Le maquis après 1960 : une aubaine pour Ahidjo.

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CAMEROUN :: Le maquis après 1960 : une aubaine pour Ahidjo. :: CAMEROON

A l’issue du passage du général Semengue à la télévision tout récemment, il nous est apparu nécessaire d’apporter quelques éclaircissements aux Camerounais, sur cette sinistre page de l’histoire de notre pays. Nous voulons nous attarder sur les raisons du déclenchement du maquis, sur, le rôle historique du maquis, ensuite, sur le bénéfice politique qu’a procuré celui-ci à de nombreux politiciens camerounais.

 

 

Raison du maquis.

Le maquis, en vérité la guerre d’indépendance, n’a été, ni un acte de cinglés assoiffés de sang, selon la propagande d’Ahidjo, ni une barbarie assimilable aux bandits de Boko Haram, ainsi que l’a bien maladroitement fait le président de la République, au cours d’une calamiteuse sortie médiatique. Il n’a été, en réalité, que la solution ultime pour les Camerounais épris de liberté et désireux de voir leur pays accéder à l’indépendance, d’amener la France et l’Onu à accepter de lever la tutelle sur notre pays. Signés le 13 décembre 1946 à New-York, les accords de tutelle avaient habilement éludé la question de la date de la fin de la tutelle au Cameroun. En fait, la délégation française avait tenté de gagner du temps dans l’espoir d’amener les Camerounais à accepter, à terme,l’intégration de notre pays dans l’ensemble politique qui avait succédé en 1946 à l’empire colonial français, à savoir, « l’Union Française ». Aucune date n’avait ainsi été retenue pour la fin de la tutelle, à la différence de la Somalie ou de la Lybie, autres territoires de même statut que le Cameroun. Pour ceux-ci, une période maximale de dix ans, (10), avait été arrêtée. Toute l’action politique des nationalistes camerounais portera par conséquent sur l’obtention d’une date pour la proclamation de l’indépendance, ce que refusait systématiquement d’entendre l’administration coloniale française. Celle-ci œuvrera donc, de son côté, plutôt à étouffer toute voix qui tentait de s’élever dans ce sens.

 

Tout d’abord, dans ce corps à corps entre les nationalistes et le gouvernement français, le trucage électoral a été pratiqué, afin de démontrer à l’Onu que les personnes qui réclamaient l’indépendance n’étaient nullement représentatives de l’opinion de la population. Les nationalistes ont été ainsi systématiquement humiliés, par mille subterfuges, lors des élections législatives de mars 1952 :fixation brusque de la date du scrutin, nombre extrêmement réduit de jours de confection des dossiers, ceux-ci intégrant par ailleurs les jours de repos hebdomadaire, à savoir samedi et dimanche ( ), et, enfin, rectification des résultats par les chefs de subdivision (sous-préfets). Mobilisation des élus français de l’Assemblée territoriale afin de démontrer que ceux qui réclamaient l’indépendance n’étaient rien d’autre qu’une bande de vauriens mythomanes. Le député de la Bénoué, Jules Ninine, un Antillais, donc un Français anti-indépendantiste, avait par exemple tenu un meeting à Garoua au mois de janvier 1954, pour annoncer aux populations que Um Nyobè, contrairement aux « allégations » des upécistes, n’était même pas arrivé à New-York, et que celui-ci n’avait parlé nulle part. Or, Um avait bel et bien pris la parole à l’Onu, (c’était la dernière fois du reste qu’il l’avait fait, au point où à son retour au Cameroun, il avait été accueilli par un mandat de comparution au tribunal), le 3 décembre 1953 devant la 4ème commission de l’Onu.

 

Mais, malgré ce type de ruses, la mobilisation des foules par les nationalistes ne faiblissait pas. Bien au contraire, elle croissait de manière exponentielle à un point tel que plus personne ne traitait plus de chimère la question de la réunification et de l’indépendance du pays. La population y croyait de plus en plus.

 

Devant ce constat d’échec, Louis-Paul Aujoulat, le colon à la fois le plus puissant et le plus nuisible du Cameroun, s’était résolu à obtenir l’affectation à Yaoundé d’un haut-commissaire brutal, totalement différent du fraudeur électoral invétéré qu’avait été jusque-là André Soucadaux. Son choix s’était porté sur le tristement célèbre Roland Pré. Celui-ci était arrivé au Cameroun au mois de décembre 1954. Cinq mois plus tard, à savoir en mai 1955, il a ordonné les tueries que l’on sait. Puis, au mois de juillet 1955, l’Upc était interdite, et ses militants et sympathisants étaient pourchassés sur l’ensemble du territoire.

La revendication des nationalistes s’était de ce fait enrichie de deux thèmes nouveaux :

  1. amnistie générale et inconditionnelle des personnes arrêtées et emprisonnées ;
  2. rétablissement de l’Uc. Sur ces deux points également, l’administration coloniale avait opposé une fin de non-recevoir. Bien mieux, elle avait poursuivi son action d’intégration du Cameroun dans « l’Union française ». C’est ainsi qu’elle avait inclus le Cameroun dans la loi-cadre Defferre du 23 juin 1956, qui n’était rien d’autre qu’un refu d’indépendance aux territoires coloniaux d’Afrique. Que préconisait-elle ? « L’autonomie interne ». Un simple accroissement du pouvoir local de ces territoires. Donc, du sur place. Les manifestations de rejet de cette décision française avaient été monstres au Cameroun.

Comment sortir de cette situation ? La réponse des Camerounais, a été la même que celle des Américains, du nord au sud, la même que celle des Indochinois, la même que celle de Algériens, la même que celle des Angolais, la même que celle des Mozambicains, etc.: la guerre. Nous ne l’oublions pas, la guerre c’est toujours la politique. C’est la continuation de la politique sous une forme violente. Et tout au long de l’histoire de l’Humanité, la guerre a toujours été utilisée pour débloquer des situations qui s’étaient enlisées.

 

Déclenchement du maquis.

Le 2 décembre 1956, a vu le jour la première armée camerounaise, sous le nom de « Comité national d’organisation », C.N.O. Elle était dirigée par Isaac Nyobè Pandjock, un ancien combattant de la 2ème Guerre mondiale. Et dans la nuit du 18 au 19 décembre 1956, elle a lancé ses premières attaques contre les intérêts français. La répression a été sauvage. Nous ne nous attardons plus sur cela, c’est connu. Mais, les Camerounais ont gagné, car ils sont ainsi parvenus à tordre le bras à la France colonialiste et à l’Onu, qui se sont retrouvées acculées. Aussi, à contrecœur, ils ont enfin consenti à fixer une date pour la lever de la tutelle du Cameroun. Le 1er janvier 1960 a été choisi, au lendemain de l’assassinat de Um Nyobè, Paris étant rassuré sur le fait qu’il ne pourra plus, de quelque manière que ce soit, accéder au pouvoir.

 

Rôle historique du maquis au Cameroun.

Le « maquis » au Cameroun, a de ce fait rempli sa mission historique : arracher l’indépendance à l’Onu et à la France. Sans le maquis, il n’y aurait pas eu de proclamation d’indépendance le 1er janvier 1960. Cela est une vérité historique. En plus, au-delà du Cameroun, il a également joué un rôle capital : celui d’accélérateur de l’histoire pour les autres territoires colonisés par la France, y compris le Togo qui était également un territoire sous tutelle des Nations Unies au même titre que le Cameroun. De ce fait, l’assimiler maladroitement aujourd’hui à Boko Haram … quelle monumentale bévue !!!!!!

 

Pourquoi le maquis s’est-il poursuivi après 1960 ?

Laissons la polémique sur la « vraie » et la « fausse » indépendance, pour expliquer, sur la base d’autres éléments, la continuation du maquis. Rappelons simplement qu’il y avait une grande discorde politique qui portait sur l’amnistie à accorder aux nationalistes, et la nécessité d’élections avant la proclamation de l’indépendance.

Voici, à ce sujet, le point de vue de Marcel Eyidi Bebey, député du Wouri, dans La Presse du Cameroun du 26 avril 1960 : « … Il fallait accorder l’amnistie et faire des élections avant l’indépendance. On aurait ainsi fait l’économie de bien de morts et de beaucoup de désordre. Pourquoi M. Ahidjo s’est-il formellement opposé à ce programme simple et salutaire, alors que sa réélection était assurée et que l’Upc n’a pratiquement pas d’influence dans le Nord-Cameroun ? Pourquoi n’a-t-il pas saisi l’occasion de la proclamation de l’indépendance pour faire en sorte que le linge sale se lave en famille et permettre un nouveau départ de tous les Camerounais réconciliés par l’amnistie ? »

La proposition de Moumié Félix pour la paix et la réconciliation nationale.

Moumié Félix, à la faveur d’une conférence de presse tenue à Accra au Ghana au mois de février 1960, où il est réfugié, a posé cinq conditions pour un arrêt immédiat de la guerre au Cameroun, par conséquent, un retour de la paix :

  1. report des élections législatives prévues pour le mois d’avril 1960, au mois de juillet ;
  2. envoi d’observateurs internationaux à ces élections ;
  3. départ des troupes françaises du Cameroun ;
  4. amnistie totale et inconditionnelle décrétée ;
  5. libération de tous les détenus politiques et fermeture de tous les camps de concentration.

Si ces conditions sont acceptées, l’Upc, de son côté :

  1. s’engage à ordonner un cessez le feu immédiat de la part de ses troupes ;
  2. garantit qu’aucun militaire français ou camerounais ne sera plus attaqué ;
  3. surseoira à la formation de son Gouvernement Provisoire de la Révolution Kamerunaise, G.P.R.K.

La surprenante réponse d’Ahidjo.

Réponse dédaigneuse du Premier ministre Ahidjo ( ) : « Monsieur Moumié, sous la protection et avec l’aide de pays étrangers, revendique la responsabilité du terrorisme et du banditisme. Monsieur Moumié est donc responsable de la présence au Cameroun des troupes françaises qui aident, provisoirement, les troupes camerounaises à protéger les populations Bamiléké, contre les crimes odieux de ses agents… » ( ) Bref : « niet ! ». Bilan de « l’aide » des troupes coloniales françaises au Cameroun pour « protéger les populations bamiléké » : 24 avril 1960, incendie du quartier Congo, quartier dominé à l’époque par les Bamiléké ; bombardements au napalm pendant plusieurs mois en région bamiléké ; « train de la mort » au début du mois de février 1962 ; des milliers de têtes tranchées et exposées sur les places publiques, à Douala, à Mbanga, à Njombé, à Manjo, à Nkongsamba, à Melon, à Kekem, à Bafang, à Banganté, à Dschang, à Bafoussam, à Mbouda, bref, au Cameroun ; des centaines de villages rasés ; départ des troupes françaises cinq ans plus tard seulement, à savoir en 1965, au lieu de 1960 ; continuation de la guerre par l’armée du gouvernement et celle de l’U.P.C., l’Armée de Libération Nationale Kamerunaise, ALNK, jusqu’en 1970…

 

Les raisons du « niet ! » d’Ahidjo.

Pour quelle raison Ahidjo avait-il dédaigneusement repoussé les propositions de Moumié Félix ? Non pas parce que la France le lui aurait ordonné, ainsi que vont répondre automatiquement les lecteurs de cet article. Non. Mais, tout simplement pour trois raisons :

  • Il était un homme très impopulaire, à qui il était vivement reproché par la population de n’avoir pas combattu pour l’indépendance. Celle-ci le considérait comme un individu qui avait usurpé le pouvoir, un personnage qui ne méritait pas d’être à la place où il se trouvait.
  • Il était un homme extrêmement intolérant qui ne souffrait pas de la moindre contradiction. Naturellement, il habillait ce trait de caractère par des phrases toutes mielleuses de rassembleur. Il était tyran sanguinaire dans l’âme. En fait, le modèle politique d’Ahidjo, était la chefferie traditionnelle de son nord natal : le lamida. Il était véritablement, au sens propre du terme, un « président-lamido ». Est-ce qu’on ouvre la bouche devant un lamido ? Celui-ci n’a-t-il pas droit de vie et de mort sur ses sujets ? Ahidjo ne s’était-il pas octroyé ce droit sur les Camerounais qu’il considérait véritablement au fond de lui-même comme ses sujets ?
  • Grâce au maquis, il était assuré d’éradiquer toute contestation de son régime. Le maquis était ainsi une merveilleuse aubaine pour lui d’instaurer sa terrible dictature sanguinaire au Cameroun. Donc, il avait intérêt à ce que dure le plus longtemps possible le maquis, en tout cas, jusqu’à traumatiser les Camerounais, et tuer en eux toute velléité de contestation de son pouvoir. Voici, par exemple, l’arsenal de mesures qu’il avait prises, soi-disant pour le combattre, et qu’il avait maintenues jusqu’à la fin de son règne, soit plus de dix ans après la fin de la guerre. « Dès la proclamation de l`état d`urgence dans un ou plusieurs départements déterminés (…),les préfets pourront, par arrêtés immédiatement exécutoires :
  1. Soumettre la circulation des personnes et des biens à des mesures restrictives et éventuellement à une autorisation administrative ;
  2. Ordonner la remise des postes de radio, ainsi que de faire procéder à leur recherche et à leur enlèvement ;
  3. Interdire toutes réunions et publications de nature à entretenir le désordre ;
  4. Instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;
  5. Interdire le séjour dans tout ou partie du département à tout individu cherchant à entraver de quelque manière que ce soit l`action des pouvoirs publics ;
  6. Requérir les autorités militaires de participer en permanence au maintien des pouvoirs publics ;
  7. Autoriser, par tout officier de police judiciaire civil ou militaire, des perquisitions à domicile de jour comme de nuit ;
  8. Organiser le contrôle de la presse et des publications de toute nature, ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ou artistiques; 10- la compétence de la juridiction militaire s`étend à toutes les affaires dans lesquelles se trouve inculpé un militaire ou un assimilé; aux crimes et délits contre la sûreté intérieure de l`Etat, et aux infractions à la législation sur les armes; etc.
 

Il a quitté le pouvoir sans mettre fin à cette législation. Elle a même été maintenue après lui. Il aura fallu attendre l’an 1990 pour qu’elle soit abolie.

Les militaires : au service du Cameroun ou d’Ahidjo ?

Aujourd’hui, la cruciale question que devraient légitimement se poser les Camerounais est la suivante : dès lors qu’Ahidjo était secrètement favorable à la prolongation du maquis, refusant toute tentative de cessez-le-feu, qui, par conséquent, du Cameroun ou d’Ahidjo, les militaires qui « ramenaient l’ordre » en coupant les têtes des Camerounais, faits dont ils se vantent actuellement, servaient-ils en réalité ? Réponse toute évidente : Ahidjo, et non le Cameroun, car Ahidjo ne voulait pas la paix immédiate, mais à long terme, le temps d’asseoir par la terreur son pouvoir. Les militaires, aujourd’hui généraux de l’armée, n’étaient que des pions de pouvoir dictatorial entre ses mains. Ahidjo ont fait preuve de cynisme, tout simplement.

 

© Correspondance de (Via Le Messager) : Enoh Meyomesse


26/08/2015
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