Le Cameroun champion du monde de la corruption
Soumis par Sarah Sakho de Yaoundé le mar, 11/22/2011 - 12:45
Au Cameroun la corruption est de notoriété publique et son éradication une vieille rengaine politique. Pourtant, le premier rapport d’activité de la Commission nationale anti-corruption (Conac) n’en finit pas de faire des vagues. Il détaille les détournements de fonds au grand dam des agents de l'Etat cités
Le Cameroun, «double champion du monde de la corruption» selon le classement de l’ONG Transparency International est loin d’être débarrassé de ce fléau. Et le rapport de la Commission nationale anti-corruption (Conac) qui fait le point sur les trois premières années d’activité de cette commission anti-corruption publique vient une nouvelle fois de le prouver.
«Si l'Etat venait à bout des pratiques de corruption actuellement en cours dans les services du ministère des Travaux publics, les ressources budgétaires qu'il investit dans la construction des routes seraient suffisantes pour construire trois fois plus de routes de mêmes longueurs et de mêmes consistances».
Cet extrait de l’investigation menée en 2010 par la Conac sur un important projet de construction routière à l’est du pays, la route Ayos-Bonis, est sans appel. Sur plusieurs pages, la commission détaille la connivence entre l’entreprise de construction «peu fiable» qui a remporté le marché et l’administration.
La représentation des détournements donne le vertige
Entre rallonges budgétaires, surfacturations et prestations fictives, le projet qui accuse plus de 2 ans de retard a coûté la bagatelle de plusieurs milliards de francs CFA de perte à l’Etat. Peu avare en formule imagée, la Conac note encore:
«Les volumes de terre que l'entreprise prétend avoir déplacés, s'ils étaient exacts, correspondraient à un cône d'une hauteur égale à celle du mont Cameroun sur une base circulaire de 50 mètres de diamètre.»
Quant au ministre des Travaux publics, il aurait agi unilatéralement selon le rapport, prenant seul certaines décisions, en dépit des règles en vigueur.
Autre dossier emblématique: le projet maïs. Près de 35% des subventions allouées par l’Etat aux paysans de la filière ont fait l’objet de détournements, explique la Conac, principalement au profit d’agents du ministère de l’Agriculture et d’organisations paysannes complices. Le ministère des Finances est également indexé comme une administration à «haute intensité de corruption» via ses nombreux agents du Trésor indélicats nommément cités.
C’est donc un bilan sévère que dresse la Commission nationale anti-corruption tout au long de ce pavé de 300 pages, recommandant même l’ouverture d’informations judiciaires sur de hautes personnalités telle que Paul Atanga Nji, chargé de mission à la présidence de la République et président du Conseil national de la sécurité.
Réactions en chaîne
Depuis sa publication jeudi 17 novembre 2011, ce rapport défraie la
chronique et les réactions se multiplient. Le ministre des Travaux
publics s’est ainsi fendu d’un communiqué dès le lendemain. Bernard
Messengue Avom explique ne pas avoir été amené «à s’expliquer sur les
faits observés par cette mission, en violation du principe
contradictoire en vigueur en pareille circonstance». Le ministre qui
rejette les conclusions de la Conac annonce aussi un audit indépendant
pour y voir plus clair.
Du côté de l’opposition politique qui dénonce inlassablement la
corruption qui gangrène l’Etat, on ne se félicite pas franchement du
travail de la Conac. Ka Wallah, la médiatique candidate aux
présidentielles du Cameroon’s People Party demande avant tout la
démission des ministres et responsables concernés ainsi que des
poursuites pénales. Le Social democratic front (SDF) se refuse quant à
lui à commenter l’événement.
«Ce rapport ne contient rien que nous n’ayons déjà dénoncé»,
explique Joshua Osih le numéro deux du principal parti d’opposition
ajoutant que les mesures efficaces se font toujours attendre.
Pour l’ONG, Transparency International, les outils pour lutter
contre la corruption sont pourtant à portée de main mais la volonté
politique fait défaut. Maitre Charles Nguini, président de TI-Cameroun
cite le fameux article 66 de la Constitution:
«L’article 66 de la Constitution a été mis en place depuis 1996 et
prévoit la déclaration des biens et avoirs de hauts responsables (…).
Quand on voit l’enrichissement insolent de beaucoup de nos dirigeants,
nous comprenons qu’ils ne veulent pas de l’application de l’article 66.»
Parmi la société civile, certains émettent aussi des réserves.
Bernard Njonga de l’Association citoyenne de défense des intérêts
collectifs (ACDIC) pourtant à l’origine de l’enquête sur le projet maïs,
regrette le caractère partiel du travail de la Conac:
«35% des sommes allouées au projet maïs ont été détournés, alors
pourquoi ne pas pousser l’enquête à d’autres projets du ministère de
l’Agriculture qui subissent exactement le même sort?», s’interroge-t-il.
Bernard Njonga juge par ailleurs irresponsable de «livrer ainsi des
noms en pâture» si des poursuites judiciaires ne suivent pas.
Certains notent enfin que la Conac qui dépend directement de la
Présidence de la République n’a pas jugé bon d’enquêter sur certaines
affaires:
«La Conac n’a pas enquêté sur les biens présumés mal acquis du
Président Biya, pas plus que sur des affaires mettant en cause des
proches du président. Son investigation semble cibler des individus
moins importants» explique Hilaire Kamga, une figure de la société
civile en référence à l’affaire dite des biens mal acquis -la plainte en
France d'une association pour «recel de détournements de fonds publics»
visant le président camerounais et qui a conduit en novembre 2010 à
l’ouverture d’une enquête préliminaire auprès du parquet de Paris.
La corruption dévoilée. Et après?
La Conac dont la mission d’investigation se borne à identifier les
causes de la corruption et à proposer des mesures idoines aux autorités
compétentes n’a pas vocation à poursuivre les personnes qu’elle
incrimine. Seront-elles un jour inquiétées?
Au Cameroun, la lutte contre la corruption ne convainc pas.
L’opération Epervier lancée en 2006 en même temps que la Conac est
critiquée et taxée d’instrument politique. Si une dizaine de ministres
ont été arrêtés pour des détournements de fonds, l’opinion publique
retient surtout que d’autres personnalités citées dans des dossiers
accablants continuent de vaquer à leurs occupations.
Pour l’heure, aucune réaction officielle n’a encore filtré de la
présidence. Paul Biya, sous la pression des bailleurs de fonds a fait de
la lutte contre la corruption son cheval de bataille et a promis que la
tâche se poursuivrait au cours de ce septennat, tenant visiblement à
redorer le blason considérablement terni du pays en la matière. Dans les
colonnes des journaux et les rues de la capitale politique, on parie
déjà sur un prochain retour de l’Epervier planant au-dessus de la scène
politique camerounaise.
Sarah Sakho
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