Le garde des sceaux semble résolument engagé dans la voie de la caporalisation de l’institution judiciaire.
L’institution judiciaire camerounaise se meurt. La déperdition du
troisième pouvoir républicain culmine au moment où trône à sa tête ce
magistrat de hors échelle dont la mission devrait se ramener à redorer
le blason déjà terni d’une justice camerounaise que l’opération épervier
a davantage contribué à décrédibiliser. Au lieu de cela, l’actuel garde
des sceaux a mis un point d’honneur à donner un coup d’accélérateur
dans la conduite des procédures pendantes devant les juridictions de
jugement dans le cadre de «l’assainissement des mœurs publiques» au
Cameroun. Une opération que Laurent Esso pilotait déjà à distance depuis
son perchoir influent de secrétaire général de la présidence de la
République.
A la faveur de son retour en décembre 2011 au poste de ministre de la Justice déjà brièvement occupé de 1996 à 1997, avec plus de zèle (en raison de la proximité physique), M. Esso a pris le relais d’un Amadou Ali déjà controversé. Non comme «the right man at the right place» comme son profil laissait présager, mais comme un missionnaire soucieux d’imprimer rapidement sa marque de fabrique. Au point de s’en mêler les pédales en confondant vitesse et précipitation. Comme s’il s’était donné pour mission de mettre la justice et les juges au pas. Si l’on en juge par ses faits d’armes, relativement aux différents verdicts rendus depuis lors. Le 19 juin 2012, c’est le tribunal de première instance d’Ekounou qui annonçait la couleur en donnant le ton dans l’affaire Abah Abah.
L’ex-Minefi, livré points et pieds liés à la vindicte du juge Evine Ba, nouvellement affecté, avait écopé de 06 ans de prison ferme, au terme de 12 heures dé débats. En l’absence des avocats. Quelques semaines plus tôt, dans le cadre de l’affaire Atangana Mebara qui venait d’être acquitté par le Tgi du Mfoundi et dont la libération avait été ordonnée par le président Schlick, les conseils de l’ex-Sgpr indignés voyaient en le refus de s’exécuter du parquet et le maintien en détention de leur client via une nouvelle inculpation en date du 08 mai 2012, la main invisible de la Chancellerie. Il fallait condamner à tout prix Atangana Mebara.
Discours incantatoire
Une assertion qui se confirmera lorsque l’opinion apprenait
quelques jours plus tard de l’hebdomadaire international Jeune Afrique
qu’une demande de s’expliquer sur le verdict d’acquittement émanée de la
présidence de la république avait été servie au juge Schlick. Et c’est
fort logiquement que l’ex-Sgpr est rattrapé, jugé et condamné en un mois
en appel. C’est l’ex-Sgpr qui réagit le premier devant ce qu’il
considérait comme une condamnation programmée et à propos de laquelle il
avait pris soin de mettre en condition ses proches. A côté de ces
épiphénomènes qui cependant accréditent la thèse d’une justice inféodée
rendue par des juges aux ordres de l’exécutif, c’est les dossiers Edzoa
Titus et Olanguena qui ont fini par enfoncer le clou et apporter la
preuve de cette prise en otage de l’institution judiciaire par le Garde
des Sceaux.
Le 18 juillet 2012, jour de verdict dans l’affaire Edzoa Titus, prenant tout le monde de cours, y compris les deux autres membres de la collégialité, le Garde des Sceaux décidait de faire éclater la collégialité en l’amputant d’un de ses membres. Le délibéré qui sera rabattu pour la recomposition d’une nouvelle collégialité sera vidé plus de deux mois après. Par une décision de condamnation pris à la majorité des deux nouveaux juges nouvellement affectés pour les besoins de la cause. Une fois de plus, les conseils des mis en cause pointaient du doigt les intrusions d’un Garde des Sceaux pilotant à distance les procédures et dictant aux juges les verdicts à rendre.
En empêchant les juges de rendre le verdict dans le dossier Olanguena au cours des audiences des 16 et 17 octobre derniers, le Minjustice, qui a occupé les postes de ministre de la défense en 2001 et des affaires étrangères en 2004 et qui sen prend nommément Me Mong, a définitivement tombé le masque. En intimant l’ordre aux représentants du ministère public de boycotter non seulement l’audience, mais aussi de ne pas exécuter l’ordre d’extraction des accusés signé du tribunal. Ya-t-il meilleur moyen de museler les juges et de bâillonner le fonctionnement de l’institution judiciaire? Ironie de l’histoire, c’est ce flagrant et grossier déni de justice que dénonçait mardi dernier le Garde des Sceaux lors de son allocution à l’audience inaugurale du Tribunal criminel spécial (Tcs).
L’on a tôt fait de comprendre que ce discours officiel de celui qui fut un éphémère ministre de la Santé publique en 2000, est une réponse aux interpellations à peine voilées des chancelleries occidentales, très à cheval sur le non respect des principes qui régissent l’Etat de droit. Dans une sorte de tir groupé, c’est l’ambassadeur des Etats-Unis, Robert Jackson à la suite de son homologue français Bruno Gain, qui, à l’occasion de la clôture du programme de renforcement de l’engagement civique le 10 octobre 2012, à Yaoundé, embouchait les trompettes des critiques contre la justice camerounaise. Il s’élevait, notamment contre «un jugement de 17 heures» rendu dans l’affaire Marafa le 22 septembre 2012, en même qu’il faisait état des critiques contre le processus de lutte contre la corruption selon lesquelles «le pouvoir exécutif intervient, et donc affaiblit encore le système judiciaire camerounais».
Un pouvoir judiciaire qui, relevait le diplomate américain a, «à plusieurs reprises reporté des procès ou des décisions » ; des mesures qui, concluait Robert Jackson, « entravent les investissements étrangers et ternissent l’image du Cameroun ». En bloquant la décision des juges cette semaine dans l’affaire, Olanguena comme il l’a fait dans le dossier Edzoa Titus, celui qui fut annoncé pour mort par la presse camerounaise le 24 novembre 2010, semble n’avoir cure des critiques des Chancelleries occidentales, résolument engagé qu’il est dans la voie de la caporalisation d’une institution judiciaire plus que jamais otage de l’Exécutif.