à la présidence aurait transmis au Ministre de la justice Amadou Ali, pourtant aussi cité comme bénéficiaire dans cette affaire, le dossier qui accable son complice Tchiroma, pour instruction judiciaire. Un bluff dilatoire ! Le dossier est-il finalement plein ? Décidément drôle quand on sait que le garde-chasse est un braconnier. Qu’en public, Tchiroma ait averti Marafa qu’il ouvrait la « boite de pandore » interpelle… Le roi est nu ! En se plaçant derrière son cadet, le baigneur surpris ne cache en réalité que son sexe.