Le PS et Gbagbo : les embarras africains des socialistes françaisLe PS peine à prendre position sur le coup de force de Laurent Gbagbo, qui dénonce l’ingérence occidentale en Côte d’Ivoire.
Les embarras du PS avec le coup de force de Laurent Gbagbo pour se maintenir au pouvoir en Côte d’Ivoire ne sont qu’un héritage d’une relation jamais réellement clarifiée : celle des socialistes avec l’Afrique.
Depuis le résultat des élections ivoiriennes, il y a dix jours, et la proclamation de deux présidents rivaux, il y a comme un flottement au Parti socialiste, que cache mal la position officielle qui reconnaît, avec la communauté internationale, la victoire d’Alassane Ouattara, et demande au Président sortant de l’accepter, alors que celui-ci accuse l’Occident d’ingérence en Côte d’Ivoire.
Dernier en date à se rallier à cette position « légaliste », Jean-Christophe Cambadélis, l’un de ceux qui ont fait le voyage d’Abidjan pendant la campagne électorale pour soutenir Gbagbo, jusque-là « infréquentable » (selon le mot de François Hollande) depuis les années de guerre civile. Le silence de Cambadélis pesait d’autant plus lourd qu’il est en charge des relations internationales rue de Solférino.
Vendredi, en tchat au Monde.fr, il a clarifié sa position :
« Il faut donc obtenir que Laurent Gbagbo reconnaisse le résultat [favorable à son rival Ouattara, ndlr], car je ne vois pas bien comment, sinon, la Côte d’Ivoire peut s’en sortir. »
Pour Cambadélis, cette prise de position était d’autant plus attendue qu’en octobre, lors de son passage à Abidjan, il avait donné, dans un entretien à Rue89, une analyse très personnelle de l’attitude du PS vis-à-vis de Laurent Gbagbo lors de la guerre civile ivoirienne à partir de 2002 :
« La situation était confuse ; au bureau national du Parti socialiste, il y a eu des discussions houleuses, on n’avait pas adopté de position. Chacun défendait des choses, ici ou là.
Et François Hollande avait dit que, dans ce moment, il n’était pas fréquentable, et qu’il fallait voir comment les choses allaient évoluer. Bien sûr, on a saisi la phrase [de Hollande, ndlr]. Mais aujourd’hui, je suis là. » (Voir la vidéo)
Après l’appel de Jack Lang, lui aussi un visiteur d’Abijan, en 2008 comme en 2010, à son « cher Laurent » pour qu’il accepte le résultat du vote cautionné par l’ONU et favorable à Ouattara, il ne reste plus guère qu’Henri Emmanuelli, parmi les dirigeants du PS, à rester fidèle à Gbagbo, et pas seulement parce que les deux hommes sont nés le même jour et la même année…
Le PS et l’Afrique : une saga ambigüe
Ces hésitations sur la Côte d’Ivoire sont assez révélatrices de la difficulté africaine du PS, qui n’a jamais réussi à incarner une politique véritablement différente pour la France sur le continent noir, en particulier lorsqu’il a été aux Affaires, pendant les deux mandats de François Mitterrand comme lorsque Lionel Jospin était à Matignon, dans une cohabitation tendue avec un Elysée tenu par Jacques Chirac.
Sans doute, pour comprendre cette difficulté, faut-il remonter à la carrière de François Mitterrand sous la IVe République, à son passage au ministère des Colonies au début des années 50, à ses amitiés politiciennes avec plusieurs élus d’Afrique francophone, dont un certain Félix Houphouët-Boigny, qu’il convainquit de passer d’un apparentement communiste à son groupe, l’UDSR. Ce passé « africain » du futur président socialiste pèsera lourd sur ses choix après 1981.
Mai 1981 : le Parti socialiste a imprimé une brochure spéciale consacrée à la politique africaine, en vue de l’élection présidentielle. Un véritable programme audacieux de rupture avec l’ère gaulliste et giscardienne, ses coups fourrés et son paternalisme, son affairisme et ses ingérences.
Lorsque le PS l’emporte, Jean-Pierre Cot est nommé ministre de la Coopération et proclame qu’il ne voyagera pas dans un pays africain sans avoir d’abord consulté sa fiche sur le rapport annuel d’Amnesty international…
Lors d’un voyage en Côte d’Ivoire avec François Mitterrand, en 1982, il ne cache pas son écœurement en découvrant le palais de marbre d’Houphouët-Boigny. Une autre fois, il s’oppose à ce que les crédits de la coopération soient utilisés pour refaire la décoration intérieure de l’avion du président gabonais Omar Bongo.
Furieux, Bongo mobilise ses collègues, et obtient de Paris le limogeage de Jean-Pierre Cot… Tout comme il récidivera vingt-cinq ans plus tard pour faire limoger le ministre de la Coopération de Nicolas Sarkozy, Jean-Marie Bockel, coupable d’avoir voulu, lui aussi, enterrer la Françafrique ou du moins de l’avoir dit.
L’Elysée ou la rue de Solférino ?
Omar Bongo savait quel numéro appeler pour dégommer Jean-Pierre Cot : celui du 2 rue de l’Elysée, le bureau de la cellule africaine de la présidence, occupé par Jacques Foccart à l’époque gaulliste, et par Guy Penne sous Mitterrand. Ce militant socialiste, épaulé puis remplacé par le propre fils du Président, Jean-Christophe Mitterrand, se coulera totalement dans le moule forgé par Foccart, et deviendra le continuateur de la Françafrique, version poing et rose.
Au même moment, toutefois, rue de Solférino, au siège du PS, les visiteurs africains ne sont pas exactement les mêmes que rue de l’Elysée. Le siège du PS voit défiler de nombreux opposants africains réfugiés à Paris, et qui cherchent un appui face à leur autocrate de Président ami de la France.
Parmi eux, un fougueux enseignant en rupture avec Houphouët-Boigny : Laurent Gbagbo. Cet intellectuel a mené des grèves dans son pays, a connu la prison et désormais l’exil. Il trouve une oreille complaisante auprès de Guy Labertit, le « monsieur Afrique » du PS, un ancien du PSU de Michel Rocard, très impliqué dans le soutien aux luttes de libération en Afrique noire.
Guy Labertit va jusqu’à héberger Laurent Gabgbo chez lui, alors que l’Elysée, totalement soumis au bon vouloir d’Abidjan au nom de la vieille amitié Houphouët-Mitterrand et de la place centrale du « Vieux » au sein du club des chefs d’Etat francophones, s’oppose à tout contact avec lui. Labertit fait pourtant inviter Gbagbo à un congrès du PS avec un badge de presse pour contourner l’interdit.
Aujourd’hui encore, Guy Labertit, qui n’est plus le « monsieur Afrique » du PS, est resté fidèle à Laurent Gbagbo et se trouvait à la prestation de serment de Gbagbo pour son nouveau mandat, alors que le reste du monde, PS compris, refuse de le reconnaître.
Pour être tout à fait honnête, journaliste à Libération en charge de l’Afrique à l’époque, dans les années 80, je rencontrais souvent, moi aussi, l’exilé Laurent Gbagbo, qui semblait incarner tout ce qui manquait à la génération des autocrates vieillissant au pouvoir en Afrique : la jeunesse, le dynamisme, un esprit démocratique et ouvert. La suite s’est révélée plus complexe et l’exercice du pouvoir aux antipodes du dîner de gala…
Par la suite, Laurent Gbagbo a été inclus dans le jeu politique et, chaperonné par le PS, a été admis au sein de l’Internationale socialiste.
Pas de politique africaine socialiste Mais ce qui frappe, à observer le PS depuis 1981, c’est son incapacité à remettre à plat la politique africaine de la France. François Mitterrand a tué dans l’œuf toute velléité de changer les règles du jeu, poussant son fils Jean-Christophe qui s’est coulé dans le moule du copinage et de l’affairisme sur le continent, et continue d’en payer le prix judiciaire.
Lionel Jospin, avec des amitiés et une histoire différente sur le continent, aurait pu présider à une véritable révision lors de son arrivée à Matignon en 1997. Mais l’Afrique était, et reste, solidement installé dans le « domaine réservé » du président de la République, et Lionel Jospin avait suffisamment de sujets de conflit avec Jacques Chirac, et l’élection de 2002 en ligne de mire, pour secouer le cocotier franco-africain pendant cette période.
Résultat : le PS arrive aujourd’hui avec une politique africaine en jachère, alors qu’il se prépare à revenir aux affaires en 2012 s’il remporte l’élection présidentielle.
La crise ivoirienne est la première à rappeler aux socialistes qu’il n’ont pas soldé les comptes du passé (la complaisance de l’ère Mitterrand, le Rwanda…), et pas encore défini leur politique sur un continent qui a beaucoup changé, sur lequel la position de la France n’est plus assurée, et dont les termes de la présence doivent clairement être redéfinis. Ils ont la chance que Nicolas Sarkozy n’a rien compris à l’Afrique et a raté le coche dès son « discours de Dakar », en 2007.
Mais la polyphonie ivoirienne autour des événements d’Abidjan montre que le PS est loin d’avoir une vision et des porte-parole pour l’incarner. Ça sera peut-être le mérite de Laurent Gbagbo et de son élection bâclée que de forcer les socialistes français à se poser des questions.
Photo : Laurent Gbagbo et Lionel Jospin à l’Elysée en juin 2001 (Mal Langsdon/Reuters).
Source : Rue89