Laurent Esso: Le justicier au faîte de l’épuration
YAOUNDÉ - 01 Juin 2012
© FÉLIX C. EBOLÉ BOLA | Mutations
Ce qui n'était qu'un banal arrêté ministériel a fini par s'avérer comme entourloupe juridique. Voici une semaine, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, le bien nommé Laurent Esso, publie une décision portant création de «prisons secondaires» à Yaoundé VIe et Douala 1er. Sur le coup, les naïfs croient effectivement à une érection physique future de nouveaux pénitenciers dans les métropoles politique et économique du pays. Un autre arrêté, pris dans la foulée, nomme Médard Koalang Bomotoliga et Dieudonné Engonga Mintsang respectivement, régisseurs de ces centres de détention cumulativement avec ces mêmes fonctions à Kondengui et New-Bell.
Ceux qui en étaient encore à supputer sur la localisation des nouvelles créations seront servis en fin de journée. Entre 19h et 20h30 c'est-à-dire en dehors des heures ouvrables, les nommés Marafa Hamidou Yaya, Polycarpe Abah Abah et Yves Michel Fotso, sous mandat de dépôt pour malversations financières présumées, sont brutalement sortis de leurs cellules de la prison centrale de Yaoundé pour la concession abritant le secrétariat d'Etat à la Défense (Sed) en charge de la gendarmerie. Ici, ils retrouvent des cellules ayant jadis servi au service central des recherches judiciaires, fraîchement badigeonnées de peinture. Des goulags 5 étoiles sont nés.
Les deux arrêtés ministériels et la déportation des trois ex-dignitaires du régime ont donc un lien étroit. Les «prisons secondaires» peuvent également, désormais, être situées sur une carte. A Douala, Alphonse Siyam Siwé, autre élite qui vit sa disgrâce dans un cachot depuis 2006, est conservé à la légion de gendarmerie du Littoral. Ce sont des forteresses gardées par des forces spéciales lourdement armées. Où les visites sont étroitement encadrées. Les geôliers de ces anciens dirigeants du pays doivent avoir fait leurs humanités à Gantanamo, la tristement célèbre prison américaine de Cuba qui continue d'abriter des terroristes: les conditions de détention y sont spartiates et particulièrement restrictives.
Soutes
On se permet de rappeler que MM. Abah Abah, Fotso, Marafa et Siyam sont des prévenus de droit commun jouissant de la présomption d'innocence. Aucune disposition légale ne le prévoit, mais les voilà embastillés dans des casernes militaires avec, autour d'eux on imagine, des soutes à munitions pouvant se transformer en brasiers mortellement dévastateurs. L'opération dite d'assainissement des mœurs publiques a pris des contours autres que juridiques.
A la manœuvre de cette nouvelle avancée du Cameroun dans le respect des droits de l'Homme, et du droit tout court, le magistrat hors hiérarchie Laurent Esso. Ce super-régisseur des nouvelles prisons politiques suscita pourtant beaucoup d'espoir, lors de son retour au ministère de la Justice, le 9 décembre dernier. On se mit alors à rêver d'un semblant de légalité de la fameuse «Opération épervier», d'un minimum d'humanisation carcérale. On lui prêta l'ambition de déterrer de vieux dossiers liés notamment au retour à l'éthique judiciaire, ou encore aux huissiers de justice en attente de charge depuis des décennies.
Mais la méthode Esso, faite de silencieux mystères, est aujourd'hui plus que difficilement décryptable. Certains le voient en justicier d'un système en état de déliquescence avancée, d'autres en matamore habité par une folle revanche contre d'autres prétendus concurrents au trône, d'autres encore en monstre froid n'écoutant que la volonté de son maître. Peut-être le grand taciturne est-il tout cela à la fois. L'intéressé lui-même semble ne rien tenter pour se débarrasser de cette image de croque-mitaine au verbe chiche, tant sa carapace est impénétrable même pour ceux qui se réclament de son entourage.
Insensible, Laurent Esso, né un certain 10 août 1942, l'est même vis-à-vis de ses serviteurs. Le 3 décembre 2006, l'austère rentre de Douala où il vient de participer à une édition du Ngondo. Dans un virage, un motard chargé d'ouvrir la voie à l'alors ministre d'Etat, secrétaire général de la présidence de la République, entre en collision avec un véhicule 4x4 roulant en sens inverse. Le pauvre soldat, les jambes broyées, est secouru par d'autres usagers de la route. Pendant ces moments de grande solidarité, le proche collaborateur de Paul Biya, impassible, redresse la cravate et s'impatiente dans sa limousine.
Laurent Esso s'en ira vers Yaoundé le cœur en paix, pendant que les secours transportent le pauvre accidenté qui mourra plus tard à l'hôpital. On le retrouvera plus tard aux côtés du prince, qui préside ce dimanche-là la finale de la Coupe du Cameroun de football. C'est parfois à ces petits gestes d'élégance et de charité vis-à-vis des plus faibles qu'on reconnaît les grands hommes.
© FÉLIX C. EBOLÉ BOLA | Mutations
Le «Cœur du pays» semble en mission commandée pour écarter les «dauphins».
Ce qui n'était qu'un banal arrêté ministériel a fini par s'avérer comme entourloupe juridique. Voici une semaine, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, le bien nommé Laurent Esso, publie une décision portant création de «prisons secondaires» à Yaoundé VIe et Douala 1er. Sur le coup, les naïfs croient effectivement à une érection physique future de nouveaux pénitenciers dans les métropoles politique et économique du pays. Un autre arrêté, pris dans la foulée, nomme Médard Koalang Bomotoliga et Dieudonné Engonga Mintsang respectivement, régisseurs de ces centres de détention cumulativement avec ces mêmes fonctions à Kondengui et New-Bell.
Ceux qui en étaient encore à supputer sur la localisation des nouvelles créations seront servis en fin de journée. Entre 19h et 20h30 c'est-à-dire en dehors des heures ouvrables, les nommés Marafa Hamidou Yaya, Polycarpe Abah Abah et Yves Michel Fotso, sous mandat de dépôt pour malversations financières présumées, sont brutalement sortis de leurs cellules de la prison centrale de Yaoundé pour la concession abritant le secrétariat d'Etat à la Défense (Sed) en charge de la gendarmerie. Ici, ils retrouvent des cellules ayant jadis servi au service central des recherches judiciaires, fraîchement badigeonnées de peinture. Des goulags 5 étoiles sont nés.
Les deux arrêtés ministériels et la déportation des trois ex-dignitaires du régime ont donc un lien étroit. Les «prisons secondaires» peuvent également, désormais, être situées sur une carte. A Douala, Alphonse Siyam Siwé, autre élite qui vit sa disgrâce dans un cachot depuis 2006, est conservé à la légion de gendarmerie du Littoral. Ce sont des forteresses gardées par des forces spéciales lourdement armées. Où les visites sont étroitement encadrées. Les geôliers de ces anciens dirigeants du pays doivent avoir fait leurs humanités à Gantanamo, la tristement célèbre prison américaine de Cuba qui continue d'abriter des terroristes: les conditions de détention y sont spartiates et particulièrement restrictives.
Soutes
On se permet de rappeler que MM. Abah Abah, Fotso, Marafa et Siyam sont des prévenus de droit commun jouissant de la présomption d'innocence. Aucune disposition légale ne le prévoit, mais les voilà embastillés dans des casernes militaires avec, autour d'eux on imagine, des soutes à munitions pouvant se transformer en brasiers mortellement dévastateurs. L'opération dite d'assainissement des mœurs publiques a pris des contours autres que juridiques.
A la manœuvre de cette nouvelle avancée du Cameroun dans le respect des droits de l'Homme, et du droit tout court, le magistrat hors hiérarchie Laurent Esso. Ce super-régisseur des nouvelles prisons politiques suscita pourtant beaucoup d'espoir, lors de son retour au ministère de la Justice, le 9 décembre dernier. On se mit alors à rêver d'un semblant de légalité de la fameuse «Opération épervier», d'un minimum d'humanisation carcérale. On lui prêta l'ambition de déterrer de vieux dossiers liés notamment au retour à l'éthique judiciaire, ou encore aux huissiers de justice en attente de charge depuis des décennies.
Mais la méthode Esso, faite de silencieux mystères, est aujourd'hui plus que difficilement décryptable. Certains le voient en justicier d'un système en état de déliquescence avancée, d'autres en matamore habité par une folle revanche contre d'autres prétendus concurrents au trône, d'autres encore en monstre froid n'écoutant que la volonté de son maître. Peut-être le grand taciturne est-il tout cela à la fois. L'intéressé lui-même semble ne rien tenter pour se débarrasser de cette image de croque-mitaine au verbe chiche, tant sa carapace est impénétrable même pour ceux qui se réclament de son entourage.
Insensible, Laurent Esso, né un certain 10 août 1942, l'est même vis-à-vis de ses serviteurs. Le 3 décembre 2006, l'austère rentre de Douala où il vient de participer à une édition du Ngondo. Dans un virage, un motard chargé d'ouvrir la voie à l'alors ministre d'Etat, secrétaire général de la présidence de la République, entre en collision avec un véhicule 4x4 roulant en sens inverse. Le pauvre soldat, les jambes broyées, est secouru par d'autres usagers de la route. Pendant ces moments de grande solidarité, le proche collaborateur de Paul Biya, impassible, redresse la cravate et s'impatiente dans sa limousine.
Laurent Esso s'en ira vers Yaoundé le cœur en paix, pendant que les secours transportent le pauvre accidenté qui mourra plus tard à l'hôpital. On le retrouvera plus tard aux côtés du prince, qui préside ce dimanche-là la finale de la Coupe du Cameroun de football. C'est parfois à ces petits gestes d'élégance et de charité vis-à-vis des plus faibles qu'on reconnaît les grands hommes.