Le difficile Paris de Paul Biya
Yaoundé, 30 Janvier 2013
© Parfait N. Siki | Repères
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Tourné depuis quelques années vers la Chine, le Président de la République veut aussi se ménager le soutien de Paris.
Officiellement en visite en France
depuis le 28 janvier, Paul Biya ne sera reçu par François Hollande à
l’Elysée que ce mercredi à 15 heures. L'inscription de ce rendez-vous
dans l'agenda du Président français est laconique et témoigne de son
caractère strictement professionnel, voire impersonnel entre deux hommes
que rien n'oppose a priori, mais qui semblent se tenir à distance
respectable l'un de l'autre. Avant Paul Biya, François Hollande tient, à
partir de 11h30, une réunion de travail avec son Premier Ministre, M.
Jean Marc Ayrault, son Ministre des affaires étrangères, M. Laurent
Fabuis, et son Ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian. Et après
Paul Biya, à 17h, le Président français s’entretiendra avec M. Amine
Gemayel ancien Président de la République du Liban. Ce qui suppose une
entrevue de près de deux heures entre le chef de l'Etat camerounais et
son hôte français.
Même s'il est en France sur invitation de François Hollande, c’est bien à l'initiative de Paul Biya que la «visite de travail» s'est nouée. En effet, du point de vue français, Paul Biya n'est pas une urgence. Le Chef de l'Etat camerounais a réussi, au fil de ses absences et silences, à se rendre contournable. Quand le 8 janvier il quittait son pays pour un séjour privé en Europe, la crise centrafricaine se dénouait à ses frontières, sans lui. Au moment où il faisait ses valises pour sa visite de travail en France, le XXème sommet de l'Union africaine planchait sur le cas malien, sans lui. Pour avoir renoncé à assumer le leadership africain qui s'offrait à sa longévité et à l’expérience, Paul Biya ne s’impose pas au socialiste français.
Pourtant, pour Paul Biya, rien ne peut être pire que sous Sarkozy. Aussi espère-t-il construire avec le nouveau Président français une bien meilleure relation qu'avec son prédécesseur. Le Président camerounais n'avait attendu que cinq mois après l'arrivée du successeur de Jacques Chirac, en mai 2007, pour se présenter au perron de l'Elysée. Il avait même été reçu à déjeuner, le 30 octobre, mais la visite s'était achevée sur une divergence politique, au point où Sarkozy n'avait guère rendu à Paul Biya la politesse d'une visite à Yaoundé, malgré des invitations mille fois réitérées. Sarkozy avait désapprouvé la modification de la constitution de 2008 ayant conduit à une levée de la limitation des mandats présidentiels et avait juste pris acte de la réélection de Paul Biya en octobre 2011. Entre 2007 et 2012, les relations franco-camerounaises étaient restées très diplomatiques, poussant un peu plus Yaoundé vers Pékin.
Cette fois, Paul Biya y va prudemment, conscient que ses rapports avec les chefs d'exécutif français ont bien changé depuis les époques mitterrandienne et chiraquienne. Quand, au début des années 80, François Mitterrand lui faisait l'honneur de venir l'attendre au bas de la passerelle à l'aéroport d'Orly ou que Chirac le gratifiait, dès le milieu des années 90, d'un bel accueil à Paris, François Hollande faisait encore ses armes dans les cabinets et au parti socialiste. Tout cela date et il n'est plus question que d'enterrer la Françafrique. François Hollande, 58 ans et demi, voit davantage en Paul Biya (bientôt 80 ans) la persistance d'un passé français en Afrique qu'il ne veut pas perpétuer. C'est aussi un Chef d'Etat qui a 30 ans de pouvoir dans un pays qui punit l'homosexualité d'emprisonnement ferme, alors que son gouvernement est sur le point de légaliser le mariage des personnes de même sexe. Mais Hollande n'ignore pas que Paul Biya est à la tête d'un pays en plein déploiement économique et qui présente les moyens de ses ambitions. Pour les intérêts économiques de la France, il va composer avec Yaoundé, sans enthousiasme certes, mais sans état d'âme non plus, poussé par les milieux d'affaires.
C'est sur cette corde que Paul Biya a joué pour son séjour français. Même si une intense diplomatie de couloir a mobilisé ses soutiens politiques au sein du parti socialiste et l'Elysée depuis son arrivée, la visite du Chef de l'Etat est officiellement économique. La composition de sa délégation, qui regroupe essentiellement les gestionnaires des dossiers économiques, est fortement révélatrice des ambitions de Paul Biya. Outre les Ministres de l'Economie, des Finances, des Mines, de l'Energie, des PME, son monsieur Economie à la présidence, Séraphin Magloire Fouda, le Chef de l'Etat a emmené à Paris le Secrétaire Général des services du Premier Ministre. Louis Paul Motazé doit cet honneur au titre de la gestion des dossiers du port de Kribi, dont le gouvernement cherche des partenaires pour les terminaux spécialisés, du projet d'exploitation de la bauxite de Minim Martap, qui cherche des investisseurs, etc.
Dans cette délégation figure également le Président du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), André Fotso, le Président de la Chambre de commerce, Christophe Eken, et le Président du Mouvement des entrepreneurs du Cameroun (Mecam), Daniel Claude Abate. Selon l'entourage présidentiel, ce dernier bénéficie de l'indisponibilité du Président de E-Cam (Entrepreneurs du Cameroun), M. Protais Ayangma, qui n'aurait pas pu être joint pendant la phase de préparation du voyage français, alors que c'est bien le nom de son mouvement qui était initialement inscrit dans la délégation pour la France.
C'est jeudi le 31 janvier que la délégation camerounaise rencontre les hommes d'affaires français regroupés au sein du Mouvement des entrepreneurs de France (MEDEF) dans le cadre d'un forum économique franco-camerounais. Il s'agit pour la délégation camerounaise de présenter d'affaires du pays aux investisseurs français. Une conférence de presse de Paul Biya et de Michel Roussin, Vice-président du Medef international, est prévue à la fin de cette séance de marketing économique.
Pendant cette journée, des entreprises françaises installées au Cameroun vont apporter le témoignage de la réalité du pays. Bolloré, Sogea-Satom, Total Perenco, Egis, Razel, etc. ne manqueront sans doute pas de signaler la forte concurrence chinoise. Pourtant, les affairés françaises ont repris du volume. Le second pont sur le Wouri, les entrées Est et Ouest de Douala, la réhabilitation de la route Yaoundé-Bamenda, etc., ne font pourtant pas oublier que les Chinois ont conquis la plupart des projets structurants en cours dans le pays.
Comme il n'y a pas de coïncidence à ce niveau, en début de cette année, le gouvernement a inscrits dans le registre da partenariat public-privé (PPP) 21 projets majeurs à réaliser. A l'exemple des terminaux spécialisés du port en eau profonde de Kribi, du port cimentier de Limbé; mais aussi les chemins de fer Douala-Limbé (70 km) et Edéa-Kribi (100 km), puis les tramways à Douala et à Yaoundé et l'autoroute Edéa-Kribi-Lolabé (120km). Dans le domaine de l'énergie électrique, quatre projets sont mis sur la table par le gouvernement: les aménagements hydroélectriques sur la Bini à Warak, de Njock sur le Nyong et de Menchum, et la centrale éolienne des monts Bamboutos. Le reste des projets se résume à la construction des logements sociaux et universitaires et des magasins de stockage des produits alimentaires.
La France sait désormais ce qu'il lui reste à faire. Il ne s'agit surtout pas d'espérer construire des projets qui auront été financés par d'autres.
Même s'il est en France sur invitation de François Hollande, c’est bien à l'initiative de Paul Biya que la «visite de travail» s'est nouée. En effet, du point de vue français, Paul Biya n'est pas une urgence. Le Chef de l'Etat camerounais a réussi, au fil de ses absences et silences, à se rendre contournable. Quand le 8 janvier il quittait son pays pour un séjour privé en Europe, la crise centrafricaine se dénouait à ses frontières, sans lui. Au moment où il faisait ses valises pour sa visite de travail en France, le XXème sommet de l'Union africaine planchait sur le cas malien, sans lui. Pour avoir renoncé à assumer le leadership africain qui s'offrait à sa longévité et à l’expérience, Paul Biya ne s’impose pas au socialiste français.
Pourtant, pour Paul Biya, rien ne peut être pire que sous Sarkozy. Aussi espère-t-il construire avec le nouveau Président français une bien meilleure relation qu'avec son prédécesseur. Le Président camerounais n'avait attendu que cinq mois après l'arrivée du successeur de Jacques Chirac, en mai 2007, pour se présenter au perron de l'Elysée. Il avait même été reçu à déjeuner, le 30 octobre, mais la visite s'était achevée sur une divergence politique, au point où Sarkozy n'avait guère rendu à Paul Biya la politesse d'une visite à Yaoundé, malgré des invitations mille fois réitérées. Sarkozy avait désapprouvé la modification de la constitution de 2008 ayant conduit à une levée de la limitation des mandats présidentiels et avait juste pris acte de la réélection de Paul Biya en octobre 2011. Entre 2007 et 2012, les relations franco-camerounaises étaient restées très diplomatiques, poussant un peu plus Yaoundé vers Pékin.
Cette fois, Paul Biya y va prudemment, conscient que ses rapports avec les chefs d'exécutif français ont bien changé depuis les époques mitterrandienne et chiraquienne. Quand, au début des années 80, François Mitterrand lui faisait l'honneur de venir l'attendre au bas de la passerelle à l'aéroport d'Orly ou que Chirac le gratifiait, dès le milieu des années 90, d'un bel accueil à Paris, François Hollande faisait encore ses armes dans les cabinets et au parti socialiste. Tout cela date et il n'est plus question que d'enterrer la Françafrique. François Hollande, 58 ans et demi, voit davantage en Paul Biya (bientôt 80 ans) la persistance d'un passé français en Afrique qu'il ne veut pas perpétuer. C'est aussi un Chef d'Etat qui a 30 ans de pouvoir dans un pays qui punit l'homosexualité d'emprisonnement ferme, alors que son gouvernement est sur le point de légaliser le mariage des personnes de même sexe. Mais Hollande n'ignore pas que Paul Biya est à la tête d'un pays en plein déploiement économique et qui présente les moyens de ses ambitions. Pour les intérêts économiques de la France, il va composer avec Yaoundé, sans enthousiasme certes, mais sans état d'âme non plus, poussé par les milieux d'affaires.
C'est sur cette corde que Paul Biya a joué pour son séjour français. Même si une intense diplomatie de couloir a mobilisé ses soutiens politiques au sein du parti socialiste et l'Elysée depuis son arrivée, la visite du Chef de l'Etat est officiellement économique. La composition de sa délégation, qui regroupe essentiellement les gestionnaires des dossiers économiques, est fortement révélatrice des ambitions de Paul Biya. Outre les Ministres de l'Economie, des Finances, des Mines, de l'Energie, des PME, son monsieur Economie à la présidence, Séraphin Magloire Fouda, le Chef de l'Etat a emmené à Paris le Secrétaire Général des services du Premier Ministre. Louis Paul Motazé doit cet honneur au titre de la gestion des dossiers du port de Kribi, dont le gouvernement cherche des partenaires pour les terminaux spécialisés, du projet d'exploitation de la bauxite de Minim Martap, qui cherche des investisseurs, etc.
Dans cette délégation figure également le Président du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), André Fotso, le Président de la Chambre de commerce, Christophe Eken, et le Président du Mouvement des entrepreneurs du Cameroun (Mecam), Daniel Claude Abate. Selon l'entourage présidentiel, ce dernier bénéficie de l'indisponibilité du Président de E-Cam (Entrepreneurs du Cameroun), M. Protais Ayangma, qui n'aurait pas pu être joint pendant la phase de préparation du voyage français, alors que c'est bien le nom de son mouvement qui était initialement inscrit dans la délégation pour la France.
C'est jeudi le 31 janvier que la délégation camerounaise rencontre les hommes d'affaires français regroupés au sein du Mouvement des entrepreneurs de France (MEDEF) dans le cadre d'un forum économique franco-camerounais. Il s'agit pour la délégation camerounaise de présenter d'affaires du pays aux investisseurs français. Une conférence de presse de Paul Biya et de Michel Roussin, Vice-président du Medef international, est prévue à la fin de cette séance de marketing économique.
Pendant cette journée, des entreprises françaises installées au Cameroun vont apporter le témoignage de la réalité du pays. Bolloré, Sogea-Satom, Total Perenco, Egis, Razel, etc. ne manqueront sans doute pas de signaler la forte concurrence chinoise. Pourtant, les affairés françaises ont repris du volume. Le second pont sur le Wouri, les entrées Est et Ouest de Douala, la réhabilitation de la route Yaoundé-Bamenda, etc., ne font pourtant pas oublier que les Chinois ont conquis la plupart des projets structurants en cours dans le pays.
Comme il n'y a pas de coïncidence à ce niveau, en début de cette année, le gouvernement a inscrits dans le registre da partenariat public-privé (PPP) 21 projets majeurs à réaliser. A l'exemple des terminaux spécialisés du port en eau profonde de Kribi, du port cimentier de Limbé; mais aussi les chemins de fer Douala-Limbé (70 km) et Edéa-Kribi (100 km), puis les tramways à Douala et à Yaoundé et l'autoroute Edéa-Kribi-Lolabé (120km). Dans le domaine de l'énergie électrique, quatre projets sont mis sur la table par le gouvernement: les aménagements hydroélectriques sur la Bini à Warak, de Njock sur le Nyong et de Menchum, et la centrale éolienne des monts Bamboutos. Le reste des projets se résume à la construction des logements sociaux et universitaires et des magasins de stockage des produits alimentaires.
La France sait désormais ce qu'il lui reste à faire. Il ne s'agit surtout pas d'espérer construire des projets qui auront été financés par d'autres.