Revue Française d’études politiques africaines, N°62, Février 1971.
(Mensuel dirigé à l’époque par Pierre Biarnes et Philippe Decreane)
Cameroun : Après les procès de Yaoundé
A l’aube du 15 janvier, trois des six condamnés à mort de Yaoundé ont été fusillés sur la place publique de Bafoussam, dans le pays bamiléké dont ils étaient originaires. Ernest Ouandié, chef rebelle de l’Union des populations du Cameroun (U.P.C.), Raphael Footung1, agent de liaison de l’UPC, et Gabriel Tabeu dit « Wambo le courant », avaient été condamnés le 6 janvier à l’issue de deux procès distincts. Mgr Ndongmo, ancien évêque de Nkongsamba, MM célestin Takala et Mathieu Njassep ont été graciés.
C’est le 14 janvier, en conseil des ministres, que le président Ahidjo, après avis du conseil fédéral de la magistrature, a pris l’ultime décision, qu’un communiqué de la présidence a, ensuite, rendue publique. Selon ce document, Ernest Ouandié et ses deux camarades étaient « responsables de nombreux crimes contre de paisibles citoyens camerounais et ont, au cours du procès, eu une attitude qui ne traduit aucun sentiment de repentir ni aucune volonté d’amendement ».
Contrairement à Ouandié qui qualifiait le procès de « forfaiture », Mgr Ndongmo avait demandé la clémence au chef de l’Etat. Il est probable que le prélat doit avoir eu la vie sauve tant à sa situation d’ecclésiaste qu’aux nombreuses pressions exercées par le Vatican et l’épiscopat camerounais.
Quelques semaines seulement après les grandes manifestations en faveur des séparatistes basques et des juifs de Leningrad, l’opinion publique internationale s’est à peine émue du procès, puis de l’exécution des condamnés africains. Cela tient en grande partie à la confusion qui a marqué toutes les étapes de cette affaire.
Lorsqu’il est capturé, le 19 août dernier, en pays bamiléké, Ernest Ouandié, cinquante ans, tient le maquis depuis 1962. Chef de la rébellion, il a pris la direction de l’UPC, parti interdit, après la mort de Ruben Um Nyobe, tombé les armes à la main en 1958, et de Félix Moumié, empoisonné à Genève en1960. En réalité, au moment de l’arrestation de Ouandié, son maquis ne se compose plus que de quelques dizaines d’hommes. Car une répression rigoureuse et la politique nationale du président Ahidjo ont sensiblement réduit le nombre des partisans de l’UPC.
Quelques jours plus tard (27 août 1970), Mgr Albert Ndongmo est arrêté à son tour dans le département du Mongo2, à l’ouest du pays. Un communiqué précise que des révélations faites par Ernest Ouandié ont permis d’établir « la complicité active de l’évêque avec la rébellion ». Mais un autre chef d’accusation est également porté à la charge du prélat par le ministre de la justice : « en mai 1969, nos services de sécurité ont découvert un complot visant à assassiner le chef de l’état… l’interrogatoire des chefs des conjurés a gravement mis en cause Mgr Ndongmo et a particulièrement mis en cause son action dans la direction du complot. »
Mgr Ndongmo, Ernest Ouandié et leurs vingt-sept co-accusés ont donc été jugés au cours de deux procès, l’un dit « de la rébellion », l’autre du « complot ». Le premier procès de s’est ouvert le 26 décembre dernier au tribunal militaire de Yaoundé. Trois observateurs internationaux, arrivés vingt-quatre heures avant la fin, ont témoigné de la procédure et l’un d’eux a souligné la « dignité » des débats.
Certains faits troublants incitent cependant à s’interroger. Le principal document était une bande magnétique enregistrée au lendemain de l’arrestation des deux principaux accusés et contenait leurs « aveux complets ». Or, ce document - en grande partie inaudible - révèle de telles incohérences dans les déclarations de Mgr Ndongmo que, même en connaissant la personnalité de l’évêque, on a du mal à prendre au sérieux. Selon l’enregistrement en effet, le prélat croyait participer à un « coup d’état spirituel et mystique », où seuls « des anges opéreraient » ; quant aux armes fournies à « Wambo le courant » et à célestin Takala, « elles étaient simplement le symbole de la guerre spirituelle qui allait se faire et que les anges allaient réaliser ».
Par ailleurs, les avocats français3 régulièrement constitués par Ernest Ouandié et sa femme se sont vus refuser les visas d’entrée au Cameroun en dépit de la convention judiciaire franco-camerounaise du 13 novembre 1960. Par ailleurs selon son article 32, cet accord prévoit « les avocats inscrits au barreau français pourront assister ou représenter les parties devant toutes les juridictions camerounaises, tant au cours des mesures d’instruction qu’à l’audience, dans les mêmes conditions que les avocats inscrits au barreau camerounais ».
Aussi, à l’ouverture du premier procès, celui dit « de la rébellion », Ernest Ouandie a-t-il récusé son avocat commis d’office et refusé de se défendre devant une juridiction qu’il estimait « de pure forme ».
Le fait que les audiences aient été publiques - et
même diffusées par haut-parleur à l’extérieur du tribunal - ne suffit
pas à dissiper un sentiment de gêne. Car il semble bien que certains des
accusés aient été torturés ; ce qui permet de douter de la
« spontanéité » de leurs aveux. Dans ces conditions il n’est guère
étonnant que plusieurs d’entre eux soient revenus sur leurs déclarations
au cours du second procès, celui ou Mgr Ndongmo comparaissait comme
principal accusé.
Ce dernier était connu pour sa liberté de langage et son opposition au
régime de M. Ahidjo. Mais les preuves de sa participation à un complot
n’en sont pas pour autant convaincantes.
Il est certain que Mgr Ndongmo avait eu des contacts avec les rebelles de l’UPC il y a quelques années ; mais il l’avait fait à la demande des autorités afin de négocier le ralliement de certains dirigeants du maquis. Que le prélat ait par la suite entretenu et même renforcé ces liens par souci pastoral ou par conviction politique … cela n’est pas impossible. Cela n’est pas prouvé non plus, malgré la bande magnétique et malgré les témoignages accablants4…
A cause des incohérences de son attitude, en tout cas, l’ancien évêque de Nkongsamba aurait dû être soumis à un examen psychiatrique. Dans un télégramme adressé au président Ahidjo, la commission internationale des juristes a précisé : « en ce qui concerne Mgr Ndongmo, les observateurs ont ressenti un certain malaise du fait que, malgré les demandes répétées de la défense, l’évêque ne fut pas soumis à une expertise mentale ».
Le cas d’Ernest Ouandié était beaucoup plus clair. Hors-la-loi depuis douze ans, il avait non seulement revendiqué la responsabilité des faits qui lui étaient imputés, mais encore avait refusé d’introduire un recours en grâce. Le président Ahidjo devait-il pour autant la lui refuser ?
1 Fotsing en réalité, note de T.N.
2 Lire : Mungo (note de T.N.)
3 Il s’agit de Maitres Jean jacques de Felice et Jacques Vergès, du bureau de Paris : maitre Ralph Milner, du bureau de 4 Londres, qui devait également assurer la défense d’Ernest Ouandié, n’a pas obtenu lui non plus de visa.
4 Certaines charges graves retenues contre Mgr Ndongmo et Ernest Ouandié reposaient sur des déclarations de personnes entendues par la police avant l’ouverture des procès. La plupart étaient - a-t-on dit - d’anciens maquisards. Cités comme témoins, ils n’ont pas comparu à la barre.
J.L