Le piège de la négociation
Le piège de la négociation
(L'Observateur Paalga 23/12/2010)
On ne l’avait plus entendu depuis son investiture expresse le 3 décembre 2010 au cours de laquelle il avait improvisé un petit laïus. Depuis, beaucoup d’eau, pour ne pas dire beaucoup de sang, a coulé sous le pont Houphouët.
Les pressions internationales se sont faites de plus en plus fortes. Les sanctions ont commencé à tomber, les manifestations se sont faites violentes, notamment celle du jeudi 16 décembre 2010.
Et à ce jour, on dénombrerait au moins 50 morts, 200 blessés et près de 500 arrestations et détentions arbitraires.
C’est dans ce décor, quasi apocalyptique, que Laurent Gbagbo est réapparu à sa télé pour s’adresser aux Ivoiriens avec un ton volontiers martial. Il a rappelé, sans rire, qu’il était le président démocratiquement élu avec 51,45% des voix ; que son challenger, Alassane Dramane Ouattara (ADO), est un mauvais perdant qui ne veut pas obéir aux lois de son pays. Il lui a imputé au passage la responsabilité des violences. Puis, le mari de Simone a avancé ce qu’il estime être une proposition de sortie de crise.
En effet, dans cette allocution radiotélévisée, il a fait une offre de dialogue à ses adversaires : « Je tends la main à l’opposition, à Monsieur Ouattara, comme à la rébellion armée qui le soutient. Je ne veux plus de guerre. Je ne veux pas que le sang d’un seul Ivoirien soit versé ». Il a dans la foulée proposé la création d’un Comité d’évaluation de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire.
« Ce Comité, dirigé par un représentant de l’Union Africaine, et comprenant des représentants de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest), de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest- africaine), de la Ligue Arabe, des Nations unies, des Etats-Unis, de l’Union Européenne, de la Russie et de la Chine, aura pour mission d’analyser objectivement les faits et le processus électoral, pour un règlement pacifique de la crise. Ce Comité devra également comprendre des Ivoiriens de bonne volonté ».
On ne peut que lui savoir gré de vouloir discuter pour sortir du bourbier postélectoral dans lequel la lagune Ebrié est engluée depuis le 28 novembre 2010. Car, sauf à vouloir prôner d’autres solutions (le coup d’Etat ou l’élimination physique comme semblent le suggérer certains), il faut bien négocier pour se dépêtrer de cet imbroglio politico-juridique.
Malgré donc toutes les réserves qu’on peut avoir sur ces propositions « gbagbistes », il ne serait pas sain de les rejeter du revers de la main. Cependant, en réaffirmant la légalité de son pouvoir (quand ses contradicteurs brocardent son illégitimité) tout en faisant des propositions de sortie de crise, l’enfant terrible de Mama semble dire que tout est négociable sauf son fauteuil.
Or, c’est précisément là que le bât blesse. Il s’en faut d’ailleurs qu’il ne veuille enfermer ses contempteurs dans le piège de la négociation, car un animal politique comme lui est bien payé pour savoir que la meilleure façon de tuer une affaire, c’est de créer une commission ad hoc pour en connaître et de laisser faire le temps.
Que se passera-t-il en effet si ADO et la communauté internationale acceptent le deal qui leur est proposé ? Ils seront bien obligés de mettre un bémol à leurs revendications, de ranger leurs ambitions au placard pour des pourparlers à l’issue pour le moins incertaine.
D’abord si le principe d’une telle commission ad hoc est accepté, il faudra ensuite s’entendre sur les personnes qui composeront ce comité de sages couleur café-cacao.
Plusieurs semaines voire des mois seront alors passés avant que les différents camps ne se mettent d’accord sur l’identité des oiseaux rares qui seront installés pour commencer à travailler en attendant les premiers blocages, qui ne manqueront pas de survenir pour un ET ou pour un OU.
A ce pas de tortue, ça fera forcément l’affaire de celui qui tient les rênes du pouvoir. Et comme parfois c’est le fait qui génère le droit (encore que, dans son cas, les apparences juridiques soient sauves), Laurent Gbagbo aura tôt fait de souffler sa première bougie à la présidence de la République.
Si on ajoute à cela le fait que le Boulanger de Cocody s’est taillé une solide réputation de « faux-type » qui tient rarement ses engagements, attendant toujours la moindre occasion pour rouler ses adversaires dans la farine, on comprend qu’il faille prendre ses bonnes résolutions avec beaucoup de circonspection.
La République du Golf Hôtel l’a si bien compris qui a opposé une fin de non-recevoir à cette offre, perçue comme une manœuvre dilatoire et de diversion, une fuite en avant, juste pour gagner du temps. Mais ce faisant, ils s’enferment eux aussi dans la logique du « non-être » politique, puisqu’ils n’ont pas l’appareil d’Etat pour jouir de leur pouvoir légal.
Cette allocution de Laurent Gbagbo parviendra-t-elle à attendrir la communauté internationale ? On aura sans doute un début de réponse à cette question ce vendredi 24 décembre avec le deuxième sommet ad hoc que la CEDEAO tient sur la situation en Côte d’Ivoire en l’espace de deux semaines.
San Evariste Barro
(L'Observateur Paalga 23/12/2010)
On ne l’avait plus entendu depuis son investiture expresse le 3 décembre 2010 au cours de laquelle il avait improvisé un petit laïus. Depuis, beaucoup d’eau, pour ne pas dire beaucoup de sang, a coulé sous le pont Houphouët.
Les pressions internationales se sont faites de plus en plus fortes. Les sanctions ont commencé à tomber, les manifestations se sont faites violentes, notamment celle du jeudi 16 décembre 2010.
Et à ce jour, on dénombrerait au moins 50 morts, 200 blessés et près de 500 arrestations et détentions arbitraires.
C’est dans ce décor, quasi apocalyptique, que Laurent Gbagbo est réapparu à sa télé pour s’adresser aux Ivoiriens avec un ton volontiers martial. Il a rappelé, sans rire, qu’il était le président démocratiquement élu avec 51,45% des voix ; que son challenger, Alassane Dramane Ouattara (ADO), est un mauvais perdant qui ne veut pas obéir aux lois de son pays. Il lui a imputé au passage la responsabilité des violences. Puis, le mari de Simone a avancé ce qu’il estime être une proposition de sortie de crise.
En effet, dans cette allocution radiotélévisée, il a fait une offre de dialogue à ses adversaires : « Je tends la main à l’opposition, à Monsieur Ouattara, comme à la rébellion armée qui le soutient. Je ne veux plus de guerre. Je ne veux pas que le sang d’un seul Ivoirien soit versé ». Il a dans la foulée proposé la création d’un Comité d’évaluation de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire.
« Ce Comité, dirigé par un représentant de l’Union Africaine, et comprenant des représentants de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest), de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest- africaine), de la Ligue Arabe, des Nations unies, des Etats-Unis, de l’Union Européenne, de la Russie et de la Chine, aura pour mission d’analyser objectivement les faits et le processus électoral, pour un règlement pacifique de la crise. Ce Comité devra également comprendre des Ivoiriens de bonne volonté ».
On ne peut que lui savoir gré de vouloir discuter pour sortir du bourbier postélectoral dans lequel la lagune Ebrié est engluée depuis le 28 novembre 2010. Car, sauf à vouloir prôner d’autres solutions (le coup d’Etat ou l’élimination physique comme semblent le suggérer certains), il faut bien négocier pour se dépêtrer de cet imbroglio politico-juridique.
Malgré donc toutes les réserves qu’on peut avoir sur ces propositions « gbagbistes », il ne serait pas sain de les rejeter du revers de la main. Cependant, en réaffirmant la légalité de son pouvoir (quand ses contradicteurs brocardent son illégitimité) tout en faisant des propositions de sortie de crise, l’enfant terrible de Mama semble dire que tout est négociable sauf son fauteuil.
Or, c’est précisément là que le bât blesse. Il s’en faut d’ailleurs qu’il ne veuille enfermer ses contempteurs dans le piège de la négociation, car un animal politique comme lui est bien payé pour savoir que la meilleure façon de tuer une affaire, c’est de créer une commission ad hoc pour en connaître et de laisser faire le temps.
Que se passera-t-il en effet si ADO et la communauté internationale acceptent le deal qui leur est proposé ? Ils seront bien obligés de mettre un bémol à leurs revendications, de ranger leurs ambitions au placard pour des pourparlers à l’issue pour le moins incertaine.
D’abord si le principe d’une telle commission ad hoc est accepté, il faudra ensuite s’entendre sur les personnes qui composeront ce comité de sages couleur café-cacao.
Plusieurs semaines voire des mois seront alors passés avant que les différents camps ne se mettent d’accord sur l’identité des oiseaux rares qui seront installés pour commencer à travailler en attendant les premiers blocages, qui ne manqueront pas de survenir pour un ET ou pour un OU.
A ce pas de tortue, ça fera forcément l’affaire de celui qui tient les rênes du pouvoir. Et comme parfois c’est le fait qui génère le droit (encore que, dans son cas, les apparences juridiques soient sauves), Laurent Gbagbo aura tôt fait de souffler sa première bougie à la présidence de la République.
Si on ajoute à cela le fait que le Boulanger de Cocody s’est taillé une solide réputation de « faux-type » qui tient rarement ses engagements, attendant toujours la moindre occasion pour rouler ses adversaires dans la farine, on comprend qu’il faille prendre ses bonnes résolutions avec beaucoup de circonspection.
La République du Golf Hôtel l’a si bien compris qui a opposé une fin de non-recevoir à cette offre, perçue comme une manœuvre dilatoire et de diversion, une fuite en avant, juste pour gagner du temps. Mais ce faisant, ils s’enferment eux aussi dans la logique du « non-être » politique, puisqu’ils n’ont pas l’appareil d’Etat pour jouir de leur pouvoir légal.
Cette allocution de Laurent Gbagbo parviendra-t-elle à attendrir la communauté internationale ? On aura sans doute un début de réponse à cette question ce vendredi 24 décembre avec le deuxième sommet ad hoc que la CEDEAO tient sur la situation en Côte d’Ivoire en l’espace de deux semaines.
San Evariste Barro
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