Le renouvellement de la classe politique camerounaise

L’on peut identifier quatre causes du désarroi général, les raisons qui font que le Cameroun soit à genoux. Je désire attirer l’attention sur l'existence et la pertinence de ces causes, pour mieux éclairer notre action et le sens de notre vote, lors des prochaines législatives, où le RDPC devra à tout prix être battu, c’est-à-dire mis en minorité.

1.      Le premier et le plus apparent de ces facteurs, c'est le déclin relatif et à long terme de l'économie camerounaise. Il est relatif parce que, à proprement parler, nous n’avons jamais été une économie émergente, nous n’avons jamais été une société industrielle, le Cameroun a chèrement payé son « indépendance » à l’ex-puissance coloniale, c’est un fait attesté par des réflexions plus élaborées. Or la société civile a besoin d'une classe moyenne forte, une classe moyenne qui se développe bien par l'industrialisation plutôt que l’administration publique. Nous sommes en effet dans une république de fonctionnaires, pire de fonctionnaires mal rémunérés ! Ce décalage relatif dans la croissance économique a conduit à une société dont la classe moyenne[1] a cessé de s'épanouir ainsi qu'elle l'avait fait au cours des années qui ont suivi l’indépendance. Ceux de nos compatriotes qui ont remplacé les anciens maitres aux postes de responsabilité ont agi par mimétisme, comme s’ils étaient eux aussi de passage au Cameroun.

2.      Le second facteur entravant est la réduction ou la désagrégation de la force du pilier le plus important de la société civile: la famille. Le Cameroun est entré dans les années Biya avec un tissu social extrêmement dense de réseaux familiaux: la famille en tant qu'institution est de nos jours extrêmement fragile. La moitié des jeunes gens ne se marient pas et la moitié de ceux qui le font élèvent des adultérins et oublient dans les « deuxièmes bureaux » les enfants qui sont les leurs. L'énorme capital social que la famille pouvait représenter a été largement dissipé par une société qui a explicitement choisi de détrôner la famille, faisant de ce qui est un projet désirable et normal - celui d'établir et de soutenir une famille - quelque chose de complètement dépassé. La priorité des priorités est une vie minimale, une existence au rabais, et le mariage n’est plus qu’une démonstration de puissance, un moment de vain prestige.

3.      Un troisième facteur qui a contribué à l'érosion de la vitalité de la société civile c'est la confusion qui règne en l'absence d'une éthique sociale consacrée... une culture publique commune. Cette confusion paralyse les plus bienveillants de nos compatriotes qui ne savent plus comment se comporter lorsqu'ils ont à agir dans des situations publiques, avec comme conséquence qu'ils démissionnent tout simplement et ne font rien. Leur incapacité à agir ou à intervenir - ne serait-ce que pour assumer une fonction dans un groupe bénévole ou venir en aide à des compatriotes en détresse - est une terrible entrave à l'efficacité de la société civile. Par conséquent, l’insignifiante croissance économique, la dévalorisation et la fragilité de la famille en tant qu'institution et la confusion des idées sur ce que devrait être l'éthique sociale commune ont contribué à miner la vitalité de la société civile. Il existe cependant un quatrième facteur qui a directement compromis la société civile camerounaise et c'est le rôle de la technocratie de l'État.

4.      La technocratie étatique « est constituée de tous ceux dont le revenu est attribuable à la population et prélevé en fonction d'un mandat ou un privilège conféré par l'État. » (Weber) La politisation d'une grande partie de la société camerounaise a conduit à une augmentation incroyable de cette catégorie de personnes. Elle comprend tous les travailleurs des secteurs public et parapublic et tous ceux qui se trouvent dans les secteurs politisés comme celui des multinationales, des finances, des médias, etc.

                    « Que faire ? »                                                                       

 L’urgence d’un parlement plus représentatif

Au-delà de cette technocratie prégnante, nous avons des députés mal élus, au reste l’exigence morale pour l’accès aux mandats électifs n’a jamais été forte. Seule prévaut la logique inexorable d'une poignée d’affairistes qui a envahi le « palais de verres » de Ngoa-Ekellé au point qu'elle a fini par rationaliser ses intérêts matériels comme étant ceux de la société elle-même. Un exemple frappant de cette rationalisation: le sort qui a été réservé à la demande très largement répandue d'une application des termes constitutionnels sur la déclaration des biens. Le Cameroun profond en perçoit la nécessité, fût-elle purement légaliste, cependant que le gouvernement et le parlement l’ignorent, de sorte que cette exigence, on ne peut plus démocratique et populaire, est devenue un point de détail... dans l'intérêt bien compris de nos ploutocrates ! La vérité toute crue c'est que la technocratie, comme n'importe quel corps, est en dernière analyse disposée à sacrifier les intérêts de la société à ses intérêts corporatistes.

Dans ce contexte, la capacité d’analyse des politiques tend à se réduire à un constat d’échec, à la stigmatisation d’un homme qui, non sans raison, fait l’objet de tous les opprobres. J’ai lu les programmes politiques de certains candidats à la présidentielle: soit nos politiques ont vraiment le sentiment de s’adresser à des demeurés, soit ils sont dépourvus de hauteur, de noblesse, d’originalité et de vision. D’où il résulte qu’il est très aisé de comprendre pourquoi le régime de monsieur Biya est indéboulonnable. Ce qui n’est pas un prétexte pour ne rien faire, mais une raison de faire autrement.

Au lieu donc de tout attendre du pouvoir central et des stratégies top-down, il faudrait se convertir à la construction par le bas (bottom-up) d'une alternative ; il y a un mois, je parlais dans une tribune dans notre quotidien de  « nouvelle ingénierie démocratique », où la société civile, la société de tous, la société des hommes et des femmes au travail, ne laisserait plus à la classe politique le privilège de la conquête du pouvoir. La question que nous devons nous poser ici est celle de la méthode. C’est notre leitmotiv : pas de stratégie, pas d’action.

Par ailleurs, Il nous faut, pour comprendre ce qui nous arrive, habiter les contradictions, les responsables que nous pointons du doigt sont parfois des victimes qu’il faut plaindre. De même vivons-nous en ce moment plusieurs paradoxes, celui du peuple qui, quand il agit d’une seule voix, comme cela a été le cas en Égypte et en Tunisie peut renverser le tyran le plus dionysiaque ; et celui de ce même peuple dont le pouvoir s’arrête net à l’ébranlement d’un régime… Le pouvoir politique est soumis aux lois du marché et aux intérêts les plus divers, la loi d’airain de l’oligarchie reprendra bientôt ses droits.

Si, annonce-t-on en Égypte, le référendum n’est pas concluant, l’armée gouvernera à coups de décrets ; idem en Tunisie. Voilà désormais l’horizon de cette grève générale pompeusement appelée « révolution de jasmin ». Ils sont bien avancés nos amis révolutionnaires, passée la satisfaction illusoire d’avoir fait tomber un baobab, comblée la soif de sang des foules, que leur restera-t-il ? Une économie affectée, des stigmates d’une lutte à mort et une impossible réconciliation.

Que chacun à part soi étudie l’état de la question présidentielle au Cameroun (analyse des faits et des possibles)… Pensez-vous réellement qu’après un demi-siècle au pouvoir, les Français (Paul Biya a été recommandé par Louis-Paul Aujoulat à Ahidjo, illustre franc-maçon préféré lui-même à A.-M. Mbida par l’ex-puissance coloniale) vont accepter de voir une opposition américaine (la base arrière de l’opposition la plus virulente au Cameroun est aujourd’hui Washington) s’instaurer ? C’est franchement mésestimer la capacité française à tirer des leçons de l’expérience ivoirienne…

Plutôt que d’encourager une opposition « de façade », engageons-nous pour une société civile militante…Militons pour qu’en 2012, les députés ne soient plus des feymen en quête d’immunités, des illettrés assoiffés de reconnaissance, battons-nous pour que les plus méritants soient élus, c’est par le biais du parlement que le peuple exerce sa souveraineté, cette élection reste, en l’état actuel de nos mœurs politiques, celle la plus à même de transformer notre société , de la tirer vers le haut…De la base au sommet (bottom-up), nous sommes les artisans du Cameroun nouveau et nous n’avons pas besoin d’attendre d’être Président de la République pour cela.

Au lieu que les activistes de la CAMDIAC envoient aux opposants camerounais de l’argent pour des marches (de l’argent d’ailleurs que nos vaillants opposants comme de juste auraient détourné : tout opposants qu’ils soient, ils n’en sont pas moins camerounais), une solution est là, à portée de main, il suffirait d’un claquement de doigts, autrement dit de le vouloir. C’est tout. Mais c’est cela qui est difficile. Voulons-nous vraiment faire progresser la cause nationale ? Envoyez-nous, messieurs de la « diaspora », des containers de sceptres et de couronnes qu’on irait déverser à Etoudi, même si Paul Biya devenait roi, ce ne serait pas la chose la pire qui pût arriver au peuple camerounais ! Ce qui me sidère en fin de compte, c’est de voir combien certains Camerounais buttent sur ce problème imaginaire (Biya).

La vraie révolution est celle qui instaurerait un vrai parlement, avec des députés qui aient des coudées franches et ne soient plus aux ordres, des parlementaires qui réfléchissent et produisent des lois, avec un tel parlement, même un dictateur de la trempe de Mussolini ne nous ferait pas peur. Pour que le renouvellement que nous appelons de nos vœux se produise, il doit y avoir comme John Stuart Mill, Alexis de Tocqueville et Edmund Burke l'ont démontré, ce que nous appelons de nos jours une société civile: un domaine de la vie sociale qui ne soit pas soumis aux prérogatives économiques ou politiques; en d'autres mots, que la logique de l'État et les lois du marché ne puissent pas atteindre. Vivement 2012 !



[1] La classe moyenne est en ce cas une variable explicative purement indicative, théorique. Car il n’existe pas de classes sociales au Cameroun. Ici la classe moyenne désigne l’ensemble du corps social qui se distingue de la technocratie et aurait pu servir de locomotive à une société civile dynamique.



22/03/2011
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