La sortie médiatique de Fonkam Azu’u, le président du conseil électoral d’Elecam, visait à trancher le débat sur la révision ou la refonte des listes électorales dans l’optique des élections municipales et législatives annoncées pour cette année : « Nous avons jugé nécessaire de faire une fois de plus une révision des listes électorales, au regard des contraintes de temps. Mais l’année prochaine, nous engagerons certainement une refonte des listes électorales », affirmait-il, début janvier, dans les colonnes de nos confrères de Cameroon Tribune.
Ces propos du président de l’institution chargée d’organiser les élections ont plutôt décuplé les réactions de rejet par rapport à l’option de révision choisie par Elecam. La contrainte de temps ne peut pas justifier la mise entre parenthèses de l’exigence d’une refonte, clame Hilaire Kamga, acteur de la société civile et expert en questions électorales. Dans un article publié par Le Jour, il balaie d’un revers de la main l’argument du manque de temps : « Des repères historiques existent au Cameroun pour montrer que lorsque la nécessité l’exige, l’on peut repousser la date d’une élection en prorogeant le mandat des différents élus, à travers l’usage des mécanismes juridiques bien appropriés qui existent à cet effet. »
En 2002, justement, le président de la République avait constaté, le jour du scrutin, que les élections ne pouvaient pas se dérouler. Il avait signé un décret pour annuler les opérations électorales engagées. De même, les mandats des députés et des conseillers municipaux avaient été prorogés à deux reprises lors de la mandature de 1996/1997, sous le prétexte de « Bakassi occupé », rappelle Hilaire Kamga.
Doublons
Les carences du fichier électoral relevées par les observateurs du processus électoral lors de la dernière élection présidentielle du 9 octobre 2011, reconnues par le chef de l’Etat lui-même, se traduisent, entre autres, par des doublons, triplons, etc. retrouvés dans les listes électorales. Ne sont-ils pas assez de signaux pour imposer à Elecam une refonte des listes électorales ?
Adamou Ndam Njoya, le président national de l’Union démocratique du Cameroun (Udc), l’un des rares partis de l’opposition représenté à l’Assemblée nationale, s’étonne de la légèreté de l’argument invoqué par le président du Conseil électoral d’Elecam : « C’est la réponse des gens qui refusent l’application des principes démocratiques dans notre pays », tranche-t-il, avant de s’interroger : « Le temps c’est quoi, par rapport à la stabilité d’un pays ? Le temps c’est quoi par rapport à la paix dans un pays ? Le temps c’est quoi par rapport à des élections libres, transparentes, dont les résultats sont acceptés par tous ? »
Ces interrogations se font l’écho de l’éditorial du directeur de la publication du quotidien camerounais Le Messager, Jean-Baptiste Sipa, publié le 23 janvier dernier : « Le Cameroun a besoin d’élections libres, au suffrage universel juste et transparent, et que cela passe aujourd’hui par une refonte des listes électorales, si l’on veut que ces élections traduisent la volonté générale des citoyens et garantissent la paix pour la nation. Le libre choix de ses dirigeants et représentants par le peuple est, en démocratie, un impératif dont le régime au pouvoir ne peut faire l’économie sans porter la responsabilité, tôt ou tard, d’une révolte populaire», écrivait-il, entre autres.
Le14 janvier 2012, le comité exécutif national (Nec en anglais) du Social Democratic Front (Sdf), le principal parti de l’opposition camerounaise, réuni à Bamenda, a réitéré l’exigence de la refonte des listes électorales. Le Sdf fait le constat, pour le déplorer, que le régime en place est dans une logique de non-amélioration du système électoral.
Personnes décédées
Les différentes antennes d’Elecam sont ouvertes au public, invité à s’inscrire sur les listes électorales sur le mode de la révision, depuis le 5 janvier dernier. Les citoyens en âge de voter ne s’y pressent pas. Commentaire du politologue Mathias Eric Owona Nguini : « Cette désaffection est une expression de la méfiance, voire de la défiance de ces électeurs citoyens pour des élections verrouillées.» Il note qu’un « consensus électoral aurait pu être un signal de regain de crédibilité dans l'organisation des élections au Cameroun. »
Le pouvoir veut-il seulement un tel consensus ? « La volonté politique des gouvernants en faveur d'un assainissement du fichier électoral, répond le politologue Owona Nguini, n'apparaît pas clairement quand il faut passer des mots aux actes. Il y a manifestement, note-t-il, une stratégie politique du groupe au pouvoir qui s'accommode parfaitement de la solution de révision parce que celle-ci ne fait que reconduire, pour l'essentiel, un fichier clairement sous contrôle des forces au pouvoir. »
© Le Jour : Claude Tadjon