La capitale économique du Cameroun grouille de motos-taxis. On y dénombre plus de 50000 conducteurs de ces engins. Tout arrivant ou touriste est vite frappé par ce phénomène. Village, Dakar, Akwa, Bonabéri, Rond-point Deido, Ndokoti, pour ne citer que ces zones, sont quelques coins où la multiplicité de ces engins est telle qu'on se croirait dans une fourmilière. Aucun quartier de la ville n'échappe à la règle. Aucune ville du pays d'ailleurs. Mais Douala occupe le sommet de la chaine.
Dans un pays où le taux de chômage a pris des proportions alarmantes, dans un pays où l'obtention des diplômes n'est plus le gage d'un avenir professionnel certain, dans un pays où les pouvoirs publics ont quasiment démissionné ou échoué dans leur mission de mise sur pied de véritables politiques d'insertion professionnelle des jeunes, conduire une moto-taxi afin de "courir derrière les piecettes de 100 FCFA" est sans doute ce qui reste quand on a tout perdu.
Comment en vouloir à ces Camerounais qui essaient tant bien que mal de "chercher la vie?" Il n'y a pas de sot métier. Toutefois, étant donné que c'est la plupart des jeunes qui s'y retrouvent par que faire, c'est qu'il y a anguille sous roche. Diplômés, Analphabètes, Illétrés, Gamins, Parents, Expulsés ou Démissionnaires des entreprises, Retraités, Malfrats, etc., toutes les catégories sociales se reconvertissent en conducteurs de motos-taxis. À partir du moment où cette activité non encore légiférée par des textes de lois nourrit son homme et retarde provisoirement un soulèvement populaire contre la misère sociale et les dérives de toutes sortes (corruption, détournements de deniers publics, favoritisme, clientélisme, aphatie administrative, ...), les pouvoirs publics jouent aux apprentis-aveugles, poussent un ouf! de soulagement et se frottent les mains. Mais pour combien de temps encore? Seul l'avenir nous le dira.
À observer attentivement ces motos-taximen dans les différentes rues et divers carrefours de la ville de Douala, on dirait aisément, en paraphrasant Aimé Césaire, que "la misère s'est donné un mal fou pour les achever". Plus encore, au lieu de reprendre l'allégorie de Jacques Prévert qui clame que "le désespoir est assis sur un banc", on dirait plutôt que "le désespoir est assis sur une moto-taxi".
Leur accoutrement même est révélateur de cet état de choses: chevelure ébouriffée et souvent teintée, barbe de 100 jours et plus, yeux rouges d'alcooliques et de toxicomanes, casques remplacés par des bonnets de "père-noël mésaventurier" et prêt à faciliter la tonte de votre crane en cas de chute sur la chaussée, tenue de travail improvisée et d'une insalubrité indescriptible, pullower à manches découpés ou en haillons, gants déchiquetés pour ceux qui en possèdent, "pantalons sautés" si ce n'est de simples culottes sans envergure, chaussettes au couleurs arc-en-ciel, chaussures parfois constituées de pieds d'origine différente si ce n'est de simples sandales prêtes à by Savings Wave">offrir gracieusement votre cheville aux crocs de l'asphalte en cas de mauvaise manœuvre, et la liste n'est pas exhaustive.
Aussi, en tant que passager, on a du mal à déterminer l'identité de celui qui nous conduit vers notre destination qui, souvent, peut se transformer en destination inconnue ponctuée par des agressions ou des viols, voire des assassinats en cas de résistance. De tels dérives sont légion quotidiennement. Ceux de ces motos-taximen qui sortent du lot par un accoutrement et un comportement appréciables sont tellement peu nombreux qu'il semble inadéquat de les évoquer.
C'est au carrefour et au feu rouge qu'ils accélèrent. Ils ne connaîssent pas le sens giratoire. Tout "sens interdit" leur est "permis". Les dessous de camions sont facilement transformés en tunnels. Les rétroviseurs de leurs engins sont déconnectés de leurs engins par eux-mêmes dès le premier jour. Certainement, l'envergure desdits rétroviseurs constituent un obstacle à leur course folle vers une mort programmée. Même les courses de Rallyes et de Motos GP ne voient pas le carreau derrière la vitesse, ou plus exactement la précipitation des motos-taximen. Par conséquent, on assiste aux accidents les plus dramatiques qui soient et dont les victimes et les familles garderont des séquelles toute leur vie: traumatisme crânien, têtes écrasées sur la Chaussée, membres amputés sans anesthésie, peaux arrachées au rythme de l'imprudence et "lèpre" contractée en un temps record, motos émiettées, les occupants y compris, personnes innocentes brutalement arrachées à la vie...
Il est temps que le politique fasse quelque chose, non seulement pour assainir le milieu des motos-taxis et le nettoyer des brebis galeuses, mais aussi pour concrétiser l'insertion professionnelle des jeunes. Sinon on risquera de de classer la génération camerounaise d'aujourd'hui sur l'échiquier des motos-taximens. Ce qui serait une absurdité sur le plan progressiste, mais sans doute une vérité sur le plan de la réalité ambiante. Même si des efforts sont consentis par l'Etat pour améliorer le sort des diplômés en particulier et de tous les jeunes en général, ils sont pour l'instant inefficaces et inefficientes et restent lettre morte. Sans doute ne mesure-t-on véritablement pas l'ampleur du problème.