Le premier avril 2010, le Quotidien Mutations annonce à la une de son édition la candidature de René Emmanuel Sadi à la prochaine présidentielle. Le bon bougre est devenu vert. Pète-sec, l’air persécuté, il a trouvé le canular du plus mauvais goût qui soit et l’a fait savoir. La plaisanterie ne l’a pas fait rigoler, et c’est un euphémisme : elle l’a manifestement terrorisé. Le Directeur de cette publication avait pourtant démenti l’information le jour même, en répétant à l’envi qu’il s’agissait d’un poisson d’avril. Aurait-on écrit qu’Épervier était à ses trousses qu’il n’aurait pas été plus paniqué. C’est que ceux qui seraient fondés à succéder à Biya à la tête du Cameroun s’autoexcluent, s’excusent presque d’exister politiquement. Ils s’interdisent de penser haut à leur avenir, craignent d’être seulement soupçonnés de nourrir des ambitions présidentielles, se donnent des airs de martyrs si le sujet est évoqué devant eux. C’est dire que nul parmi les personnalités de premier plan ne pourrait légitimement prétendre à la succession, puisqu’ils ont accoutumé leurs militants et le Cameroun tout entier à penser qu’ils étaient des « non-entités politiques » absolument insusceptibles d’être président de la république. C’est à désespérer de la politique du ventre plein. Esclaves aujourd’hui, comment pourront-ils convaincre demain qu’ils se seront véritablement affranchis de cette mentalité d’esclave ?
Le président Biya, aux yeux de ses partisans, est
Dieu. Citons quelques cas typiques de l’état de servitude volontaire
dans laquelle se sont englués ses thuriféraires. L’éminent Jacques Fame
Ndongo, lors de l’émission « Parole d’Homme » sur la chaîne Canal 2, le
23 mars 2010, affirmait sans rire qu’ils étaient lui et toutes les
élites qui servaient le régime « des créations du Président National...
Ses créations et ses créatures. »(sic) On peut le soupçonner de tout
sauf d’avoir voulu dire autre chose que ce qu’il a dit, c’est un maître
de la parole, toujours prompt à aligner une kyrielle de synonymes
savants pour chacune des épithètes utilisées. Sa langue est enjolivée et
surchargée de mots tous plus tapageurs les uns que les autres : c’est
donc que les mots ont un sens et il le sait mieux que quiconque, c’est à
dessein qu’il en use et en abuse, il n’y a pas de restrictions
hygiéniques liées à ce genre d’excès. Ce disant, il signifiait son
allégeance ad infinitum à Paul Biya. Quelques semaines auparavant, Henri
Eyébé Ayissi, Ministre des relations extérieures, faisait lui aussi sa
danse du ventre et déclarait que le Président National du RDPC était l’ «
Alpha et l’Oméga ». L’« Alpha et l’Oméga » ! On peut l’accuser de tout
sauf d’être un bêta ou un adulateur lambda, ni d’ignorer le sens de la
métaphore chrétienne. C’est un homme proche des milieux ecclésiastiques,
un catholique apparemment convaincu. Dire de cet « animal politique »
qu’est Biya qu’il est le Créateur, qu’il est l’Alpha et l’Oméga, n’est
pas qu’une banale outrance courtisane d’un « roseau pensant », c’est une
profession de foi d’un serviteur pourtant généralement lucide.
Plus récemment encore, dans l’émission Parole d’Homme, cette fois animée
par David Atemkeng, l’excellent « zéro mort », dans un beau morceau
d’éloquence, disait qu’il rêvait de voir son nom associé au renouveau,
que c’est cela seul qui l’obsédait, que par suite (conclusion implicite)
les suffrages du peuple camerounais l’indiffèrent. Ne réalisent-ils pas
qu’en se raccrochant autant au passé, chaque jour ils meurent un peu
plus ? Il y a dans cette loyauté quelque chose de fondamentalement
malsain. Il vous sera fait grâce des envolées lyriques du Secrétaire
Général du RDPC. Il n’est pas seulement un bigot du dieu de Mvomeka’a,
il en est aussi le panégyriste le plus diligent; et présente, chaque
fois qu’il prend la défense du prince d’Etoudi, tous les symptômes de
l’amoureux éperdu, tous les travers de l’amour qui veut à toute force
montrer son amour, la sincérité qui veut à cor et à cri dire sa
sincérité : touchant, cucul la praline, enflammé, manquant souvent du
sens des nuances, par aveuglement d’ailleurs, davantage que par
stratégie. De ce point de vue, il n’a rien à envier à Foning Françoise.
Et cette voix sensuelle, authentique ou factice, elle lui donne un
genre, c’est certain. C’est à croire qu’il ne suffit pas d’être
biyatiste, encore faut-il le proclamer chaudement. Dans les cours
françaises telles que décrites par La Bruyère dans ses Caractères, les
courtisans et autres caudataires étaient de fins calculateurs, faux et
intéressés. Aucun parallèle ne saurait être établi avec la situation
camerounaise. Les hauts dignitaires du régime pensent vraiment que Paul
Biya est au moins un saint. C’est à peine s’ils le citent autrement que
par des circonlocutions et des titres nobiliaires, son nom n’est pas
prononcé en vain ; il est toujours, le cas échéant, précédé de « Son
Excellence », attribut fautif dans les contextes invoqués, l’on sacrifie
la correction de la langue et celle des usages à l’autel de la brosse à
reluire. Il ne faut pas négliger ici le pouvoir de la parole (l’ «
alchimie du verbe » pour paraphraser Rimbaud), à force de dire qu’il est
« le seul », « l’unique », « l’homme-lion », « le leader naturel », une
sorte de pendant tropical des dieux grecs, même ceux qui n’y adhéraient
que du bout des lèvres ont fini par croire que Biya est sinon Dieu, du
moins son avatar. Courtisans par nécessité a priori, ils le sont devenus
par conviction a posteriori. La méthode Coué a souverainement présidé à
cet état de choses.
Ses rivaux politiques peuvent rendre grâce au Ciel qui n’a fait que nous le prêter. Paul Biya est de passage sur terre et ce n’est pas pour son immortalité que nous voterons en Octobre. Vu son âge avancé, il est même plus mortel que la majorité des Camerounais. L’espérance de vie dans ce pays est de 55 ans au mieux, en utilisant une image sportive l’on serait statistiquement fondé à dire que Biya, qui est chargé d’ans, joue les prolongations maintenant. L’appréhension commune est que cela se termine sur une mort subite. Notre président de la république et le RDPC ont donc une responsabilité historique, celle de nous dire dès à présent qui sont les principaux successeurs potentiels, il ne faut pas laisser notre horizon sans perspective. Il y a dans l’opposition des potentiels, mais pas de valeurs sûres ; une analyse sommaire du marché politique camerounais rend peu probable l’accession imminente d’un opposant au pouvoir. En tout cas, nous ne voulons pas d’un candidat de la communauté internationale, un candidat emballé dans des papiers-cadeaux bas de gammes que sont certaines reconnaissances internationales, ou un candidat que l’on nous sortirait d’un foulard de prestidigitateur : les camerounais veulent rêver. Avec Paul Biya au pouvoir, on se rassure à bon compte, mais on ne rêve plus. A défaut de sondage, les journalistes n’entrevoient-ils vraiment rien ? Les universitaires pro et antibiyatistes ne plébiscitent-ils personne en dehors d’eux-mêmes? Il y a une véritable omerta, une autocensure sur la question. Ne savent-ils pas que leurs commentaires respectifs peuvent faire émerger une candidature, révéler une personnalité hors du commun, accréditer une éventualité ? Nous avons noté dans la surprenante correspondance du Directeur du cabinet civil à Jeune Afrique une précision relative à cette succession, comme quoi l’option dynastique n’était pas à l’ordre du jour. Fort bien, nous ne demandons qu’à croire. Mais cela ressemblait davantage à de la dénégation freudienne. De quoi faut-il soupçonner l’enfant qui, sans être accusé, s’écrie « ce n’est pas moi » ?