Après la polémique suscitée par la publication de son ouvrage "Le Biyaïsme. Le Cameroun au piège de la médiocrité politique, de la libido accumulative et de la (dé)civilisation des mœurs", dans une interview accordée à Camer.be, Thierry Amougou revient sur le contenu de ce livre. Le Macro économiste et maître de conférence à l'université catholique de Louvain- la- neuve ( Belgique), estime que « ceux qui publient les motions de soutien à tour de bras alors que la problématique « Biya must go » prend de l’ampleur à la fois sur le plan interne et externe, doivent mesurer leur médiocrité à la distance du hiatus contradictoire entre leur quatre tomes de « l’appel du peuple » et cette problématique devenue la condition de la Renaissance dudit peuple »
Pourquoi ce livre en ce moment où se prépare l’élection présidentielle ? Êtes-vous un calculateur de postes comme tous les autres intellectuels camerounais qui ont critiqué mais cirent actuellement les pompes du régime ?
Là vous commencez très fort ! Mais avant de
répondre, déjà bonjour à vous. Merci, tant de l’intérêt que vous portez à
cette publication, qu’à l’opportunité à moi offerte d’en parler aux
Camerounais, aux Africains et au monde entier.
Je vous disais tantôt que ça commençait fort, non parce que la question
est brutale ou mauvaise, mais parce qu’elle nous plonge directement dans
l’ouvrage. C’est une question dont les deux volets montrent que « le
Biyaïsme effectif » a déjà profondément structuré, de façon négative,
les modes de raisonnement des Camerounais au point où nous devenons
incapables de juger une action pour elle-même et en elle-même, mais par
rapport à ses objectifs cachés, implicites ou encore non dits. Cela
n’est pas de notre faute mais celle du « Biyaïsme effectif », qui en
fonctionnant ainsi depuis 1982, a inculqué une telle inclinaison à nos
esprits. Dès lors, puisque son mode de gouvernance ramène tous les
objectifs d’un peuple à penser aux privilèges de « la mangeoire
nationale », l’élection présidentielle devient un moment clé de
recherche des voies et moyens pour y accéder, d’où votre question qui
est la résultante inconsciente d’une gouvernance camerounaise de
consommation des privilèges du pouvoir politique. Dans un tel monde, mon
livre devient une stratégie d’accès à « la mangeoire nationale » afin
de manger comme les autres en droite ligne de la thèse du politologue
Jean-François Bayart.
Cela n’est pas correct car mon livre est tout le contraire. Il invite à
sortir d’une gouvernance de consommation pure et simple et de jouissance
des privilèges du pouvoir politique car une telle gouvernance nous
maintient dans la satisfaction de bas et purs instincts animaux à la
base de ce que j’appelle « la (dé)civilisation des mœurs ». Ce que je
viens de dire ne constitue pas une réponse à votre question, mais une
explication du pourquoi et en quoi elle est un résultat du « Biyaïsme
effectif ».
Par ailleurs, il faut qu’on s’entende bien afin d’éviter des amalgames.
Je ne suis pas en train de vous faire l’apologie du désintérêt comme
valeur comportementale. Je pense qu’aucune action au monde, quel que
soit son auteur, n’est dépourvue de stratégie, d’instruments et
d’objectifs. La publication de mon livre ne fait pas exception à cette
règle élémentaire de planification, surtout que c’est une œuvre-action
qui a pour but de changer un état du monde vécu par les Camerounais en
particulier, et l’Afrique Noire en général. Il est peut-être mieux qu’il
en soit ainsi car ce serait peu rassurant que les gens fassent des
projets, posent des actes sans objectifs clairs fixés au préalable. Ce
que je dénonce c’est que le régime et ses opposants ont tellement menti
et fait le contraire de ce qu’ils avaient annoncé, que les Camerounais
sont, d’une certaine façon, devenus incapables de croire à ce que dit un
autre Camerounais. C’est un aspect de « la discrimination statistique »
que subissent les Camerounais du fait d’une équipe au pouvoir.
Ceci dit, le choix de la date de publication de mon livre n’est ni
anodin, ni hasardeux pour deux raisons. Premièrement, je voulais, dès le
début de ma réflexion sur « le Biyaïsme », que le livre paraisse début
2011 parce que cette année correspond, jusqu’à preuve du contraire, à
celle de l’élection présidentielle camerounaise. Une élection
présidentielle ne sert pas seulement à élire un Président. Elle est
aussi un temps de proposition d’idées, d’analyse des chemins parcourus,
de mise en évidence des problèmes et d’éveil intellectuel de l’élite du
savoir d’un pays dans ses différentes orientations. Je n’ai pas pu
publier en début d’année parce que j’avais un autre livre à achever sur
le cinquantenaire des indépendances africaines. Deuxièmement, devant ce
télescopage de livre en chantier, mon éditeur m’a conseillé de publier
en premier le livre sur le cinquantenaire des indépendances célébré en
2010, et de repousser celui sur le Cameroun qui aura plus d’audience à
quelques mois de la présidentielle : le temps événementiel et ses
implications éditoriales, politiques et commerciales sont donc des
variables explicatives de sa sortie actuelle.
Comme vous le constatez, le cinquantenaire des indépendances africaines
et la présidentielle camerounaise offrent des temps particuliers de
réflexions qui s’en nourrissent en même temps que ces réflexions les
nourrissent sans cesser de viser une grande audience qu’offrent las
circonstances de l’histoire événementielle. S’il y a un calcul politique
à mon œuvre, c’est celui-là car je n’écris pas un livre pour attendre
une récompense quelconque. Ce serait faire ce que je dénonce sur toute
la ligne car une telle attitude empêche une critique radicale, seule
capable de changer les choses. J’écris plutôt un livre en toute liberté
pour présenter au monde, à l’Afrique et au Cameroun, mon diagnostic sur
la dynamique d’un phénomène et mes propositions, soit de sortie des
dynamiques régressives, soit d’amélioration des situations rattrapables.
Mon plus grand calcul politique est donc qu’on me lise, qu’on retienne
quelque chose de ce qu’on aura lu, et que mes idées permettent au
Cameroun d’aller mieux qu’avant. Ce livre est donc aussi une réponse
structurée et aboutie à toux ceux qui disaient que je critique sans
cesse sans rien proposer : c’est une offre à mon pays.
Le deuxième volet de votre question me demande si je ne suis pas un
calculateur comme tous les intellectuels qui ont critiqué mais cirent
actuellement les pompes du régime. C’est un autre résultat d’un «
Biyaïsme effectif » dont le rapport à l’intellect, au savoir et à la
pensée à induit ce que le philosophe Fabien Eboussi Boulaga appelle «
les intellectuels ventriloques ». Au demeurant, il est important de se
poser la question de savoir si nous avons affaire à des intellectuels ou
à ce que j’appelle « des indigènes diplômés reproduisant par atavisme
les brimades coloniales sur les populations camerounaises ». Lorsqu’une
élite de l’intelligence transforme son capital humain en un instrument
de satisfaction de sa « libido accumulative », de domination sociale,
d’oppression, d’abêtissement populaire et de mensonge d’Etat, la pensée
réelle et la critique radicale deviennent des délits surtout si elles
interrogent le pouvoir en place par rapport à ses engagements et
responsabilités. L’exil de feu Jean-Marc Éla, l’assassinat du père
Mveng, l’isolement de Fabien Eboussi Boulaga, l’éloignement d’Achille
Mbembe et la clochardisation des universitaires qui critiquent le régime
prouvent impeccablement et implacablement que « le Biyaïsme effectif »
ne fait pas bon ménage avec le « je pense donc je suis ».
Par ailleurs, aller à l’école et accumuler tous les diplômes de la terre
pour publier les motions de soutien en quatre tomes, est une injure à
ce qu’on appelle intellectuel et à son rôle dans une société qui plus
est sous-développée. Je ne suis pas de cette nature-là et je ne le serai
jamais car si un intellectuel peut participer au pouvoir, il se doit de
ne jamais devenir un menteur pour ses intérêts personnels ou
corporatistes. Il se doit de poursuivre les objectifs et les combats qui
visent le bien-être collectif. Il se doit de tendre toujours vers
l’idéal d’objectivité afin que ses ouvres restent crédibles et utiles à
tous à toutes. Ce n’est qu’ainsi que le savant et le politique dont nous
parle Max Weber peuvent faire bon ménage. Dans le cas contraire, on
devient des intellectuels au service du diable et de l’axe du mal comme
le fut le docteur généticien Mengelé sous Hitler.
Vous venez de publier "Le Biyaïsme. Le Cameroun au piège de la médiocrité politique, de la libido accumulative et de la (dé)civilisation des mœurs" aux éditions l’Harmattan collection Pensée africaine. Pourquoi un livre sur la critique sociopolitique du « Biyaïsme" ?
Pour plusieurs raisons donc trois fondamentales :
le devoir de mémoire, le devoir d’exercice de ma liberté de conscience
et le devoir de responsabilité citoyenne :
Le devoir de mémoire m’invite à éviter que nos enfants et les
générations futures aient pour seuls livres sur le pouvoir actuel,
uniquement les ouvrages propagandistes écrits par les caciques du
régime. Ce serait offrir une information pauvre, tronquée et fausse aux
Camerounais de demain que d’abandonner les rayons des bibliothèques
nationales et internationales aux quatre tomes de « Paul Biya, l’appel
du peuple » de Jacques Fame Ndongo et autres. Nos enfants et les
générations futures méritent de tomber à la fois sur les quatre tomes de
« Pal Biya, l’appel du peuple » et sur d’autres livres écrits par des
Camerounais opposants, neutres ou hors du pouvoir et de l’opposition
conventionnelle. C’est en lisant tous ces livres que les générations
futures sauront la vérité sur « le Biyaïsme » car sans le savoir, ceux
qui publient « Paul Biya, l’appel du peuple » offrent à l’histoire les
pièces à conviction de ce que je démontre dans mon livre. Notre devoir
est donc aussi de mener intellectuellement la bataille de la mémoire et
de la postérité en donnant une pensée non unique de quoi hier était fait
et de ce que le Renouveau National fit du Cameroun.
Le devoir d’exercice de ma liberté de jugement est l’autre motivation
qui explique ce livre. Comme je ne cesse de le dire, être libre c’est
d’abord exercer celle-ci soi même dans sa vie et ses actes. Nous devons
penser par nous mêmes, pour nous mêmes et à partir de nous-mêmes si nous
voulons véritablement être libres et rendre cette liberté contagieuse
aux autres. Ce livre est donc tout le contraire de « la motion de
soutien » où le peuple parle à travers la bouche d’autres personnes qui
deviennent ceux que j’appelle « des intellectuels collabos de
l’oppression » et « des intellectuels pusillanimes par rapport à leur
devoir d’éclairer les foules ».
En troisième lieu, la responsabilité citoyenne me donne le droit d’avoir
une attitude de juge, d’analyste, de notation et de défiance par apport
à la gestion de mon pays. Elle a donné les trois constats suivants :
Premièrement, les Camerounais sont actuellement dans une situation où
ils préfèrent appliquer la justice populaire et la vendetta aux voleurs
récurrents remis en liberté après une incarcération. Cette situation est
la résultante à la fois de la corruption généralisée, de
l’appauvrissement parfois sévère de ceux qui s’adonnent au vol, et de la
dislocation du caractère instituant et rassurant de notre justice, de
nos services et forces de l’ordre. Elle est aussi la preuve que deux
victimes du « Biyaïsme effectif », à savoir les Camerounais volés et les
Camerounais voleurs parce que en grande détresse sociale, se livrent
déjà une guerre sournoise que les institutions étatiques ne peuvent
résorber car leur déréliction et leurs incuries en constituent très
souvent la cause. D’où une anomie sociale assez dangereuse.
Deuxièmement, les élites au pouvoir vivent dans un autre monde, celui du
confort des privilèges de la gouvernance de consommation. Autant le
peuple crie au voleur au bas de l’étage et refait face aux mêmes voleurs
ambulants, autant le peuple crie au voleur à la tête de l’Etat et fait
face au même pouvoir depuis 1982 au mieux, et pis depuis 1960. Le
résultat ici est une dichotomie stricte des vies, de problèmes et une
asymétrie des droits et des devoirs entre le peuple camerounais et ses
élites.
Troisièmement, le régime responsable de cette anomie sociale, de cette
pauvreté, de ce divorce élite/population et de l’asymétrie des droits et
des devoirs entre élites et bas peuple, continue sa route avec le
soutien d’un extérieur vers lequel le peuple ne peut non plus se tourner
car pas digne de confiance. Tout se passe comme si le Renouveau devient
acyclique, c'est-à-dire doté d’une continuité et d’une dynamique
internes qui ne dépendent pas de ce qu’il fait aux populations
camerounaises depuis 1982.
Dans un tel univers, « l’avoir donc je suis » qui remplace le « je pense
donc je suis » devient au service « d’une libido accumulative » qui
entraîne toute la société camerounaise dans « une (dé)civilisation des
mœurs » caractérisée par la recherche de « la satisfaction de purs
instincts animaux » : manger, boire, baiser, déféquer, avoir la plus
grosse villa, la plus grosse voiture, le compte en banque le plus
fourni, avoir le nombre de vestes, de paires de chaussures et de
maîtresses le plus élevé. En conséquence, ce que j’appelle « la feymania
d’Etat » et « la feymania populaire » se contaminent et se nourrissent
réciproquement pour donner la quintessence de la médiocrité générale qui
caractérise « le Biyaïsme effectif ».
Dans cet ouvrage, vous abordez avec insistance les questions liées à la situation politique au Cameroun. Selon vous, quelles sont les raisons de la crise politique majeure que vous mentionnez dans votre ouvrage ?
La réponse à la question précédente les esquisse
un peu. Soyons sérieux. Si, après trente ans d’un pouvoir sans partage,
celui qui l’incarne dans un pays est encore préoccupé par la recherche
d’une réponse à la question de savoir s’il continue ou s’il arrête
sachant que son bilan est complètement négatif, alors le pays dont il a
la responsabilité a un vrai problème dont les paramètres centraux sont
ledit président, ses équipes et son système. C’est le cas du Cameroun.
Mon livre montre qu’il connait une crise politique majeure et que
celle-ci est la résultante de deux autres crises connexes : « une crise
sociale » traduite par des inégalités criantes au sein de la société au
point d’aboutir à une anomie sociale couveuse de violences futures, et «
une crise civique » dont les éléments tangibles sont les faits dont
traitent « l’opération Epervier ». « La médiocrité politique » qui en
constitue la cause fondamentale se nourrit du besoin de satisfaction de
sa « libido accumulative » par tous les moyens. Ce qui devient le chemin
certain vers une « (dé)civilisation des mœurs » déjà effective au sein
de la société camerounaise du sommet de l’Etat à sa base.
Notre pays va donc vers une dérive multiforme que connaissent les
peuples qui ne savent plus dire NON face à un pouvoir qui tourne à plein
régime lorsqu’il tourne à vide, c’est-à-dire sans résultats positifs
sur le bien-être des populations. Le Renouveau National qui se
renouvelle alors que l’inflation et le chômage de masse sont au zénith,
devient donc le Mal ou le Diable qu’il faut extirper de notre pays afin
que celui-ci déploie librement tout son potentiel humain, économique et
social. Il faut sortir d’un régime qui devient acyclique, c'est-à-dire
dont la continuité est indépendante, non seulement de la volonté des
Camerounais, mais aussi de la mauvaise vie généralisée qu’il a
construite depuis 1982.
A travers votre ouvrage, quel est le message que vous voulez véhiculer à l'intention de nos Etats africains et du Cameroun votre pays de naissance en particulier ?
Le message est simple : le pouvoir sert à
transformer le réel et donc à servir la vie et la vie en abondance. Ce
que ne peut faire une logique du pouvoir pour soi pour le pouvoir à vie
et vice versa. Je lance une invitation à sortir de la médiocrité dans la
conception et l’exercice du pouvoir car ainsi que je le montre dans ce
livre, le médiocre est celui qui se pense comme « fin de l’histoire »
alors qu’il n’est que de passage et un simple instrument de cette
histoire. Le médiocre est celui qui fait de « l’avoir donc je suis »
l’objectif ultime de sa vie et évince le « je pense donc je suis ». Le
médiocre est celui qui confond la satisfaction de ses pulsions et
objectifs personnels à l’horizon indépassable d’une société. C’est celui
qui aime les situations médianes alors que l’Afrique a besoin de
mouvement et de développement qui exige l’excellence et l’innovation.
Les médiocres camerounais et africains sont dès lors paradoxalement nos
plus hauts diplômés à la tête de nos Etats, non qu’ils ne soient pas
intelligents, mais qu’ils mettent celle-ci au service des objectifs et
des idéaux purement biologiques, généalogiques et orientés vers la
satisfaction de bas instincts animaux comme par exemple la domination,
l’accumulation matérielle, la consommation et les jouissances tous
azimuts à la Caligula. Le sous-développement de l’Afrique tient donc
aussi largement au fait que ces plans strictement personnels ne se
traduisent pas en résultats optimisateurs pour les pays, le continent
tout entier, ses ressources et ses populations.
Qu’est ce que le Biyaïsme ?
Je savais que je ne pouvais échapper à cette
question-là. De prime abord, il est important de signaler que les
définitions sont à la fois bonnes et mauvaises surtout en sciences
politiques et sociales où les choses ne sont pas à mettre dans des cases
figées. Les définitions de type prêt-à-porter sont donc ici à la fois
indiquées pace qu’elles permettent de savoir de quoi on parle, mais
aussi non indiquées parce qu’elles figent un phénomène qui coule, se
réinvente sans cesse et s’ajustent par rapport à des évènements exogènes
et endogènes. Néanmoins, afin de ne pas être accusé de vouer aux
gémonies le régime, ses leaders et ses adeptes, une conceptualisation se
nourrissant des faits réels m’a permis de montrer l’extrême plasticité
et/ou élasticité du « Biyaïsme » dans le temps et l’espace politique
camerounais et international.
Dans un premier temps, une conception restrictive et basique consiste à
dire que « le Biyaïsme » est la gouvernance du président Biya au pouvoir
depuis 1982. En effet, le néologisme « Biyaïsme » a pour racine
étymologique BIYA, nom de l’actuel Président camerounais. Dans ce cas, «
le Biyaïsme » peut être compris comme une idéologie, une acquisition du
pouvoir, une conception du pouvoir, un exercice du pouvoir et une
gouvernance propres à Biya. Mais cette première approche,
quoiqu’importante parce que balistiquement centré sur l’Homme Biya, est
basique, simpliste et réductrice car si BIYA n’est pas né politiquement
et biologiquement en 1982, alors « le Biyaïsme », quoique lié à lui, va
aussi au-delà de lui dans le temps et l’espace politique camerounais et
extra camerounais. C’est un produit politique dérivé de la trajectoire
coloniale et postcoloniale de notre pays.
D’où une seconde compréhension du « Biyaïsme » comme un système
politique, une symbolique politique, une idéologie et un mode de
gouvernance, qui quoique lié à BIYA, n’est plus le propre de BIYA tout
seul mais à la fois une variable expliquée par le passé politique
camerounais d’avant 1982, et une variable explicative du profil
institutionnel, politique et social du pays depuis 1982. Il n’est donc
plus le fait d’un homme mais d’un système en action, c'est-à-dire des
hommes, des institutions, des pratiques, des interdépendances entre
eux, le passé et l’avenir. C’est un système qui se déploie par son
extrême plasticité dans l’espace et le temps au point où je vous
surprendrai en vous disant qu’Ahidjo est une variable explicative du «
Biyaïsme » et donc une condition antécédente à son existence. « Le
Biyaïsme » a de ce fait des paramètres endogènes, exogènes, historiques
et contemporains par rapport au pays.
Il faut aussi distinguer « le Biyaïsme formel » qui se décline de façon
déclamatoire à travers « Pour le libéralisme communautaire », du «
Biyaïsme effectif ou réel » dont les résultats sont en opposition de
phase avec « le Biyaïsme formel » : ce sont les faits dont traite
l’opération Epervier et qui font du « Biyaïsme » une médiocrité comme
ambition et une ambition comme médiocrité. Cependant, je n’aurai pas
épuisé ce à quoi renvoie « le Biyaïsme » en disant cela car, ainsi que
mon ouvrage le montre de bout en bout, « le Biyaïsme » c’est aussi une
singularité politique dans son déploiement contemporain, dans son
rapport au passé, au futur, à la mort, au corps, au sexe, à la
sexualité, aux biens matériels, à l’Etat, à la gouvernance, à la
sorcellerie, à Dieu, à la démocratie, aux sectes, au peuple, aux
intellectuels, à la justice et au savoir. Je vous invite à lire le livre
car il apprend sur « le Biyaïsme » de début à la fin sur tous ces
aspects connexes sans lesquels on ne peut bien saisir sa dynamique et
son essence profondes.
Si Paul Biya brigue un nouveau mandat en 2011 avec près de 30 ans au pouvoir. Que diriez vous de ceux qui affirment que sa volonté c'est de mourir au pouvoir ?
Le président du pays le plus puissant du monde a à
peine cinquante ans quand l’Afrique, continent à la population la plus
jeune de la terre, connaît des Robert Mugabe, Sassou Nguesso, Abdoulaye
Wade et Paul Biya dont l’âge n’est pas loin du double de celui de David
Cameron, premier ministre britannique âgé d’un peu plus de quarante
ans. Mon livre montre que de nombreux présidents africains très âgés
tombent dans une addiction au pouvoir d’autant plus forte qu’ils sont
vieux. Autrement dit, la lecture freudienne de la dictature que montre
mon livre puise dans la culture Bantou où l’état du vieillard est très
souvent comparé à celui d’un enfant parce les deux ont la même forme de
dépendance par rapport aux objets et aux autres. Autant votre bébé ne
peut avoir son bain que par l’aide de quelqu’un, et ne peut s’endormir
que si son jouet le plus aimé est à ses côtés, autant le vieillard
président ne se sent en sécurité qu’avec le pouvoir qu’il garde. Cette
addiction au pouvoir augmente avec l’âge parce que, d’après mon analyse,
le pouvoir devient le substitut aux fonctions phalliques déclinantes.
Ce qui permet à un vieux au pouvoir de continuer à donner des ordres aux
autres hommes et aux femmes, c’est le pouvoir et rien que lui, alors il
le garde comme un enfant sert son jouet quand il dort.
Cependant, si, comme le disent certains, la volonté de BIYA est de
mourir au pouvoir, il peut dormir tranquille car c’est un objectif qui
ne demande pas d’efforts particuliers, étant donné la finitude et la fin
assurées de toute vie humaine. Ceux qui disent qu’il veut mourir au
pouvoir donnent raison à mon analyse car la médiocrité politique
consiste à se concevoir comme fin de l’histoire alors que tout homme,
quels que soient sa fonction et son statut, est un trait d’union, un
moyen. Relisez « De la médiocrité à l’excellence », beau livre d’un
Ebénézer Njoh Mouelle encore au service de la pensé critique avant
d’être à celui de la dictature, vous verrez qu’être médiocre, c’est
exactement faire ce que BIYA fait au Cameroun depuis 1982. Ce ne serait
donc pas une surprise qu’un pouvoir médiocre aille jusqu’au bout de la
logique qui constitue son essence et sa raison de vivre ; celui qui veut
mourir au pouvoir y mourra sans faute et cela suffira à son histoire et
à sa gloire car il n’aura rien fait pour exister post mortem par des
œuvres non mortelles. Mais à défaut de mourir au pouvoir, Biya va mourir
président même s’il n’est plus au pouvoir car comme le dit le dicton, «
président une fois, président toujours ». Peut-être qu’en se pliant à
cette vérité objective, le prédisent peut aussi se libérer de la prison
doré dans laquelle le poussent ceux dont sa retraite signifie aussi leur
fin de carrière politique.
En outre, c’est vrai comme, le dit actuellement Jacques Fame Ndongo, que
« BIYA must go » n’est pas un programme politique, mais le « BIYA must
stay » dont il est le chantre n’en constitue pas un non plus. C’est même
largement plus nul encore que « Biya must go » car c’est le statu quo
et la négation de ce à quoi sert le pouvoir politique, c'est-à-dire, à
transformer le réel en bien et à donner du rêve par l’innovation et le
mouvement. Le peuple camerounais doit refuser ce qu’Etienne de la
Béotie, dans un texte ancien, appelât une SERVITUDE VOLONTAIRE. Devenir
un adepte farouche du « BIYA must stay » transforme l’élite camerounaise
au pouvoir en coresponsable de l’abus actuel de la fonction
présidentielle qui frappe leur leader et du non respect qui s’en suit.
Dès lors, cette élite camerounaise devient une incarnation de « la crise
civique » dont je parle car cette « crise civique » traduit aussi le
fait qu’on considère le pouvoir exécutif moins comme un bien collectif
que comme une propriété privée.
Vous voyez, dans notre pays, les médiocres ne sont pas toujours ceux
qu’on pense qu’ils sont et la médiocrité n’est pas toujours en
corrélation négative avec le nombre de diplômes accumulés : c’est une
autre caractéristique du « Biyaïsme ». Ceux qui publient les motions de
soutien à tour de bras alors que la problématique « Biya must go » prend
de l’ampleur à la fois sur le plan interne et externe, doivent mesurer
leur médiocrité à la distance du hiatus contradictoire entre leur quatre
tomes de « l’appel du peuple » et cette problématique devenue la
condition de la Renaissance dudit peuple.
Quels sont les défis qui attendent les Camerounais au cas où Paul Biya ne se présente pas à l'élection présidentielle 2011 et comment les conceptualisez-vous ?
Les 30 propositions que je fais dans ce livre sont inspirées de ces défis. Je peux entre autres citer :
a) La sortie de ce que j’appelle « la politique buissonnière » qui
consiste à voir des leaders qui parlent du peuple camerounais uniquement
à l’approche d’une échéance électorale et à entrer dans le buisson en
temps ordinaires où ce peuple a pourtant toujours des problèmes mais ne
voit plus personne à ses côtés ;
b) La sortie de ce que j’appelle « la politique du perroquet » qui
consiste à être un adepte de la pensée unique du pouvoir en place en
répétant, tel un perroquet, ce que pensent et disent les possédants et
les forts ;
c) La sortie de ce que j’appelle « le règne de la loi du plus fort »
comme étant ce qui fait et défait la règle politico-sociale camerounaise
en lieu et place des aspirations citoyennes et de notre Constitution ;
d) La sortie de ce que j’appelle « l’inflation de la révision
constitutionnelle », stratégie de coup d’Etat juridique au service de la
médiocrité des objectifs d’un régime ;
e) La sortie de ce que j’appelle « la satisfaction de la libido
accumulative » comme objectif des actions des citoyens et du pouvoir de
tout un pays atteints par contamination d’une médiocrité élitiste et
d’une médiocrité populaire cumulatives ;
f) La sortie de ce que j’appelle « la (dé)civilisation des mœurs » où
nous mène justement le besoin morbide de satisfaction de nos purs
instincts animaux ;
g) La sortie de ce que j’appelle « des rapports de collaboration servile
au service de la Françafrique » pour « des rapports de coopération
d’Etat à Etat souverain » ;
h) La sortie de ce que j’appelle « une gouvernance d’asymétrie des
droits et des devoirs entre gouvernants et gouvernés » pour une
gouvernance de symétrie entre les deux.
i) La sortie de ce que j’appelle « l’irresponsabilité pénale du chef de
l’Etat camerounais ». Il faut protéger les populations camerounaises et
le pays des dérives du pouvoir irresponsable de rien mais ayant tous les
droits.
j) La mobilisation des potentiels internes et externes du pays pour son développement sur tous les plans.
k) La sortie de ce que j’appelle, à la suite de Charles Ateba Eyene, «
le paradigme du pays organisateur ». Il est en contradiction avec la
citoyenneté camerounaise et les exigences de l’âge global actuel.
l) Adosser le prochain régime camerounais sur la volonté du peuple afin de le rendre légitime et fort ;
m) La sortie de ce que j’appelle « les angoisses concurrentes ». Cela se
fait par des politiques justes, équitables et solidaires. Ces «
angoisses concurrentes » peuvent mener le pays dans l’abîme de la
violence si elles entrent en télescopage. Biya va donc laisser une
sacrée « patate chaude » à son successeur. Il se doit d’être juste,
ferme et républicain s’il veut réussir.
n) La révision de la Constitution actuelle pour y introduire une
limitation de mandats présidentiels à maximum deux quinquennats, une
élection présidentielle à deux tours et une commission électorale
indépendante.
o) Le retour aux comportements d’excellence. Il faut passer, en
paraphrasant Ebénézer Njoh Mouelle, « de la médiocrité à l’excellence »
dans tous les domaines etc.
Comment procéder pour commander votre ouvrage ? Est t-il déjà disponible au Cameroun ?
Il suffit de commander le livre aux éditions de l’Harmattan par n’importe qu’elle bonne librairie où qu’on se trouve. L’Harmattan a aussi des représentations dans presque toutes les grandes villes africaines. Le livre sera donc disponible partout et pour tout le monde dès qu’il est commandé. Je vais cependant faire des conférences dédicaces où certains pourront l’acquérir directement dans la salle. Mais c’est plus sûr de le commander soi-même. Ceux qui veulent le commander en plusieurs exemplaires dans le cadre d’une association peuvent prendre contact avec moi et bénéficier du contrat spécial qui régit ce type de commande.
Avez-vous eu des réactions de lecteurs africains (résidant en Afrique ou en dehors d'Afrique) au sujet de votre livre ?
C’est encore trop tôt car les commandes du livre faites en ce moment aboutiront à des livraisons en début septembre suivant la situation des uns et des autres. J’ai déjà cependant eu plusieurs félicitations du Cameroun et pas toujours du côté que vous pensez, de Belgique, de Suisse, du Canada, des USA et même de l’Allemagne. Laissons aux uns et aux autres le temps de lire et de réagir. Je souhaite que ceux qui ne sont pas d’accord avec moi soient plus nombreux à le lire que ceux qui pensent comme moi. C’est dans ce cas que le débat sera riche, vivant et enrichissant.
Retournez-vous souvent au Cameroun ?
Souvent non parce que je suis fort occupé mais parfois oui puisque toute ma grande famille africaine s’y trouve. C’est le pays qui m’a vu naître, où sont enterrés mes ancêtres et me verra certainement aussi mourir et enterré si Dieu le veut. Je n’ai rien contre le Cameroun et les Camerounais, c’est ce que nos dirigeants en font qui est un vrai crime des temps modernes. J’y vais prochainement pour la promotion de mon livre. Une fois ceci fait, j’irai au village, l’endroit le plus agréable où j’aime rester car mon feu père, quoique citadin parce que médecin, m’a inculqué l’habitude de passer mes vacances scolaires au village. D’où cet amour des zones rurales où, ces derniers temps, j’ai peu vu d’hommes heureux sous « le Biyaïsme », peut-être point, mais beaucoup cheminé avec des cœurs contents battant dans des poitrines d’hommes, de femmes et d’enfants vivant avec beaucoup de courage, d’honneur et de dignité avec très peu de biens matériels. D’où l’occasion, chaque fois que j’y suis, d’interroger la modernité et la modernisation dans la mesure où c’est en ville et par des « modernes » que les ressources du pays sont détournées. Ces détournements affectent négativement la qualité de vie de cette « Afrique de villages » dont parle Jean-Marc Ela comme colonne vertébrale de notre continent et de son développement.
Une question plus personnelle. Quel sera le thème de votre prochain ouvrage ?
Je vous laisse la surprise de les découvrir une fois sortis car ça ne sert rien de beaucoup parler pour après ne réaliser aucun résultat concret comme « le Biyaïsme » qui est aussi une gouvernance du verbe pour le verbe et rien d’autre. Je peux juste vous dire que je suis sur trois chantiers en ce moment dont deux concernent l’Afrique et l’autre l’économie mondiale en crise.
Pour la fin, comment économiste de votre état, vous avez la capacité de faire des analyses qui sortent du champ purement économique ?
Je vous réponds par cette phrase de John Stuart Mill, un des pères fondateurs de l’économie : « Il serait un bien mauvais économiste, celui qui ne serait que cela ».