Le député Abba Malla aux mains de Boko Haram


Cameroun,Cameroon : Le député Abba Malla aux mains de Boko HaramLe principal négociateur du Cameroun dans la libération des otages est «l’invité» de la secte.

Le député Rdpc du Mayo-Sava, Abba Malla, connu pour être le principal négociateur camerounais dans la libération des otages enlevés au Cameroun par la secte Boko Haram, est porté disparu depuis plusieurs jours. «Il est injoignable», confirme une autorité locale. «L’Assemblée nationale ne l’a missionné nulle part», précise encore un membre du cabinet du président Cavaye Yeguié Djibril. Des propos toutefois nuancés par un de ses proches.

«Il m’a téléphoné et a affirmé être dans le Borno State et qu’il ne rentrerait qu’une fois les otages libérés », souligne-t-il. Sauf à croire que son propre sort ne soit lié à ceux des otages chinois ou de Kolofata, les propos du député Abba Malla soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. D’abord parce que jusqu’ici, aucune des deux négociations qu’il a conduites avec succès - la famille Moulin-Fournier et les trois religieux de Tcheré – ne s’est déroulée en territoire nigérian.

Et l’on voit d’ailleurs mal un élu de la Nation entreprendre, même en catimini, des pourparlers avec Boko Haram au Nigeria sans l’accord des officiels camerounais et encore moins des autorités nigérianes. Un incident diplomatique est vite arrivé… Or, dans les milieux introduits, personne ne confirme une telle initiative. «Il y a un protocole qui s’est établi après chaque prise d’otages. Boko Haram contacte des intermédiaires camerounais, et c’est via ces canaux officieux que nous obtenons les preuves de vie, les conditions, et concluons si nécessaire les transactions.

Jusqu’ici, la préférence de la secte est allée au couloir animé par le député Abba Malla et Amadou Ali, au détriment de celui du président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yeguié Djibril. Il en a été ainsi pour tous les otages libérés jusqu’ici», reconnaît une source sécuritaire. L’information selon laquelle l’homme clé du gouvernement dans les négociations avec Boko Haram se trouve au Nigeria pour des pourparlers avec la secte, apporte donc un indice complémentaire à sa disparition.

Votre journal est en mesure de dire que le député a été conduit malgré lui auprès du leader de la secte, Aboubakar Shekau. Il est dans le jargon des djihadistes, un «invité», en d’autres termes un prisonnier de luxe. La preuve : la secte a mis à sa disposition un téléphone satellitaire pour donner de ses nouvelles aux membres de sa famille et à des proches. Les contours par lesquels il a été conduit auprès du leader de la secte restent cependant encore flous. «Il s’est rendu de son plein gré à un rendez-vous fixé par des contacts, membres de la secte, pour évoquer la libération des otages, dont l’épouse de son parrain, le vice-Premier ministre Amadou Ali.

La voiture qu’il a utilisée pour son déplacement a été retrouvée. Outre lui, sa délégation comprenait l’homme d’affaires Abdallah et deux autres personnes », confie une source introduite. Toujours d’après nos informations, la voiture ayant transporté le député a été retrouvée dans une zone frontalière dans le Mayo-Sava. Mais personne ne peut dire avec exactitude pour l’instant si ce lieu qui se trouve entre Homaka et Bonderi correspond au point de contact entre la délégation du député et les membres de Boko Haram, ni quand la rencontre a exactement eu lieu. Seul indice, l’homme d’affaires Abdallah a été aperçu pour la dernière fois à Homaka, le 18 août 2014 …

RÈGLEMENTS

Le député Abba Malla et l’homme d’affaires Abdallah ont-ils été piégés par leurs interlocuteurs ? Vraisemblablement oui, dans la mesure où la rencontre ne s’est pas déroulée comme prévue. Reste la question : pourquoi ? Pour beaucoup, le sort réservé par la secte à Abba Malla et à Abdallah s’inscrit dans la continuité de l’opération menée à Kolofata contre la résidence du vice-Premier ministre Amadou Ali. L’on se rappelle qu’à la faveur d’une récente rencontre à Kamouna entre une délégation de l’armée et des membres de ce groupe, ceux-ci avaient justifié l’assaut de Kolofata par le non respect des engagements pris par le vice- Premier ministre lors de la libération des religieux de Tcheré.

Notamment l’élargissement de 25 prisonniers. Or, le principal négociateur côté camerounais, se trouve être Abba Malla, toujours aiguillonné par le vice- Premier ministre Amadou Ali et le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh. «Abba Malla et Amadou Ali ont joué un rôle déterminant dans la libération des religieux de Tcheré qui semble aujourd’hui être le point de divergence entre les différents protagonistes.

C’est par leur intermédiaire que la vidéo montrant les religieux de Tcheré est parvenue aux autorités camerounaises alors même que le président de l’Assemblée nationale tenait la bonne piste et attendait aussi ladite vidéo pour la remettre à la présidence de la République. On ignore ce qui s’est passé, ni les engagements pris pour que la négociation bascule subitement du président de l’Assemblée nationale vers leur canal. Peut-être sont-ils allés un peu trop loin dans les engagements pour s’approprier le monopole des négociations», murmure une source proche du dossier.

Toujours est-il que la certitude qui se dégage aujourd’hui est que la secte en a après le principal groupe de négociateurs camerounais. Et qu’elle a commencé à régler ses comptes. Le vice-Premier ministre a échappé de justesse à l’assaut de Kolofata le 27 juillet 2014, dont tout indique que c’était bien lui la cible. Elle tient son épouse. Son relais sur le terrain, Abba Malla, est leur «invité», tout comme Abdallah, le sulfureux homme d’affaires sur qui a toujours pesé bien de soupçons quant aux origines de sa subite fortune. Lors de la libération du père Georges Vandenbeusch le 31 décembre 2013, c’est lui qui s’était rendu à la prison de Maroua pour reconnaître un éminent membre de Boko Haram qui devait être relâché dans le cadre de la transaction et que les services de sécurité avaient du mal à identifier...

Avec ces deux acteurs clés entre leurs mains, la secte va aisément faire son audit des otages. Elle pourra ainsi aisément savoir combien le gouvernement camerounais a effectivement déboursé pour chaque libération, histoire de savoir si elle a été oui ou non berné, par qui et dans quelle proportion. Pour, le cas échéant, se pourvoir lors des prochaines négociations et régler sans doute en interne ses comptes. Déjà, le conflit qui oppose les négociateurs d’hier n’est pas sans conséquences sur la situation des otages détenus par la secte et enlevés au Cameroun.

Le sort des Chinois enlevés à Waza dans la nuit du 16 au 17 mai 2014 et retenus au Nigeria par la secte, est pour l’instant incertain, alors même que leur libération pointait à l’horizon. Le montant de la transaction, entre autres, avait même déjà été arrêté. Or, ce dossier était jusqu’ici piloté par le député Abba Malla sous le parrainage du vice-Premier ministre Amadou Ali avec l’onction du secrétaire général de la présidence de la République. «Je crains malheureusement que tout reste à refaire. Dans ce type d’affaires, les négociations sont essentiellement fondées sur la confiance entre les parties et visiblement, elle n’y est plus. Je pense que si les Chinois n’ont pas été libérés, c’est aussi parce que les dettes ne sont pas soldées et que la secte ne souhaitait pas conclure un nouveau round sans en avoir terminé avec les engagements pris pour les religieux.

N’oubliez pas que c’est une seule et même direction qui détient et gère les otages et que les négociations se nourrissent aussi des expériences précédentes qui fondent ou détruisent la confiance», explique une source sécuritaire. Reste aujourd’hui à savoir quand «l’invité» Abba Malla retrouvera les siens. Et s’il restera toujours un interlocuteur crédible pour la secte et pour le gouvernement camerounais. «Pour moi, c’est la fin d’un cycle de négociations. Espérons seulement qu’il revienne sain et sauf de son aventure. Et quand bien même il sera revenu, il ne pourra plus avoir la lucidité nécessaire pour défendre les intérêts du Cameroun. C’est un homme désormais sous influence. C’est ainsi que s’achève la carrière des négociateurs d’otages», explique une élite du Mayo-Sava.

© L’Oeil du Sahel : RAOUL GUIVANDA


27/08/2014
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