Le Cameroun se réveillera, soyons prêts !

Franklin Nyamsi:Camer.beLe réveil, en tant que reprise de la veille, présuppose toujours l’éveil qu’il réactive. On ne peut parler de réveil d’un peuple que si l’on a accès à son âme immortelle, c’est-à-dire, au fond, à ce que ce peuple à de plus grand et de plus digne de considération, sa vocation à affirmer exemplairement et positivement l’humain contre les forces bestiales de l’argent, de la jouissance compulsive et du pouvoir aveugle. Chez nous, au Cameroun, l’humanisme de référence, l’éveil du Cameroun, si vous voulez, c’est l’upécisme, comme l’houphouétisme est l’humanisme de référence de la Côte d’Ivoire contemporaine. Dans mon article de 2008, « l’Upécisme est un humanisme », j’en ai décliné les articulations conceptuelles.  Je n’y reviendrai pas ici. La démonstration est faite qu’au-delà de l’upécisme, le Cameroun n’est porteur d’aucune autre ambition crédible pour la condition humaine. Mais, où en est donc notre lutte citoyenne camerounaise ? Que faisons-nous de la providence camerounaise en ce siècle ? Pas un jour, en ce monde, depuis mes vingt ans, sans que j’y pense.

Depuis de longues années, j’arpente le monde et notamment l’Afrique, à la fois à la recherche des sources d’inspiration de ma Métaphysique du cosmopolitisme – l’opus de ma vie philosophique – que des ressources humaines et concrètes pour participer à la démocratisation effective du sous-continent francophone africain, et notamment de mes pays natal et adoptif en cette Afrique, le Cameroun et la Côte d’Ivoire. La séquence exceptionnelle que nous venons de vivre, de décembre 2010 à avril 2011, a vu la Côte d’Ivoire basculer dans le camp des démocraties africaines, au terme d’un processus politique certes heurté, mais progressivement inclusif et arbitré par l’implication forte des grandes organisations de la communauté internationale. Une jurisprudence nouvelle, mobilisant la force au service du droit des Africains, a pris pied dans l’épisode ivoirien. Au Sénégal, en 2012, on a également vu s’accomplir une alternance politique démocratique, entre le Président Abdoulaye et son successeur Macky Sall, malgré toutes les inquiétudes que suscitait la radicalisation de la scène politique sénégalaise. Il est clair, pour qui s’efforce de comprendre l’esprit de notre temps,  que le principe démocratique est entrain de supplanter le principe héréditaire dans la structuration du changement politique en Afrique francophone. Je forme justement un très grand espoir  que l’onde de choc partie d’Abidjan, celle de la substitution du principe héréditaire par le principe démocratique s’empare bientôt de l’Afrique centrale, et notamment du Cameroun, mon pays natal, où une autocratie vieille de 32 ans continue de faire lambiner le destin de près de vingt millions de citoyens. Dans ma tribune récemment publiée dans Jeune Afrique, sous le titre «  Profession de foi contre le régime RDPC de Paul Biya », j’ai énoncé les raisons profondes et personnelles, qui m’ont rendu indocile au régime illégitime, corrompu et violent de M. Biya. Elles sont autobiographiques, morales, intellectuelles et éminemment politique. Je n’y reviendrai pas en détail dans la présente réflexion. Je voudrais ici, répondre à deux questions qui brûlent nécessairement les lèvres de tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent à mon engagement politique : 1) Quelles sont les bonnes raisons de croire que « Le Cameroun se réveillera » ? 2) Comment, dans l’hypothèse d’un tel éveil, faire face aux défis gigantesques qu’impose le changement politique dans ce pays-là?

Une espérance d’humanité, née autant de la douleur du négatif que du désir des populations de ce pays de vivre-ensemble,  préside à l’avènement historique de la nation camerounaise dans le feu de l’esclavage, du travail forcé colonial et de la domination multiforme qui l’accompagna, mais aussi dans le duel à mort de la lutte pour donner un contenu substantiel à l’indépendance de l’Etat du Cameroun. Cette espérance n’est pas morte, elle a simplement changé de forme. Hier, elle luttait pour l’indépendance. Aujourd’hui, elle doit lutter pour la démocratisation exemplaire du Cameroun.

Il y a certes eu, depuis l’indépendance détournée de 1960, au profit des élites camerounaises qui ne voulaient surtout pas d’un Cameroun autonome, suffisamment d’occasions manquées pour un réveil du Cameroun : l’expérience multipartite amorcée au lendemain des indépendances dans les années 60 laissait espérer que d’autres alluvions de la conscience nationale camerounaise viendraient mouler autrement la forme de l’Etat, en la mettant davantage à l’abri de la servilité, de l’incompétence et du clanisme qui furent alors érigés en principes de caporalisation obscurantiste de la société camerounaise. L’instauration par Ahmadou Ahidjo de la camisole de force du Parti Unique UNC, mais aussi la répression sauvage des résistants indépendantistes camerounais de l’UPC jusqu’au cœur des années 70, tuèrent les velléités de renouvellement de l’espérance camerounaise dans cette longue séquence 1955-1971.

 Lorsque l’un des assistants d’Ahmadou Ahidjo, Paul Biya, accéda au pouvoir en 1982 en vertu du principe héréditaire issu de l’armature coloniale du Cameroun sous tutelle française, on forma l’espoir que des forces nouvelles issues de la jeunesse universitaire camerounaise, mais aussi des milieux diasporiques camerounais qui avaient été fortement moulés, via la FEANF et l’UNEK, par les idées du progressisme africain, prendraient la relève d’une société déjà fort malade d’être passée à côté de ses propres idéaux d’humanité. Mais, à partir de 1984, Paul Biya, qui allait s’offrir un parti unique à son tour, se raidit dans un exercice violent du pouvoir qui le conduisit à la rupture consommée envers le peuple camerounais qu’il administre depuis lors tant bien que mal, mais ne gouverne plus. Les records de corruption, de trucages électoraux, d’indifférence diplomatique, d’assassinats politiques, de crimes contre l’humanité, commis par le régime Biya depuis 1984 sont absolument alarmants pour qui veut imaginer les conditions de séparation qui règneront quand le divorce entre Paul Biya et les Camerounais sera matériellement consommé. Comme son prédécesseur Ahidjo, Paul Biya a clairement raté le virage de la modernisation socioéconomique, culturelle et politique du Cameroun : Pays Pauvre Très Endetté, espérance de vie à 45 ans, 70% de jeunes en quête d’émigration, 50% de la population vivant sous le seuil de pauvreté, trois fois pays le plus corrompu au monde selon Transparency International, etc.

Aujourd’hui, en 2013, nous avons pourtant de nombreuses raisons de croire que l’espoir est intact : A) la massification de la démographie camerounaise en près de deux dizaines de millions de citoyens, ne laisse plus le choix aux institutions entre l’amateurisme et le professionnalisme. B) La pauvreté du grand nombre est autant une menace pour les plus démunis que pour les détenteurs arrogants du pouvoir RDPC, qui s’effondrera inéluctablement sous l’effet d’une haïtisation effrénée du pays qu’il s’efforce malgré tout d’endiguer par des pansements pour jambe de bois. C) La jeunesse de la population camerounaise est l’autre atout. Age de toutes les révolutions, cette jeunesse n’attend que de trouver un cadre politique crédible pour balayer les gérontocrates du pouvoir, dont la direction est gérée, de fait, par des hommes et des femmes du passé et du passif, résolument préoccupés de leurs obsèques que de leurs projets. D) Le contexte politique international, y compris dans la sous-région d’Afrique Centrale, est  positivement sensible aux luttes citoyennes pour la démocratie, en ce qu’elles sont d’universel, par opposition aux rassemblements émotionnels suscités çà et là sur le continent par l’anticolonialisme dogmatique et par les syncrétismes pseudo-religieux qui y prolifèrent. E) Il se dégage, de la société civile, de la diaspora, des cadets des forces de défense et de sécurité, des officines diplomatiques internationales, des indices des milieux des affaires,  des milieux politiques africains et hexagonaux notamment, la claire et convergente conviction que le régime RDPC de Paul Biya a épuisé ses cartes et qu’une alternative crédible à ce régime, dans une perspective de renouvellement par la légitimité populaire, s’impose dans l’intérêt bien compris des Camerounais et de leurs partenaires étrangers. F) Enfin, du fait du niveau de formation professionnelle et intellectuelle de sa diaspora de 4 millions d’âmes en lutte pour la reconnaissance de leur place dans la Nation, la situation camerounaise actuelle est travaillée par trop de forces critiques pour tenir longtemps ce semblant d’équilibre de la misère et de a terreur. Mais qui structurera et incarnera donc l’espérance camerounaise ?

Je suis parfaitement convaincu aujourd’hui d’une chose : il n’existe pas de parti politique qui sauvera le Cameroun de son blocage actuel. Les partis ont donné, dans la fausse démocratie de Paul Biya, toute la mesure de leur impuissance. Pourquoi donc ? Principalement parce que, dans le Cameroun de Paul Biya où les urnes ne servent que de déguisement au mensonge structurant du pouvoir, les partis ont été réduits à la pure vacuité par un multipartisme de façade cachant un monopartisme brutal et persévérant. Non seulement il conviendrait de rappeler que le RDPC n’est allé au multipartisme qu’à reculons depuis 1990, mais force est de rappeler à tous que la Tripartite de 1991,  l’Administration Territoriale, l’ONEL et l’ELECAM n’ont été que des subterfuges régulièrement employés par le régime Biya pour perpétuer le monolithisme brutal qu’il a hérité du régime Ahidjo.

Dans de telles circonstances, on a tenté depuis 1990 au Cameroun, une alliance des partis de l’opposition pour gagner la bataille électorale contre le régime Biya. Or non seulement en raison de la communauté idéologique entre le RDPC et les principaux opposants issus de son sein, mais aussi en raison des contradictions propres d’une opposition camerounaise aussi hétéroclite que les traditions libérales, sociodémocrates ou marxistes-léninistes de ses composantes, la stratégie de renversement du RDPC par une alliance de partis de l’opposition a fait long feu. Détenteur de la force armée et rédacteur attitrés des déclarations constitutionnelles de la Cour Suprême, Paul Biya attend toujours l’opposition au tournant, quand il n’a pas fini d’en corrompre de larges composantes, d’en exiler ou affamer d’autres composantes, ou d’assassiner les plus vulnérables et/ou virulents. Autrement dit, la politique des partis renaîtra au Cameroun et fonctionnera utilement quand le système politique camerounais sera réellement démocratique. Il faut d’abord libérer les partis de l’ogre rdpciste. On l’a compris. Quelle ultime conséquence ?

Il est donc très clair aujourd’hui que la démocratisation effective du Cameroun sera l’œuvre préalable d’une minorité agissante de citoyennes et de citoyens, issus de tous les corps de la Nation et de l’Etat, démarqués de tous les partis actuels de l’opposition, dans l’esprit bien compris de l’upécisme.

Au nom d’une éthique républicaine upéciste, combinant les valeurs de la démocratie représentative, de la solidarité africaine, de l’élévation du standard de vie des populations, et du cosmopolitisme métaphysique, cette minorité doit œuvrer pour fonder dans une perspective de haute profondeur le cadre consensuel du futur Grand Cameroun, comme le sommet du Fako à Buéa singularise si bien notre pays par sa hauteur profonde. 

Cette minorité agissante, animée par une conscience haute de l’intérêt général du Cameroun, doit d’ores et déjà s’attacher à connaître les arcanes de l’Etat du Cameroun pour le mieux gouverner bientôt ; elle doit se donner un programme de transition du pays vers un système démocratique exemplaire qui sera pensé consensuellement, après la chute préalable et nécessaire du pouvoir RDPC.

Cette minorité agissante doit se donner les moyens diplomatiques de rassurer les grands partenaires internationaux du Cameroun, mais également d’assurer la bourgeoisie entrepreneuriale camerounaise de sa détermination à la voir réussir sa modernisation interne et interne. Cette minorité agissante – au centre de laquelle j’ai à cœur d’être aujourd’hui et demain – devra, avant toute chose, prendre à cœur la cause des millions de Camerounaises et de Camerounais qui croupissent dans la misère, la sous-éducation, le chômage, les maladies endémiques, la désespérance et le fatalisme. C’est véritablement pour ceux-là, qui sont sans espoir, que l’espoir est permis.

Ainsi, à la stricte condition de travailler pour, dans, et avec cette minorité agissante, nous pouvons dire : « Le Cameroun se réveillera, soyons prêts ! » La vraie question n’est pas celle de l’après-Biya, mais celle de la préparation d’une réelle alternative démocratique, républicaine et populaire à l’après-Biya. Oeuvrons courageusement et lucidement pour cet avenir. C’est une tâche à hauteur humaine.

Paris, le 5 mai 2013.

Une tribune de Franklin Nyamsi,Agrégé de philosophie, Paris, France

© Source : www.franklinnyamsi.com


05/05/2013
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