La succession et les successeurs au scanner de Mathias Eric Owona Nguini

Cameroun : La succession et les successeurs au scanner de Mathias Eric Owona NguiniLe fait que Paul Biya brouille les pistes de sa succession ne peut-il pas être source d’instabilité politique au Cameroun au moment de la transition, au point d’aboutir à une dérive sanglante comme cela s’est vu dans certains pays africains ?
Si on peut considérer que le président Biya agit de manière à rester le plus longtemps au pouvoir, on peut également comprendre que dans ces conditions, il ne va pas nécessairement créer de façon claire un cadre qui organise sa succession. Maintenant, il faut dire que la succession présidentielle telle qu’elle s’opère dans un ordre politique et démocratique ne dépend pas des organes de pouvoir en place et de ceux qui les incarnent. Cela veut dire que la succession présidentielle en principe, si on est dans une démocratie, ne peut pas être contrôlée par le président Biya ou par autre président. Elle devrait s’organiser du point de vue de l’éthique et des règles d’une démocratie sur la base de la loi fondamentale qui correspond à un accord général, à un accord collectif. Maintenant, il est vrai que le caractère incomplet du schéma constitutionnel a des effets sur la manière donc la loi fondamentale balise la succession. Dans ces conditions, il peut y avoir des sources d’instabilité si un certain nombre d’acteurs politiques  et institutionnels  ne s’entendent pas sur la manière correcte d’appréhender la situation et de mettre en œuvre les règles qui permettent d’aménager une succession républicaine. Ce n’est que dans cette hypothèse qu’on peut envisager alors une dérive sanglante. La dérive sanglante a lieu précisément là où les gens ne sont pas d’accord sur les règles du jeu, et si les gens considèrent que ce qui est essentiel, c’est de saisir le pouvoir, non de le prendre de manière bien définie et bien règlementée.

Comment faire donc pour éviter le scénario d’une dérive sanglante ?
Pour éviter une situation pareille, il est déjà important que nos autorités institutionnelles et politiques agissent pour que le schéma constitutionnel soit complet. Autrement dit, que les institutions qui ont été créées par la révision constitutionnelle de 1996 soient effectivement mises en place, à savoir le conseil constitutionnel et le sénat. Cela est d’autant plus nécessaire que ces deux institutions sont censées jouer un rôle essentiel dans les hypothèses de vacance de pouvoir. Car il est important d’aborder une vacance de pouvoir dans un cadre où c’est la règle ordinaire et normale qui joue, et cette règle dit précisément que le conseil constitutionnel en tant qu’organe régulateur des pouvoirs publics constate la vacance du pouvoir et arbitre également le processus électoral qui va designer le nouveau président.  La même règle ordinaire dit également que c’est le président du Sénat qui assure l’intérim pendant une durée expressément définie.  Malheureusement depuis 16 ans, ce qui continue à prévaloir, c’est une règle qui aurait due être simplement une règle transitoire et qui fait que la cour suprême se substitue au conseil constitutionnel, qui n’est toujours pas en place. En même temps, le président de l’Assemblée nationale se substitue au président du Sénat. En fonction des intérêts politiques, il va y avoir au sein même du régime du renouveau, des lectures divergentes si on arrivait dans une situation de vacance de pouvoir. Et là, çà pourrait devenir vraiment problématique si au sein de ce groupe gouvernant, on ne s’entend pas sur la lecture de la situation et sur la manière donc la constitution permet une lecture pacifique et civilisée de la situation. C’est le risque que la Cameroun court. Il est également important, pour éviter une dérive sanglante en cas de succession, que les forces politiques et les forces sociales, c’est-à-dire les partis politiques, la société civile et les communautés agissent de telle manière qu’il y ait un consensus autour de la dévolution du pouvoir par les élections. Voila pourquoi il est important d’avoir un consensus sérieux sur le système électoral de telle manière qu’en cas de vacance de pouvoir, il y ait une censure, une élection qui soit basée sur un consensus et qui permettrait au pays d’éviter de déraper dans le chao.

Dans l’optique d’une succession ou d’une alternance, quelles sont d’après vous les chances de Marafa Hamidou Yaya ?
Marafa Hamidou Yaya est une personnalité qui a fait ses classes dans le système politico-administratif et gouvernant. Il est parvenu aux positions névralgiques que sont le Secrétaire général de la présidence et le ministère de l’administration territoriale. Compte tenu de ce parcours et de certains schémas qui prévalent dans le système politique camerounais où les classes bureaucratiques ont un rôle influent, on peut considérer que Marafa était une personnalité présidentiable compte tenu des critères du système. Simplement, depuis qu’il a été engagé dans une procédure politico-judiciaire qui a donné lieu à un procès, même s’il reste des voies de recours, il est devenu difficile dans ce schéma orthodoxe qu’il puisse prétendre à la présidence. Cela ne veut pas dire que ses chances soient complètement annulées. Mais, maintenant on voit bien que monsieur Marafa s’est mis dans une nouvelle posture où il n’est plus un baron du système, mais un ancien baron qui émet un certain nombre de critiques sur la gestion collective du système et surtout le leadership du président Biya. Il se positionne donc comme un nouvel opposant. A partir de ce moment, il va lui rester à gagner cette légitimé d’opposant et à gagner aussi la crédibilité d’une personnalité pouvant incarner la rechange à la tête de la République.

Et l’autre homme du sérail René Sadi ?
René Sadi est une personnalité qui est depuis longtemps installée dans notre système gouvernant. C’est un baron du régime qui a été là bien avant que le président Biya soit au pouvoir. N’oublions pas que René Sadi a été désigné comme Directeur de Cabinet de l’ancien président Amadou Ahidjo pour pouvoir en fait suivre celui-ci dans sa retraite après que le président Ahidjo ait effectivement démissionné le 04 novembre 1982. N’oublions pas aussi que René Sadi a été directeur de l’école des cadres de l’Union nationale camerounaise (UNC) qui par la suite est devenue le Rdpc. C’est donc une personnalité qui est installée dans le système, et qui a eu une longue expérience de cabinet, et pour cela est perçue comme un homme d’antichambre, un homme de bureau. Même s’il a fait une courte expérience de terrain au moins à travers la coordination politique du Rdpc qu’il  devait assurée essentiellement en tant que Secrétaire général du comité central. Désormais René Sadi, dans sa carrière politico-administrative est appelée aux fonctions de ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation, ce qui va lui permettre d’ajouter un ressort nouveau à son expérience. On le considère comme un des présidentiables du système. Compte tenu des critères orthodoxes, cela est vrai, mais déjà dans les tubes mêmes des acteurs du système gouvernant, beaucoup considèrent qu’il n’a pas une expérience suffisante de la gestion de l’Etat, il a surtout une expérience de cabinet, de conseiller.  Il lui reste à constituer une expérience de gestionnaire et peut être aussi une expérience d’opérateur politique de terrain, qu’il aille à la bataille des mandats, c’est-à-dire à la compétition électorale.

Le premier opposant camerounais Ni John Fru Ndi peut-il prétendre être le prochain président camerounais ?
Quand on fera l’histoire du Cameroun, personne ne pourra contester que Ni John Fru Ndi a joué un rôle essentiel dans la construction du système pluraliste camerounais et dans le recherche de la démocratisation du Cameroun. Seulement, Ni John Fru Ndi est victime de ce qui arrive à bien de chefs politiques, il est victime d’une certaine usure. Le fait d’être installé à la tête du Social democratic front (Sdf) depuis un certain temps l’expose à une certaine usure, à la lassitude comme c’est le cas pour la Premier ministre Belle Bouba Maïgari ou du ministre Ndam Njoya qui sont respectivement les leaders de l’Undp et de l’Udc. On peut même aussi dire que Ni john Fru Ndi est comme Paul Biya, victime d’une usure qui est en quelque sorte basée sur des perceptions générationnelles. Autrement dit, une grande partie des nouvelles générations considèrent que ce leader comme Paul Biya est le leader d’une génération  passée qui ne pourra plus apporter quelque chose d’innovateur au Cameroun. Et  Ni John Fru Ndi est également victime d’un système de pouvoir encrouté, c’est-à-dire décidé à rester au pouvoir par tous les moyens, et que dans ces conditions, combattre ce système dans un cadre démocratique n’est pas une entreprise facile.

Et le président du nouveau parti le MRC, le Pr Maurice Kamto ?
Maurice Kamto est une nouvelle personnalité politique. Il a certainement eu des engagements politiques depuis un certain nombre d’années, d’abord en tant que personnalité indépendante par ses prises de position politico-intellectuelles dans les médias au milieu des années 1980. Rappelons-nous de sa controverse avec son collègue Hubert Mono Ndjana. Il a ensuite, toujours dans le registre de la politique citoyenne, appuyé la candidature du chairman Ni John Fru Ndi, non pas seulement comme candidat du Social democratic front, mais comme candidat de la coalition qui était l’union pour le changement. Par la suite, il s’est retiré du jeu politique et y est revenu à travers son expérience comme grand juriste, qui a joué un rôle important au rang d’autres personnalités dans toute la procédure judiciaire internationale qui concernait le règlement du conflit de la presqu’île de Bakassi par la Cour internationale de justice. A travers cette expérience, il a noué un certain nombre de contacts utiles au sein des milieux gouvernants qui ont été essentiels pour qu’il soit coopté par le président Biya dans le gouvernement du 08 décembre 2004 aux fonctions de ministre délégué de la justice. Il a eu une expérience gouvernementale de 7 ans, mais dans un poste qui n’était un poste de premier plan. Et le président Biya ne lui a pas donné l’occasion de rebondir dans un autre ministère. A ce titre, Maurice Kamto est donc une personnalité à qui ses rivaux ou détracteurs imputent de s’être associé au régime et qui considèrent que d’une certaine manière, il ne peut se désolidariser aussi rapidement, qu’il doit assumer au moins pendant la période de son  séjour au gouvernement le bilan du régime du renouveau. Aujourd’hui Maurice Kamto s’est positionné comme un nouvel opposant qui entend avoir une carte à jouer dans la perspective d’une succession à la présidence et d’une éventuelle alternance politique au Cameroun.

Que diriez-vous du prélat le Cardinal Tumi ?
Le cardinal Tumi a essentiellement un rôle qui est celui de personnalité morale. Et en cette qualité, il a eu un certain nombre de fois à donner des avis  sur la gestion politique du Cameroun, particulièrement sur la gestion des gouvernants, des avis qui n’étaient pas toujours favorables aux intérêts politiques du pouvoir en place. Voila pourquoi dans le cénacle du pouvoir en place, ses opinions sont très souvent redoutées. Jusqu’ici, le cardinal ne s’est pas positionné comme une personnalité proprement politique. Cela veut dire que si jamais il devait jouer un rôle, ce sera dans des circonstances particulières où il apparaitrait comme un recours politico-moral permettant au pays d’économiser des tensions. Parce qu’une grande partie de l’opinion nationale considère que c’est une personnalité qui pourrait au moins conduire quelque chose qui serait de l’ordre d’une transition politique. Seulement pour conduire une transition politique, il faut déjà qu’on soit en transition.

Et Bernard Njonga ?

Bernard Njonga est une personnalité très active de la société civile, qui a utilisé son expérience d’agronome chevronné pour se reconvertir dans la critique citoyenne et la veille citoyenne. Ce qui lui permet effectivement de contrôler la qualité, l’efficacité et la légitimé de l’action publique en général et en particulier dans le secteur agroalimentaire. C’est une personnalité qui a une certaine habilité dans la construction des relations et des réseaux. C’est une personnalité qui a également une certaine capacité de mobilisation. Il est incontestablement un mobilisateur. Il reste à savoir s’il a de l’intérêt pour une autre posture qui est celle de l’homme politique. Reste à voir s’il est capable dans ce nouveau rôle de pouvoir convertir les soutiens de leader de la société civile en soutiens appuyant la trajectoire d’un homme politique à la tête d’une organisation engagée dans la conquête du pouvoir.

Et l’indéboulonnable président de la CAF Isa Hayatou ?
Issa Hayatou est un homme qui a d’abord une certaine expérience en tant que haut fonctionnaire camerounais dans le secteur du sport en particulier. C’est un diplômé de l’Institut national de la jeunesse et des sports. C’est également un sportif d’un certain niveau. Il a également eu une expérience de gestionnaire de fédération sportive nationale avant de devenir une personnalité reconnue dans les milieux de la gestion sportive internationale, particulièrement de la gestion du football, puisqu’il est depuis pratiquement 24 ans le président de la fédération africaine de Football. Cette posture lui a donné une grande visibilité médiatique au plan international. Envisage-t-il de convertir cette visibilité en capital politique ? Jusqu’ici rien ne le laisse croire. Il pourrait à ce moment là mobiliser un certain nombre d’appuis et de relations qu’il a pu se constituer dans les milieux internationaux, particulièrement ceux du sport. Il reste à savoir s’il pourra faire le même travail à l’intérieur en étant capable de construire un certain nombre de relations et de réseaux de relations capables d’appuyer son entrée en politique s’il se décidait à choisir cette voie.

Quelle perception de l’autre icône de la diaspora camerounaise Christopher Fomunyoh ?
Christopher Fomunyho est un Camerounais aujourd’hui installé aux Etats-Unis. C’est un expert reconnu dans les questions de gouvernance notamment de gouvernance électorale, qui travaille beaucoup avec certaines fondations américaines très impliquées dans les questions de droits de l’homme et de gouvernance démocratique. Et c’est quelqu'un qui s’est depuis quelques années invité au débat politique camerounais depuis l’étranger en donnant des points de vue sur la gouvernance du Cameroun, et qui a même à un moment donné, laissé poindre quelques ambitions politiques. Pour lui, il s’agira déjà de constituer une machine politique, parce qu’il est resté longtemps à l’étranger. Il faut donc qu’il se dote d’un certain nombre d’appuis qui pourront l’aider à construire une machine pour l’ascension politique.

© integrationafrica.org : Propos recueillis par Jacques Etienne Pouhe


08/11/2012
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