L’opposition toujours insatisfaite
Mercredi, 15 Février 2012 10:45
Boris Bertolt
Réforme du système électoral. Après la décision du
Conseil électoral d’Elecam d’organiser une refonte des listes
électorales, les partis formulent de nouvelles exigences pour
l’amélioration du processus électoral.
Le 12 février dernier, dans ce qu’ils ont appelé la «Déclaration
citoyenne de Douala pour un organe électoral véritablement indépendant»,
l’Union des populations du Cameroun (Upc),
l’Union démocratique du Cameroun (Udc), le Manidem et plusieurs
associations de la société civile ont formulé des exigences au moins en
trois points : « La mise sur pied sans délai d’un organe véritablement
indépendant chargé de conduire l’intégralité du processus électoral (
de l’inscription des électeurs jusqu’à la publication des résultats
provisoires), un code électoral juste et unique assorti d’un calendrier
précis et un nouveau découpage électoral plus juste et conforme aux
statistiques démographiques officielles ». A cet effet, un comité de
suivi chargé du développement de cette dynamique a été mis sur pied.
L’ancien candidat à l’élection présidentielle, Anicet Ekané, ancien
président du Manidem, adhère à cette initiative et pense qu’une
commission nationale indépendante doit être créée : « Le président du
Conseil électoral, Samuel Fonkam Azu’u, a, lui-même, condamné Elecam.
Puisqu’il a indiqué que la décision d’une refonte a été décidée par le
président de la République », affirme-t-il.
Réforme radicale
Le Social Democratic Front (Sdf) est sur la même ligne que le Manidem.
Le député Jean Michel Nintcheu pense que « les membres d’Elecam ne sont
pas neutres ». Il refuse de parler de dissolution, mais demande une
recomposition d’Elecam. Notamment au niveau de la direction générale qui
est « la cheville ouvrière ». A la dernière élection présidentielle, «
les membres d’Elecam ont agi comme des militants du Rassemblement
démocratique du peuple camerounais (Rdpc », déplore Jean-Michel
Nintcheu.
Au-delà d’Elecam, l’opposition formule d’autres revendications. Joseph
Désiré Som I, secrétaire général du Cameroon People’s Party, en évoque
ici quelques unes : « Il faut accroître la pression sur Elecam et sur
le gouvernement, afin d’obtenir la réforme radicale et complète du
système électoral ». Il estime qu’il existe deux niveaux de
revendication : la reforme du système électoral et les modalités de la
concertation sur le processus électoral.
Sur la question du système électoral, Joseph Désiré Som I énumère : «
L’inscription biométrique, le code électoral unique, le bulletin de vote
unique, un calendrier électoral pour toutes les élections, un découpage
électoral clair et connu à l’avance, le vote pour tous les Camerounais
et Camerounaises ayant 18 ans ou plus, les aménagements spécifiques
permettant aux Camerounais/es vivant avec un handicap de participer
pleinement aux élections ».
Mais Joseph Désiré Som I pense que pour y arriver, il est indispensable
de mettre en place un cadre de concertation entre Elecam, le
gouvernement et les différentes parties prenantes (les partis
politiques, les organisations de la société civile, les leaders
religieux et les leaders d’opinion). « Nous allons discuter du
processus global, des points clés de la réforme électorale, du
calendrier global des élections législatives et municipales à venir, du
calendrier spécifique pour la mise en œuvre de la réforme du système
électoral entier, de la participation continue de toutes les parties
prenantes au processus électoral dans son ensemble », souligne Joseph
Désiré Som I.
Candidatures indépendantes
Au lendemain de l’élection présidentielle, John Fru Ndi, Bernard Achuo
Muna, Edith Kahbang Walla, Adamou Ndam Njoya, Albert Dzongang, Paul Ayah
Abine et Jean de Dieu Momo, dans un document qui n’a pas été rendu
public, formulaient d’autres propositions. A savoir : « L’instauration,
pour ce qui est de l’élection présidentielle, d’un scrutin majoritaire à
deux tours et la limitation du mandat présidentiel à 5 ans renouvelable
une fois en vue d’assurer l’alternance à la tête de l’Etat et favoriser
la participation de la majorité des citoyens à la chose politique ; la
délivrance immédiate de la carte d’électeur au moment de l’inscription
sur les listes électorales et l’informatisation du fichier électoral ».
Et en bonne place dans ce chapelet de revendications, l’admission des
candidatures indépendantes pour toutes les élections au Cameroun.
Boris Bertolt
Les revendications de l’opposition
1- Dissolution d’Elecam.
2- Un code électoral unique.
3- Un nouveau découpage électoral.
4- L’inscription biométrique.
5- Un calendrier électoral pour toutes les élections.
6- Le vote à 18 ans.
7- Scrutin majoritaire à deux tours à la présidentielle.
8- Délivrance de la carte d’électeur au moment de l’inscription.
9- L’admission des candidatures indépendantes.
10- L’exclusion totale et sans ambigüité du Minatd du processus électoral.
11- La dotation d’Elecam d’une autonomie financière effective.
12- La mise en place des dispositions précises pour interdire
l’engagement des fonctionnaires, des responsables publics et parapublics
dans les campagnes électorales.
13- La participation effective de la diaspora camerounaise aux échéances électorales.
14- La nomination dans les meilleurs délais de ces nouveaux membres du conseil électoral et de la Direction générale d’Elecam.
« Un code électoral nouveau »
Hilaire Kamga. L’expert en questions électorales analyse les revendications de l’opposition.
Quels amendements devraient être apportés au système électoral?
D’emblée, je dois dire qu’aucun amendement, juridiquement parlant,
n’est recevable par rapport à ce qui tient lieu de lois électorales
actuelles. Il faut simplement doter le Cameroun d’un véritable Code
électoral nouveau. On ne peut pas continuer à rafistoler nos lois
électorales comme le manteau d’Arlequin.
Au niveau institutionnel, il est impératif de revoir l’organe de
gestion des élections, moins en terme de personnes à nommer (ce n’est
pas la priorité), mais davantage en termes de réforme de la loi créant
Elecam, afin d’en extirper le dol qui consiste à faire croire que c’est
le conseil électoral qui organise les élections alors que tous les
pouvoirs y relatifs sont concentrés entre les mains du seul et tout
puissant directeur général des élections d’Elecam qui dispose d’un droit
de veto de facto sur les réunions du Conseil électoral. Les acteurs
peuvent mettre sur la table cette escroquerie politique incarnée par la
Direction générale des élections (Dge) d’Elecam, et exiger d’une part la
reforme de la loi de 2006 afin de permettre au Dge de remplir les même
conditions d’indépendance et de neutralité exigées aux membres du
Conseil électoral, et d’autre part, la nomination après un processus de
consultation crédible, d’un directeur général des Elections apte à
produire des élections transparentes. Car il faut toujours garder à
l’esprit le fait que le Conseil électoral d’Elecam n’a aucun pouvoir en
matière d’organisation des élections au Cameroun. La loi a confié à cet
organe les missions jadis dévolues à l’Onel encore que le Dr Fonkam et
son équipe se refusent de se saisir de la plénitude de ces pouvoirs-là.
Propos recueillis
par B. B.
“Des stratégies pour apporter des troubles”
Pascal Messanga Nyamding. Pour ce membre titulaire du Comité central du Rdpc, l’opposition aurait des intentions malveillantes et dangereuses.
Les leaders de l’opposition font à présent d’autres
revendications, dont l’introduction des données biométriques dans les
listes électorales. Qu’en pensez-vous ?
Je tiens à préciser que je réponds sous ma double casquette de
politologue, enseignant permanent à l’Iric, et de membre titulaire du
Comité central du Rdpc. Du point de vue analytique, on peut dire que
c’est la nouvelle pression de l’opposition. L’opposition a demandé la
refonte, elle l’a obtenue. Maintenant, elle voudrait l’insertion des
données biométriques dans les listes électorales et les cartes
d’électeur. Personnellement, l’approche biométrique ne me gène pas.
Qu’en est-il de l’instauration d’une élection présidentielle à deux tours ?
Pour moi, l’instauration d’une élection présidentielle à deux tours est
un choix qui renforce le tribalisme. Je le dis en tant qu’universitaire
et non en tant qu’homme politique. Nous sommes un pays pluriethnique.
Si on a une élection à deux tours, on aura les ethnies qui se regroupent
au premier tour, puis la négociation entre les ethnies au deuxième
tour. Et on n’aura finalement pas de programmes politiques décisifs,
comme le disait d’ailleurs souvent Maurice Duverger. L’élection à deux
tours est bien, mais c’est pour les pays occidentaux, parce que là-bas,
ils n’ont pas notre réalité sociologique.
Que pensez-vous de la prise en charge des scrutateurs de tous les partis politiques par Elecam, pour un minimum d’équité?
Nous avons à peu près 300 partis politiques et à peu près 25.000
bureaux de vote. Si les 300 partis politiques se présentent aux
élections et mandatent chacun 25.000 scrutateurs, je ne sais pas où
Elecam va prendre des ressources. Que les partis qui s’engagent aux
élections sachent en conséquence qu’il faut un poids pour aller aux
élections.
Je pense qu’il s’agit là de démonstration de force politique. Que
chaque parti politique sache que, pour aller à une élection, il faut
avoir au moins 25.000 personnes derrière soi, afin qu’il y ait au moins
un scrutateur par bureau de vote. C’est ça la force des grands partis.
On ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre : c’est tuer la
démocratie et affaiblir l’Etat. Elecam prendra la décision qu’il voudra,
mais du point de vue analytique, je m’oppose à la prise en charge des
scrutateurs par Elecam. Les partis politiques doivent eux-mêmes prendre
en charge leurs scrutateurs, sinon, ça va devenir anarchique et tout le
monde voudra aller aux élections.
Les partis de l’opposition affirment que les revendications
formulées visent à doter le Cameroun d’un système électoral
démocratique…
Que les partis s’organisent, parce que derrière certaines
revendications, moi, je vois un moyen de contestation du scrutin et même
des stratégies pour apporter des troubles dans le pays. Il faut qu’on
soit vigilants, parce qu’il y a des pêcheurs en eaux troubles qui
veulent perturber le Cameroun, au regard des évènements qui se sont
passés en Libye, en Tunisie, en Egypte, et même en Côte d’Ivoire.
Certains savent qu’ils ne peuvent pas accéder au pouvoir par les urnes,
maintenant, ils recherchent toutes sortes de subterfuges pour perturber
la paix sociale, alors que nous avons, aujourd’hui, un seul objectif
commun : sortir le Cameroun du chômage, projeter le Cameroun vers
l’émergence. Pour atteindre cet objectif, il faut qu’on garde cette
stabilité. Je suis persuadé qu’il y a toute une organisation pour qu’il
y ait des troubles au Cameroun. Il faut laisser Elecam faire son
travail. Aujourd’hui, les consultations sont ouvertes, le dialogue
social est ouvert au Cameroun, c’est très bien pour notre pays.
Propos recueillis par Anne Mireille Nzouankeu
Votre avis : Quelle est la pertinence de vos revendications visant à reformer le système électoral ?
« Pas de tricherie » : Pierre Abanda Kpama, président du Manidem
Ce qui caractérise les régimes démocratiques, c’est la possibilité qui
est donnée au peuple souverain de choisir, à intervalles de temps
réguliers, ses représentants dans les institutions, de manière
transparente, juste et donc crédible. C’est cela le processus électoral
dit démocratique. Quand le choix est fait de cette manière-là, alors les
différents élus sont légitimes, c’est-à-dire investis de l’onction du
peuple souverain. En d’autres termes, le peuple les reconnaît comme ses
authentiques représentants et est donc prêt à suivre les politiques qui
sont décidées et menées par ces représentants. Le processus électoral
est donc une des pierres angulaires des régimes démocratiques. C’est la
raison pour laquelle toute l’opposition a focalisé sa lutte sur la
qualité du processus électoral. Il ne s’agit pas simplement de
revendications pour la galerie, mais de choses fondamentales qui
conditionnent le choix des représentants du peuple et donc, en
définitive, l’exercice de la souveraineté dont il faut, à chaque fois,
rappeler que le peuple est le seul détenteur. Ainsi décrit, je pense que
tout le monde voit l’importance de nos revendications.
« Non au diktat des partis» : Sam Mbaka, 1er vice président de l’Udc
Il faut ramener la majorité électorale à 18 ans, faire connaître le
découpage électoral au moins un an avant les élections, instituer le
bulletin unique, revoir les délais de la campagne électorale et les
délais d’affichage des listes électorales, les délais actuels étant très
courts. Nous souhaitons qu’on vote de 7h à 16 h pour éviter les
désagréments liés souvent au défaut d’éclairage, par exemple. Il faut
déterminer et fixer le quotient électoral national unique. Vous vous
rendez compte qu’il y a des zones très peuplées qui n’ont pas de députés
et qu’il y en a d’autres sous-peuplées mais disposant de plusieurs
députés!
Ces réformes sont nécessaires parce que le Cameroun est devenu un pays
où il n’y a pas de citoyens. Elles vont sortir le citoyen camerounais du
diktat des partis politiques, où le rôle de la société civile sera
déterminant. Qu’on ne trompe pas les gens, si Elecam ne peut pas prendre
en charge l’entretien des scrutateurs dans les bureaux de vote et le
déplacement des délégués des partis politiques dans les différentes
commissions locales et nationales, on ne sera pas sortis de l’auberge.
« Des élus représentatifs » : Alexis Ndéma Samè, président de l’Upc
Elecam n’a pas pu gérer le processus électoral, bien qu’ayant disposé
de moyens et de l’expérience hérités du Minatd, de Onel 1 et de Onel 2.
Il nous semble que la principale difficulté est qu’on ne peut pas
vouloir faire des élections crédibles et être tout acquis à une des
parties concurrentes. C’est un handicap d’essence, structurel, et c’est
pour cela que nous exigeons un organe indépendant des partis politiques.
C’est pour cela aussi que l’exigence de la mise en place d’une
Commission nationale électorale indépendante reste incontournable.
Nous exigeons en outre le système majoritaire à deux tours. Cela permet
aussi le rapprochement des programmes politiques qui se retrouvent,
parce qu’il serait invraisemblable que nous ayons 200 projets de société
pour notre pays.
Le droit à la candidature indépendante, qui est une de nos
revendications politiques, respecte notre Constitution, notamment dans
l’article 65, et évite de tomber dans la dictature des partis
politiques.
Propos recueillis par Théodore Tchopa