Le Cameroun malade du fossé entre le peuple et ses dirigeants
Jean Duclair Todom est directeur de l’Institut pour les droits, la justice et le développement (IDJD).
« Nous n’avons pas de problème de droits de l’homme », « les Camerounais sont parmi les Africains les plus libres ». C'est par ces mots que le président de la République, Paul Biya, a répondu aux questions de la presse le 30 janvier dernier sur la situation des droits de l’homme au Cameroun, au terme de sa rencontre avec le président français à l’Élysée. Méconnaissance de l’état des lieux, de la situation des droits humains au Cameroun ? Ou flagrant déni de réalité avec des déclarations de circonstances ? La vérité se situe sans doute entre les deux.
Au terme des propos du président de la République et sans vouloir céder à toute tentation de critique systématique, nous avons voulu partager sa lecture positive et flatteuse de la situation des droits de l’homme au Cameroun. Malheureusement, cela n’a pas pu aller plus très loin, si l'on prend en compte la réalité et les différents rapports des organisations de la société civile et des organisations internationales de promotion et de défense des droits de l’homme, notamment le rapport 2013 d’Amnesty International. Paul Biya n’aura donc pas eu le courage de poser le bon diagnostic. Et c’est bien triste que le président, qui a une responsabilité politique au-delà de ses prérogatives institutionnelles, dénie des inquiétudes légitimes et fondées des Camerounais.
Aimer le Cameroun, s’investir pour son développement et son émergence, avoir le souci du bien-être des Camerounais qui passe par l’effectivité d’un État de droit, impose de rester lucide et de présenter objectivement la réalité des Camerounais qui vivent au quotidien en marge de tout système et/ou de tout mécanisme effectif d’accès aux droits. Gouverner dans l’intérêt du Cameroun et du peuple camerounais, c’est avant tout être dans la réalité pour effectuer le bon diagnostic, reconnaître ce qui va mal, trouver des solutions durables et engager les bonnes reformes. C'est d’ailleurs un devoir, une exigence de bonne gouvernance lorsqu'on est un responsable politique. En déclarant : « il n’y a pas de tortures, il n’y a pas de disparitions » au Cameroun, nous pensons que le président de la République préfère ignorer la situation des Camerounais dans les prisons et les cellules des commissariats, et de brigades de gendarmerie de notre pays, etc.
Notre pays est malade sur le plan des droits humains, malade du fossé entre les Camerounais et ses dirigeants qui vivent de plus en plus en dehors de la réalité que vit le peuple. Il faut maintenant le courage de l’action pour remédier à la situation inquiétante des droits de l’homme dans notre pays, pour un meilleur accès aux droits du peuple camerounais.
Notre pays avance et se construit depuis des décennies en ignorant très souvent les droits humains, et même parfois en les méprisant. La Constitution, le code pénal et les engagements pris par le gouvernement au niveau international en faveur des droits de l’homme, ont été élaborés pour garantir l’État de droit et un meilleur respect des droits de l’homme au Cameroun. Il faut bien l’admettre, ces lois et engagements internationaux restent très souvent lettre morte quand ceux-ci ne pas systématiquement bafoués.
Un Cameroun émergent en 2035, c'est précisément un État qui protège ses citoyens, notamment les plus faibles (...)
Où en est le Cameroun après la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) ? Ces traités ont-ils un sens, une traduction au regard des violations des droits de l’homme dans notre pays et de l’impunité dont jouissent les membres des forces de l’ordre ?
Un Cameroun émergent en 2035, c'est précisément un État qui protège ses citoyens, notamment les plus faibles. C'est un État dans lequel les forces de l’ordre ont pour principale mission d’assurer la sécurité et la protection des populations, un véritable État de droit qui lutte systématiquement contre l’impunité, ce à quoi aspire le peuple camerounais.
Ce Cameroun émergent, avec un État garant du respect des droits humains, ce Cameroun qui assure les droits civils et politiques, qui respecte et protège son peuple, c'est certain, n'est pas le plus aisé à bâtir. C'est celui du courage politique, du respect des lois et du souci de l’intérêt du peuple, celui qui devra s'affirmer dans le monde de plus en plus globalisé, pour promouvoir et assurer dans notre pays, le respect des droits de l’homme. Ce grand défi que doit relever notre pays nous interpelle tous, il interpelle le gouvernement, le président de la République. Ayons donc l’audace de le relever.