Le
fait que Paul Biya brouille les pistes de sa succession ne peut-il pas
être source d’instabilité politique au Cameroun au moment de la
transition, au point d’aboutir à une dérive sanglante comme cela s’est
vu dans certains pays africains ?
Si on peut considérer que le président Biya agit de manière à
rester le plus longtemps au pouvoir, on peut également comprendre que
dans ces conditions, il ne va pas nécessairement créer de façon claire
un cadre qui organise sa succession. Maintenant, il faut dire que la
succession présidentielle telle qu’elle s’opère dans un ordre politique
et démocratique ne dépend pas des organes de pouvoir en place et de ceux
qui les incarnent. Cela veut dire que la succession présidentielle en
principe, si on est dans une démocratie, ne peut pas être contrôlée par
le président Biya ou par autre président. Elle devrait s’organiser du
point de vue de l’éthique et des règles d’une démocratie sur la base de
la loi fondamentale qui correspond à un accord général, à un accord
collectif. Maintenant, il est vrai que le caractère incomplet du schéma
constitutionnel a des effets sur la manière donc la loi fondamentale
balise la succession. Dans ces conditions, il peut y avoir des sources
d’instabilité si un certain nombre d’acteurs politiques et
institutionnels ne s’entendent pas sur la manière correcte
d’appréhender la situation et de mettre en œuvre les règles qui
permettent d’aménager une succession républicaine. Ce n’est que dans
cette hypothèse qu’on peut envisager alors une dérive sanglante. La
dérive sanglante a lieu précisément là où les gens ne sont pas d’accord
sur les règles du jeu, et si les gens considèrent que ce qui est
essentiel, c’est de saisir le pouvoir, non de le prendre de manière bien
définie et bien règlementée.
Comment faire donc pour éviter le scénario d’une dérive sanglante ?
Pour éviter une situation pareille, il est déjà important que nos
autorités institutionnelles et politiques agissent pour que le schéma
constitutionnel soit complet. Autrement dit, que les institutions qui
ont été créées par la révision constitutionnelle de 1996 soient
effectivement mises en place, à savoir le conseil constitutionnel et le
sénat. Cela est d’autant plus nécessaire que ces deux institutions sont
censées jouer un rôle essentiel dans les hypothèses de vacance de
pouvoir. Car il est important d’aborder une vacance de pouvoir dans un
cadre où c’est la règle ordinaire et normale qui joue, et cette règle
dit précisément que le conseil constitutionnel en tant qu’organe
régulateur des pouvoirs publics constate la vacance du pouvoir et
arbitre également le processus électoral qui va designer le nouveau
président. La même règle ordinaire dit également que c’est le président
du Sénat qui assure l’intérim pendant une durée expressément définie.
Malheureusement depuis 16 ans, ce qui continue à prévaloir, c’est une
règle qui aurait due être simplement une règle transitoire et qui fait
que la cour suprême se substitue au conseil constitutionnel, qui n’est
toujours pas en place. En même temps, le président de l’Assemblée
nationale se substitue au président du Sénat. En fonction des intérêts
politiques, il va y avoir au sein même du régime du renouveau, des
lectures divergentes si on arrivait dans une situation de vacance de
pouvoir. Et là, çà pourrait devenir vraiment problématique si au sein de
ce groupe gouvernant, on ne s’entend pas sur la lecture de la situation
et sur la manière donc la constitution permet une lecture pacifique et
civilisée de la situation. C’est le risque que la Cameroun court. Il est
également important, pour éviter une dérive sanglante en cas de
succession, que les forces politiques et les forces sociales,
c’est-à-dire les partis politiques, la société civile et les communautés
agissent de telle manière qu’il y ait un consensus autour de la
dévolution du pouvoir par les élections. Voila pourquoi il est important
d’avoir un consensus sérieux sur le système électoral de telle manière
qu’en cas de vacance de pouvoir, il y ait une censure, une élection qui
soit basée sur un consensus et qui permettrait au pays d’éviter de
déraper dans le chao.
Dans l’optique d’une succession ou d’une alternance, quelles sont d’après vous les chances de Marafa Hamidou Yaya ?
Marafa Hamidou Yaya est une personnalité qui a fait ses classes dans le
système politico-administratif et gouvernant. Il est parvenu aux
positions névralgiques que sont le Secrétaire général de la présidence
et le ministère de l’administration territoriale. Compte tenu de ce
parcours et de certains schémas qui prévalent dans le système politique
camerounais où les classes bureaucratiques ont un rôle influent, on peut
considérer que Marafa était une personnalité présidentiable compte tenu
des critères du système. Simplement, depuis qu’il a été engagé dans une
procédure politico-judiciaire qui a donné lieu à un procès, même s’il
reste des voies de recours, il est devenu difficile dans ce schéma
orthodoxe qu’il puisse prétendre à la présidence. Cela ne veut pas dire
que ses chances soient complètement annulées. Mais, maintenant on voit
bien que monsieur Marafa s’est mis dans une nouvelle posture où il n’est
plus un baron du système, mais un ancien baron qui émet un certain
nombre de critiques sur la gestion collective du système et surtout le
leadership du président Biya. Il se positionne donc comme un nouvel
opposant. A partir de ce moment, il va lui rester à gagner cette
légitimé d’opposant et à gagner aussi la crédibilité d’une personnalité
pouvant incarner la rechange à la tête de la République.
Et l’autre homme du sérail René Sadi ?
René Sadi est une personnalité qui est depuis longtemps installée dans
notre système gouvernant. C’est un baron du régime qui a été là bien
avant que le président Biya soit au pouvoir. N’oublions pas que René
Sadi a été désigné comme Directeur de Cabinet de l’ancien président
Amadou Ahidjo pour pouvoir en fait suivre celui-ci dans sa retraite
après que le président Ahidjo ait effectivement démissionné le 04
novembre 1982. N’oublions pas aussi que René Sadi a été directeur de
l’école des cadres de l’Union nationale camerounaise (UNC) qui par la
suite est devenue le Rdpc. C’est donc une personnalité qui est installée
dans le système, et qui a eu une longue expérience de cabinet, et pour
cela est perçue comme un homme d’antichambre, un homme de bureau. Même
s’il a fait une courte expérience de terrain au moins à travers la
coordination politique du Rdpc qu’il devait assurée essentiellement en
tant que Secrétaire général du comité central. Désormais René Sadi, dans
sa carrière politico-administrative est appelée aux fonctions de
ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation, ce
qui va lui permettre d’ajouter un ressort nouveau à son expérience. On
le considère comme un des présidentiables du système. Compte tenu des
critères orthodoxes, cela est vrai, mais déjà dans les tubes mêmes des
acteurs du système gouvernant, beaucoup considèrent qu’il n’a pas une
expérience suffisante de la gestion de l’Etat, il a surtout une
expérience de cabinet, de conseiller. Il lui reste à constituer une
expérience de gestionnaire et peut être aussi une expérience d’opérateur
politique de terrain, qu’il aille à la bataille des mandats,
c’est-à-dire à la compétition électorale.
Le premier opposant camerounais Ni John Fru Ndi peut-il prétendre être le prochain président camerounais ?
Quand on fera l’histoire du Cameroun, personne ne pourra
contester que Ni John Fru Ndi a joué un rôle essentiel dans la
construction du système pluraliste camerounais et dans le recherche de
la démocratisation du Cameroun. Seulement, Ni John Fru Ndi est victime
de ce qui arrive à bien de chefs politiques, il est victime d’une
certaine usure. Le fait d’être installé à la tête du Social democratic
front (Sdf) depuis un certain temps l’expose à une certaine usure, à la
lassitude comme c’est le cas pour la Premier ministre Belle Bouba
Maïgari ou du ministre Ndam Njoya qui sont respectivement les leaders de
l’Undp et de l’Udc. On peut même aussi dire que Ni john Fru Ndi est
comme Paul Biya, victime d’une usure qui est en quelque sorte basée sur
des perceptions générationnelles. Autrement dit, une grande partie des
nouvelles générations considèrent que ce leader comme Paul Biya est le
leader d’une génération passée qui ne pourra plus apporter quelque
chose d’innovateur au Cameroun. Et Ni John Fru Ndi est également
victime d’un système de pouvoir encrouté, c’est-à-dire décidé à rester
au pouvoir par tous les moyens, et que dans ces conditions, combattre ce
système dans un cadre démocratique n’est pas une entreprise facile.
Et le président du nouveau parti le MRC, le Pr Maurice Kamto ?
Maurice Kamto est une nouvelle personnalité politique. Il a
certainement eu des engagements politiques depuis un certain nombre
d’années, d’abord en tant que personnalité indépendante par ses prises
de position politico-intellectuelles dans les médias au milieu des
années 1980. Rappelons-nous de sa controverse avec son collègue Hubert
Mono Ndjana. Il a ensuite, toujours dans le registre de la politique
citoyenne, appuyé la candidature du chairman Ni John Fru Ndi, non pas
seulement comme candidat du Social democratic front, mais comme candidat
de la coalition qui était l’union pour le changement. Par la suite, il
s’est retiré du jeu politique et y est revenu à travers son expérience
comme grand juriste, qui a joué un rôle important au rang d’autres
personnalités dans toute la procédure judiciaire internationale qui
concernait le règlement du conflit de la presqu’île de Bakassi par la
Cour internationale de justice. A travers cette expérience, il a noué un
certain nombre de contacts utiles au sein des milieux gouvernants qui
ont été essentiels pour qu’il soit coopté par le président Biya dans le
gouvernement du 08 décembre 2004 aux fonctions de ministre délégué de la
justice. Il a eu une expérience gouvernementale de 7 ans, mais dans un
poste qui n’était un poste de premier plan. Et le président Biya ne lui a
pas donné l’occasion de rebondir dans un autre ministère. A ce titre,
Maurice Kamto est donc une personnalité à qui ses rivaux ou détracteurs
imputent de s’être associé au régime et qui considèrent que d’une
certaine manière, il ne peut se désolidariser aussi rapidement, qu’il
doit assumer au moins pendant la période de son séjour au gouvernement
le bilan du régime du renouveau. Aujourd’hui Maurice Kamto s’est
positionné comme un nouvel opposant qui entend avoir une carte à jouer
dans la perspective d’une succession à la présidence et d’une éventuelle
alternance politique au Cameroun.
Que diriez-vous du prélat le Cardinal Tumi ?
Le cardinal Tumi a essentiellement un rôle qui est celui de personnalité
morale. Et en cette qualité, il a eu un certain nombre de fois à donner
des avis sur la gestion politique du Cameroun, particulièrement sur la
gestion des gouvernants, des avis qui n’étaient pas toujours favorables
aux intérêts politiques du pouvoir en place. Voila pourquoi dans le
cénacle du pouvoir en place, ses opinions sont très souvent redoutées.
Jusqu’ici, le cardinal ne s’est pas positionné comme une personnalité
proprement politique. Cela veut dire que si jamais il devait jouer un
rôle, ce sera dans des circonstances particulières où il apparaitrait
comme un recours politico-moral permettant au pays d’économiser des
tensions. Parce qu’une grande partie de l’opinion nationale considère
que c’est une personnalité qui pourrait au moins conduire quelque chose
qui serait de l’ordre d’une transition politique. Seulement pour
conduire une transition politique, il faut déjà qu’on soit en
transition.
Bernard Njonga est une personnalité très active de la société civile, qui a utilisé son expérience d’agronome chevronné pour se reconvertir dans la critique citoyenne et la veille citoyenne. Ce qui lui permet effectivement de contrôler la qualité, l’efficacité et la légitimé de l’action publique en général et en particulier dans le secteur agroalimentaire. C’est une personnalité qui a une certaine habilité dans la construction des relations et des réseaux. C’est une personnalité qui a également une certaine capacité de mobilisation. Il est incontestablement un mobilisateur. Il reste à savoir s’il a de l’intérêt pour une autre posture qui est celle de l’homme politique. Reste à voir s’il est capable dans ce nouveau rôle de pouvoir convertir les soutiens de leader de la société civile en soutiens appuyant la trajectoire d’un homme politique à la tête d’une organisation engagée dans la conquête du pouvoir.
Et l’indéboulonnable président de la CAF Isa Hayatou ?
Issa Hayatou est un homme qui a d’abord une certaine expérience en tant
que haut fonctionnaire camerounais dans le secteur du sport en
particulier. C’est un diplômé de l’Institut national de la jeunesse et
des sports. C’est également un sportif d’un certain niveau. Il a
également eu une expérience de gestionnaire de fédération sportive
nationale avant de devenir une personnalité reconnue dans les milieux de
la gestion sportive internationale, particulièrement de la gestion du
football, puisqu’il est depuis pratiquement 24 ans le président de la
fédération africaine de Football. Cette posture lui a donné une grande
visibilité médiatique au plan international. Envisage-t-il de convertir
cette visibilité en capital politique ? Jusqu’ici rien ne le laisse
croire. Il pourrait à ce moment là mobiliser un certain nombre d’appuis
et de relations qu’il a pu se constituer dans les milieux
internationaux, particulièrement ceux du sport. Il reste à savoir s’il
pourra faire le même travail à l’intérieur en étant capable de
construire un certain nombre de relations et de réseaux de relations
capables d’appuyer son entrée en politique s’il se décidait à choisir
cette voie.
Quelle perception de l’autre icône de la diaspora camerounaise Christopher Fomunyoh ?
Christopher Fomunyho est un Camerounais aujourd’hui installé aux
Etats-Unis. C’est un expert reconnu dans les questions de gouvernance
notamment de gouvernance électorale, qui travaille beaucoup avec
certaines fondations américaines très impliquées dans les questions de
droits de l’homme et de gouvernance démocratique. Et c’est quelqu'un qui
s’est depuis quelques années invité au débat politique camerounais
depuis l’étranger en donnant des points de vue sur la gouvernance du
Cameroun, et qui a même à un moment donné, laissé poindre quelques
ambitions politiques. Pour lui, il s’agira déjà de constituer une
machine politique, parce qu’il est resté longtemps à l’étranger. Il faut
donc qu’il se dote d’un certain nombre d’appuis qui pourront l’aider à
construire une machine pour l’ascension politique.