La succession d’Ahmadou Ahidjo par Paul Biya était inconstitutionnelle

Douala, 26 août 2013
© Eric Essono Tsimi (Corresp.) | Le Messager

 

Paul Biya, tout éclaboussant de charmes qu’il fut, n’était pas au moment de sa nomination comme président de la république le dirigeant le plus en vue de l’Unc.

 

 

Paul Biya, tout éclaboussant de charmes qu’il fut, n’était pas au moment de sa nomination comme président de la république le dirigeant le plus en vue de l’Unc. Ayissi Mvodo, alors ministre de l’Administration Territoriale l’avait outragé sans que cela porte à conséquence. Samuel Eboua, Secrétaire Général de l’Unc, avait les épaules bien plus larges. Adamou Ndam Njoya ou Sadou Daoudou étaient régulièrement cités par les analystes politiques. Mais c’est Biya qui, après le référendum de 1975, avait été choisi comme Premier ministre, coopté comme troisième vice-président de l’Unc et élevé président de la république, en 1982. 

Ahidjo le croyait manipulable parce qu’il avait toujours été à son service, la preuve du contraire et l’amertume lui feront dire plus tard, en 1983, que Biya est « fourbe et lâche ». C’était sans considérer qu’une coupure épistémologique pour ainsi dire était survenue, que Biya était devenu le Président de la République. Ahidjo a cessé d’être le président de la république uniquement parce qu’il a cru qu’il ne l’était plus, parce que Paul Biya a réussi à le lui faire croire, parce que Biya, tout en voyant les velléités de retour du titulaire du poste ne lui a rien facilité du tout. 

Si même Ahidjo est resté à la tête du « Grand Parti National », ce n’est pas comme on a voulu nous en faire accroire, pour faire une concession à ceux qui, la larme à l’œil, lui chantaient « Ne me quitte pas ». Ahidjo faisait ce qu’il voulait et il n’a jamais tout à fait renoncé au pouvoir, il a même cru qu’il avait sur le pays une emprise de type messianique. Tout ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que la vocation ultime de tous ceux qui gravitent autour du pouvoir suprême, c’est d’avoir le pouvoir suprême. Il a mis à la tête du Cameroun un Premier ministre illégal et illégitime, sans carrure ni ambition, il a retrouvé en se retournant un président de la république qui ne comptait rien lâcher de son nouveau statut et allait même faire condamner son « illustre prédécesseur » par contumace, avant l’échéance de son mandat présidentiel. 


Trente ans après, en considérant le niveau intellectuel du président Ahidjo – autodidacte notoire, comparé à celui de son homologue sénégalais, Senghor, aux extrêmes limite du savoir -, en considérant les rapports que la France faisait au Sénégal et au Cameroun pour pousser leurs Présidents respectifs à démissionner (probablement dans le cas camerounais, avait-il été dit à Ahidjo, en France, qu’il était malade et que la stabilité du pays et la continuité de ses institutions commandaient qu’il renonce au pouvoir), il apparaît que le poète était plus soucieux de l’opinion publique internationale, plus convaincu de son option, plus assuré de son avenir dans l’ancienne métropole française que ne pouvait l’être le télégraphiste. 

Ce n’est pas fortuitement si les profils des Premiers ministres Paul Biya et Abdou Diouf se rejoignent en autant de points: Ahidjo s’inspirait bien de quelqu’un. La différence majeure entre Diouf et Biya est que celui-ci avait été à la tête d’une commission qui jusqu’au dernier moment avait essayé de dissuader Ahidjo de s’en aller, il avait toujours répété qu’il n’était pas Premier ministre pour faire de la politique. Cependant que Diouf, ses lieutenants aidant, a rusé pour se maintenir Premier ministre et précipiter Senghor dans la voie de la démission, ainsi qu’il l’avait lui-même projeté c’est vrai. 

Les limites d’un autodidacte, les pièges du mimétisme 

La constitution de la république unie du Cameroun du 02 juin 1972, qui a servi de base légale à la succession du président Ahmadou Ahidjo, ne fait pas de Paul Biya, alors Premier ministre, le « successeur constitutionnel » du président Ahidjo. Les Camerounais étaient tellement hypnotisés par le caractère exceptionnel du retrait d’Ahmadou Ahidjo qu’il aurait pu désigner son épouse Germaine présidente sans que personne n’y eût eu rien trouvé à redire. 

Dans la constitution camerounaise, la suppléance du chef de l’Etat était ainsi assurée suivant les cas par le Président de l’Assemblée Nationale ou par le Premier ministre. Dans ce dernier cas, il ne pouvait s’agir que d’une « délégation expresse ». En ce cas, la démission étant une vacance définitive, elle aurait dû être constatée par la Cour Suprême. Alors quand en 1983, et le 6 avril 1984, on accuse Ahmadou Ahidjo, massivement élu trois ans plus tôt pour un mandat de cinq ans, quand on l’accuse de tenter un coup d’Etat, en réalité c’est Paul Biya qui organisait le coup de force, puisqu’il n’avait pas encore été élu président de la république (Article 7 – C : en cas de vacance de la présidence par démission, celle-ci ne devient effective que le jour de la prestation de serment du nouveau président élu). 

Or selon la Constitution de 1972, seule l’élection mettait fin à son intérim. La présidentielle de légitimation de janvier 1984, où le président intérimaire, Paul Biya, se présente seul est organisée dans un contexte de fébrilité et de volonté d’éviction définitive du seul président « élu », Ahmadou Ahidjo. Ce dernier n’est pas à plaindre, il a essayé de copier Senghor sans discernement et s’est cru un monarque absolu qui devait être adoré parce qu’il avait aimé le Cameroun. 

Le président Paul Biya n’a pas tué par l’épée 

Tout se passe comme s’il n’y a jamais eu d’Assemblée Nationale au Cameroun. Dans le site de l’assemblée nationale camerounaise, le lien Anciens Présidents des Assemblées au Cameroun est un lien mort. Cavayié Yéguié y est présenté comme l’actuel et le seul ancien président des assemblées nationales camerounaises. Vous vous dîtes que l’auteur du billet n’est pas doué pour la recherche documentaire et vous pensez avoir, dans un passé récent, visité sur Internet des pages sur les législatures précédentes. 

Ces pages existent en effet mais ne font qu’énumérer la liste des députés sans en citer les présidents. Il n’empêche les archives et les livres demeurent, le Cameroun ne sera pas frappé d’amnésie collective, parce que les autorités actuelles craignent tout questionnement du passé. Le successeur constitutionnel d’Ahmadou Ahidjo était Solomon Tandeng Muna, qui avait précédé Paul Biya comme Premier ministre, était alors président de l’Assemblée nationale et aurait dû le précéder encore comme Président de la république. 

Ahmadou Ahidjo, avant la mascarade de 1984, a voulu revenir au pouvoir, il en a été empêché par Paul Biya qui n’occupait pourtant que des fonctions intérimaires. C’est donc en réalité Paul Biya qui a commis un coup d’Etat d’une efficacité et une lâcheté infinies. 

Par Eric Essono Tsimi, Ecrivain



26/08/2013
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