Le message de l'affaire Vanessa
Depuis que j’ai entendu la dernière sortie du ministre Issa Tchiroma pleurant sur « l’image du Cameroun dans le monde » à propos de l’affaire Vanessa, je me suis mis à imaginer comment peut vraiment être l’image de notre pays telle que perçue par cet homme qui, pour bénéficier de la considération et des faveurs du prince, est capable de trouver noir comme charbon quelque chose qui est blanc comme neige. Et l’arrivée du mot prince dans mon esprit m’a rappelé l’ouvrage de Nicolas Machiavel dont je me suis empressé de relire la préface du « Le prince ».
J’ai pu ainsi réapprendre que le contenu de l’ouvrage dont l’application a pris le nom de « machiavélisme » est « une série… de préceptes dessinant une morale des maîtres au-dessus de la morale et des lois, l’apologie de la force égoïste et de la tyrannie : un projet de conduite pour la réussite de l’individu. Tant pis pour les peuples. La fascination de la conquête de la puissance (qui) balaie tout respect et le scripteur qui encourage (servilement ?) le règne de la force (pour remplacer) le gouvernement du droit ».
Ramenant tout bêtement le machiavélisme ainsi défini, aux circonstances de la survenance et de la gestion de l’affaire Vanessa, je ne puis m’empêcher de penser que Vanessa et son bébé sont en train d’être broyés par un règne de la force, œuvre d’un régime où une morale des maîtres est au-dessus de la morale et des lois, où la fascination de la puissance balaie tout respect des valeurs de vie, et instaure « la fin » comme justification de n’importe quels moyens.
Le porte-parole du gouvernement a fait plutôt le choix de chercher ceux qui, selon lui, sont derrière Vanessa pour « l’instrumentaliser » et « salir l’image de notre pays », que celui de dire à la presse, ce que le gouvernement fait pour que les responsabilités sociales, pénales, voire politiques, soient établies dans une affaire que l’on peut qualifier, soit de vol d’enfant ayant entraîné sa mort ( hypothèse non probante), soit de rapt ou de détournement d’enfant d’autrui (hypothèse vraisemblable), soit d’adoption illégale d’enfant (ayant rapport ou non avec la disparition du bébé de Vanessa) ; une affaire criminelle de toutes façons. C’est absolument indicateur d’une « morale des maîtres au-dessus de la morale et des lois », et d’une justice des forts que M. Tchiroma est chargé de protéger en persuadant le peuple camerounais que, comme dit le fabuliste français, « la raison du plus fort est toujours la meilleure ».
Qu’un enfant soit arraché illicitement à sa mère biologique, pour être sacrifié ou vendu à quelqu’un qui ne l’a pas porté pendant 9 mois, et qui ne lui apportera probablement ni l’affection maternelle, ni l’éducation convenable, voire qui pourrait le revendre comme futur esclave, est une cruelle et inhumaine tragédie pour la société camerounaise. Mais le Mincom semble avoir mission de dire au monde qu’il s’agit d’une banalité aux yeux du gouvernement camerounais, et qu’au pays de M. Biya, on peut venir quand on le désire, subtiliser des enfants dans les couveuses, avec la complicité du personnel hospitalier, pour leur offrir à titre gratuit ou onéreux des parents de substitution, de fausses identités et des nationalités d’emprunt, quand ce n’est pas pour les vendre en pièces détachées aux satanistes, ou les programmer pour l’esclavage sexuel et/ ou domestique.
Et même dans l’hypothèse où Vanessa n’aurait été qu’une mère porteuse, ce que personne n’a encore évoqué, elle ne peut avoir déclenché le scandale que si les parents «adopteurs» ont préféré arracher l’enfant à l’accouchement que de respecter leurs engagements envers la porteuse. Il y aurait quand même violation des droits non protégés de la jeune maman et de l’enfant, avec la complicité active ou passive de l’institution hospitalière.
Quoi qu’il en soit, la jeune mère semble avoir de bonnes raisons de penser que son enfant est vivant et qu’il doit lui revenir, à moins qu’il soit établi qu’avant, pendant ou après son accouchement, elle avait renoncé à cet enfant pour une raison ou une autre. Autrement dit, il est anormal et injuste de penser qu’on va impunément s’emparer d’un enfant dans les bras de sa mère, pour le donner à quelqu’un d’autre, quelles qu’en soient les raisons, et sans autre forme de procès, et que la République dira « ainsi soit-il » sans risque de se donner une réputation de cynisme inhumain ou d’irresponsabilité. Car, par quel droit cela se peut-il impunément si la Justice n’est pas seulement garantie aux affidés du Prince, la victime étant, elle, plutôt pauvre et incapable de se défendre.
Or voici que, non seulement Vanessa n’a aucun recours côté républicain pour se faire rendre justice, pas même chez la ministre des Affaires sociales, ou de la Promotion de la femme et de la famille, mais encore personne n’est autorisé par le gouvernement à lui apporter la moindre assistance morale, juridique, et encore moins politique. Même Chantal Biya, cette première Dame qui en plus d’être mère, porterait le titre « d’Ambassadrice de bonne volonté pour l'Unesco », n’a pas encore jugé nécessaire, malgré sa réputation incontestable selon certains, « d’humanitaire engagée et généreuse », de se prononcer sur les souffrances de femme et de mère que vit l’adolescente depuis 8 mois.
On ne peut pourtant penser que la première dame ait peur de recevoir les gaz lacrymogènes de la police dans son Palais ! Pas plus qu’elle serait indifférente à la disparition d’un bébé sans même que sa mère l’ait serré une seule fois entre ses bras. A quoi donc faut-il attribuer le silence assourdissant de Chantal Biya, marraine de l’hôpital où est survenu le scandale, sur ce qui est devenu l’affaire Vanessa ? Bien malin qui nous le dira.
En attendant, il convient de dire au ministre camerounais de la Communication, qu’il ne sert à rien de menacer le messager de mort lorsque le message est vrai et constant. La presse qu’il accuse de salir l’image du Cameroun dans le monde, ne dénonce pourtant que l’incompétence, ou l’incapacité du gouvernement à résoudre humainement l’affaire Vanessa, (comme d’autres affaires), à moins que ce soit sa complaisance à l’égard des brebis galeuses mais puissantes du régime, qui peuvent abuser de leurs positions pour fouler aux pieds les valeurs les plus sacrées de la société.
Une enfant de 17 ans a donné naissance à un bébé dans une institution hospitalière publique, et ce bébé a disparu sans qu’on ait constaté son décès. Comment est-il sorti de l’hôpital ? Où est-il ? Eventuellement, à qui appartient-il ? Plutôt que d’apporter à ces questions logiques dans un pays de droit, des réponses possibles grâce à une police pourtant efficace, le gouvernement semble rechercher un consensus national autour de la banalisation du crime, et même autour de la marginalisation de Vanessa comme vectrice de la subversion de l’ordre mafieux public.
Pour preuve, il se fait fort de réprimer et diaboliser tous ceux qui veulent manifester leur soutien à la jeune mère spoliée, humiliée et méprisée…et oublie, un peu facilement peut-être, que les manifestations sont une forme d’expression démocratique, et surtout que l’usage de la force ne peut être que l’argument des faibles. Toujours est-il que l’affaire Vanessa est devenue un message au pouvoir, dont le décryptage tend à dire que les pauvres, faibles et marginalisés de la société ne peuvent avoir été créés pour servir de victimes éternelles à l’impunité des puissants.
JB Sipa