Le 6 novembre 1982 : les contours épistémologiques d’une date

Amougou Thierry:Camer.beUne réflexion sur la portée sociopolitique de l’année 1982 ne va pas sans problèmes méthodologiques liés à l’approche du temps, dimension essentielle de la pensée.Ce constat renvoie à trois acceptions différentes de la notion de temps : en tant qu’expérience de la durée, en tant qu’instrument de repérage, en tant que conscience du changement et en tant qu’élément structurant d’une société. En conséquence, le 6 novembre 1982 est à la fois un instrument de repérage spatio-temporelle (temps calendaire), une conscience du changement de politique et d’équipe à la tête du Cameroun (arrivée de Biya et du Renouveau National), l’expérience d’une durée au pouvoir (1982-2012) et un élément structurant (temps endogène à la dynamique politique camerounaise). Cette remarque n’est pas anodine dans la mesure où les enchaînements de l’analyse et les conclusions qui en découlent varient selon qu’on adopte une approche du temps plutôt qu’une autre, et qu’on les adopte de façon indépendantes ou interdépendantes.

La trajectoire sociopolitique du Cameroun postcolonial ne pouvant se comprendre sans sa dynamique coloniale, comprendre la portée des ruptures qui ont eu lieu le 6 novembre 1982, nécessite de les placer dans un contexte historique plus large dont au moins l’Etat-colonial et le régime Ahidjo sont les points de départ. Je dis au moins parce que assassinats comme ceux de Um Nyobè et Félix Moumié sont aussi explicables par des dynamiques exogènes issus des effets collatéraux de la Guerre-Froide.

1982-2012, le trait d’union entre ces deux dates n’a peut-être pas la signification ordinaire qu’on lui donne. Il peut s’agir d’un anniversaire que célèbrent « les intégristes » du Renouveau National. Ici le temps prend alors le sens de moment annuel répétitif dans un cycle événementiel sociopolitique. Il ne s’agit pourtant pas de cette célébration pour l’analyse. Il ne s’agit même pas de marquer une distance ou une rupture radicale entre ces deux dates comme si « les années-Biya » n’avaient rien à avoir avec « les années-coloniales » et « les années Ahidjo ». A titre d’exemple, Ahidjo est bien un produit colonial, Biya un produit du « régime-Ahidjo » et le RDPC un rejeton de l’UC puis de l’UNC. Qu’est donc dans ce cas le Renouveau National si ce n’est qu’une simple articulation contemporaine du système d’interdépendances établies entre les relais locaux et les puissances coloniales ?

Ce dont il s’agit plutôt, contrairement aux festivités d’anniversaire, c’est de retrouver dans les deux dates non seulement les liens entre l’avant 1982 et 1982, mais aussi entre 1982 et l’après 1982. Autrement dit, c’est l’état sociopolitique et économique du pays et la tension compartive à l’intérieur de ces périodes et entre elles qui importent. Il apparaît ainsi que 1982 n’a pas construit une ligne Maginot aux dynamiques coloniales que le régime-Ahidjo a lui-même hérité de l’Etat-colonial. 1982 ne devient ainsi pas seulement un repère historique ou un simple moment, mais une tension permanente de chaque instant des souffrances sociales que vivent des Camerounais qui vont d’un régime régressif à un autre depuis les « indépendances ». C’est cette tension existentielle née du décalage abyssal entre les promesses faites par l’indépendance et la néo colonisation endogène orchestrée par les élites locales, qui me semble, en effet, caractériser cette période, d’une façon non pas fermée mais bien encore ouverte, et non seulement historiques mais aussi philosophique et surtout politique. Il s’agit de lire le temps dans toutes les dimensions sus mentionnées, et d’interroger le désenchantement de la politique que nos dirigeants érigent en modèle alors que celle-ci peut être noble dans son sens d’action au service de l’intérêt général. Il s’agit de signaler que l’impossible rêve rêvé par les colons est le même qu’a rêvé Ahidjo et que rêve actuellement Biya : réaliser la justice sociale sans justice politique. Les deux sont indissociables et vont de pair chers présidents africains

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, UCL, Belgique


31/10/2012
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