Dans les grandes métropoles de Yaoundé et Douala, les injustices se multiplient. Au moment même où la plupart des jeunes souhaitent un changement de régime.
Comme l’affaire Mohamed Bouazizi en Tunisie (du nom de ce jeune commerçant qui s’est immolé par le feu parce que sa marchandise avait été confisquée, déclenchant le printemps arabe), il y a toujours des événements – anodins parfois – dans la vie d’une Nation qui donne la vraie température de la relation entre la population et les gouvernants.
Au Cameroun, c’est « l’affaire Vanessa Tchatchou » qui vient d’étaler à la face du monde, la crise de confiance qui s’est installé entre les Camerounais et leurs dirigeants.
L’Affaire Vanessa Tchatchou ?
C’est cette histoire de bébé volé à l’hôpital gynéco-obstétrique et
pédiatrique de Yaoundé qui agite l’opinion publique depuis plusieurs
semaines. Même si l’affaire est loin de déclencher un printemps
camerounais comme en Tunisie, elle a permis de mesurer, sur les antennes
de RFI (Radio France Internationale), lors de l’émission « Appels sur
l’actualité », la vague d’indignation des populations sur la manière
dont les autorités gèrent les problèmes au Cameroun.
La décision de chasser la petite de 17 ans de l’hôpital a vraisemblablement heurté l’opinion. « Je voudrai décrier l’absence totale d’humanité, de compassion», « c’est inadmissible, c’est ubuesque », « je suis choqué », « ce n’est pas sérieux de la part des autorités ». Les réactions de protestation n’ont cessé de crépiter pendant les 20 minutes qu’ont duré l’émission. Dans les milieux populaires de Yaoundé, l’on a le sentiment que, malgré le limogeage du directeur de l’hôpital, le gouvernement a décidé de protéger une magistrate que la famille soupçonne de détenir l’enfant de Vanessa.
Une raison de plus, fait remarquer un observateur, pour approfondir la cassure entre le Cameroun d’en haut et celui d’en bas. Une remarque non moins pertinente si l’on en croit une récente étude universitaire sur la participation des jeunes à la politique.
Rejet
Selon une étude des universitaires Fabien Eboussi Boulaga et Ernest Nkolo Ayissi, soutenue par la fondation Friedrich Ebert Stitfung, portant sur la participation des jeunes à la politique au Cameroun, l’on apprend que 94 % des jeunes souhaitent un changement de régime.
Une étude scientifique qui vient simplement confirmer l’état du malaise social qui couve au Cameroun. La jeunesse a en effet des raisons d’en vouloir au pouvoir. Depuis plusieurs décennies, ce sont les mêmes acteurs qui occupent l’essentiel du pouvoir. Les jeunes eux, sont en proie au chômage. Même l’opération de 25 000 diplômés dans la fonction publique n’a rien fait si ce n’est aiguiser la colère d’une bonne partie des jeunes.
Plus de 275 000 jeunes ont été laissés sur le carreau pendant que 5 000 autres, pourtant préselectionnés, se sont désistés après avoir constaté que les conditions de travail proposé étaient loin de ceux qu’ils rêvaient. Pour beaucoup d’ailleurs, les perspectives d’une insertion professionnelle restent très hypothétiques. « Le président avait promis que le Cameroun serait un vaste chantier dès le mois de janvier.
On pensait que ça permettrait de trouver du travail. Depuis, on ne voit rien » peste un étudiant de l’université de Yaoundé I. Il se dit d’autant plus inquiet que les pratiques de marchandages des places, de réseaux d’influence, continuent de peser dans les concours. Petite illustration : une note parvenue à notre rédaction, rédigée par un fonctionnaire de la police, confirme cette tendance. Cette note indique que lors du dernier concours d’entrée à la police, parmi ceux qui ont été retenus dans la liste des élèves-commissaires, 8 des 10 candidats admis sont originaires des ethnies Beti-Bulu.
La même note indique que pour les deux autres amis, l'un est un anglophone et parent du président du conseil électoral d'Elecam pendant que l'autre est proche secrétaire général à la Délégation générale à la Sûreté nationale. La sourde colère des débrouillards Si de nombreux jeunes ne rêvent plus que de partir du Cameroun, d’autres ont choisi de se reverser dans les petits métiers. A Douala, ils sont des milliers qui ont choisi de se recycler comme conducteur de mototaxi. Malheureusement, les pouvoirs publics ont décidé de définir des zones d’accessibilité pour ces derniers. Concrètement, le périmètre de circulation des motos taximen sera fortement diminué alors même l’activité concentre un peu plus chaque jour, une armée de chômeurs sans issue. « On ne doit pas nous interdire de circuler.
On est là parce que le gouvernement n’a rien fait pour nous. Si j’avais du travail, je laisserai cette activité avec joie tout de suite » assure un moto taximan de Douala. Parce qu’ils représentent un corps social dont la capacité de nuisance est énorme, la décision des pouvoirs publics laisse planer des risques de tension dans cette ville réputée frondeuse. Et les jeunes débrouillards de Yaoundé ne sont pas plus rassurés que ceux de Douala.
Chaque jour, des dizaines de vendeurs ambulants sont obligés de jouer au chat et à la souris avec les contrôleurs de la communauté urbaine de Yaoundé. « Pour le moment, on les laisse faire mais je jure qu’il y aura un jour, ils vont regretter » prévient Hervé, vendeur ambulant à l’avenue Kennedy à Yaoundé, dont les marchandises ont été confisqués il y a quelques mois. Ces jeunes de Yaoundé et Douala ne représentent-ils pas une bombe sociale dont l’explosion pourrait avoir des conséquences incontrôlables ?
Avenir incertain
La fracture est telle que les héros sont désormais ceux qui sont en froid avec le pouvoir : Vanessa Tchatchou, Paul Eric Kingué, Enoh Meyomesse et autres sont devenues, malgré eux, les stars de la contestation. La fracture est aussi telle que pour se faire une popularité, les hommes publics comme Sosthène Fouda, Shanda Tonme, Ayah Paul et autres ont choisi de capitaliser le malaise social et la crise de confiance. Et, ils recrutent dans leurs combats, des milliers de fidèles sur les réseaux sociaux sur Internet.
A lire ce qui s’écrit dans ces espaces informelles de discussion, à écouter ce qui se dit dans les émissions interactives des radios et télévisions privées émettant dans les grandes villes de Yaoundé et Douala, il y a lieu de se demander jusqu’où ira cette agitation sociale. En attendant peut-être que la contestation de traduise concrètement dans les rues. Dans les grandes métropoles de Yaoundé et Douala, les injustices se multiplient. Au moment même où la plupart des jeunes souhaitent un changement de régime.