La problématique de la rue et du pouvoir au Cameroun : jeux troubles et avantages
Soumis par Valère Bertrand BESSALA de le ven, 05/25/2012 - 20:10
« Quand le sang coule dans la rue, il faut penser à investir dans la pierre ». Cette réflexion du Baron James de Rothschild est susceptible d’édifier plus d’un protagoniste de la conjoncture sociopolitique actuelle du Cameroun. Le sang ne coule peut être pas [encore], peut être ne coulera-t-il jamais, mais le remue ménage et les tiraillements, perceptibles au sommet comme à la base de l’Etat convainquent à suffisance sur l’urgence de circonscrire la « rue » au Cameroun.
Des faits annonciateurs de la « rue » Depuis la réélection de l’homme du Renouveau à la magistrature suprême en octobre 2011, la « rue » s’est comme par enchantement mise en ébullition au point de provoquer un discours de remerciement inédit et surprenant le mardi 25 octobre 2011, soit 08 jours avant la prestation de serment. Il ne fallait pas être un devin pour savoir que cette intervention brusque du N°1 Camerounais était une réponse aux incidents enregistrés à Bamenda quelques jours plutôt. La rue annonçait, par ces incidents, la température des mois qui allaient suivre. Et l’Etat venait de montrer une de ses faiblesses.
Ce premier incident semble avoir donné au Président de la République une meilleure appréciation des enjeux et des jeux troubles que lui réservait alors le nouveau septennat glané pourtant haut la main. Puisqu’il allait essuyer une défection par démission dans son Gouvernement un mois plus tard et d’autres faits sociaux encore, comme l’Affaire Vanessa Tchatchou qui, aujourd’hui, n’en finit plus de secouer ses éveils et ses sommeils, même dans ses séjours privés en Suisse.
Jusqu’à quand résisteront-t-ils ?
Son Gouvernement et lui semblent donc jusqu’ici dominer la « rue » puisque stratégiquement, l’on peut encore constater que le Gouvernement et son chef se trouvent toujours au perchoir et la rue là où elle se trouve. Jusqu’à quand résisteront- t-ils ? Mais des jeux troubles continuent de se jouer dans la rue qui opposent divers secteurs qui semblent d’ailleurs tirer des avantages de « toutes natures » ainsi que le précise l’article 02 des décrets.
QU’EST-CE DONC LA « RUE » ?
La rue c’est beaucoup de choses et rien du tout à la fois. Au sens urbanistique du terme, la rue s’entend d’une voie bordée de maison dans une agglomération. Sociologiquement, la rue se définit comme le lieu de manifestation, d’émeutes. Par extension, la rue s’entend de ces mouvements eux mêmes.
La rue-anarchie
La rue c’est donc l’anarchie. C’est-àdire un ensemble d’actes de désordre répétés suivis et constants. Peu importe la nature ou l’importance, la positivité ou la négativité. La rue c’est la Rue. Même pour une cause juste. Dans ce sens d’anarchie, la rue peut donc prendre plusieurs sens, influencés pour l’essentiel par la nature des revendications qui mobilisent et constituent les mouvements sur la voie publique. Il existe donc plusieurs types de rue anarchie. La rue sociale La rue-anarchie peut donc devenir une rue sociale lorsque les revendications se ramènent pour l’essentiel à un inconfort basique du quotidien des manifestants.
La rue économique
Elle peut être une rue économique lorsque les motivations des occupants de la voie publique portent principalement sur leur traitement pécuniaire en proaction ou en réaction à une politique ou mesure économique jugée défavorable. La rue politique La rue peut aussi être politique. Dans ce cas, les manifestants signifient leur désapprobation à un ordre politique établi ou en voie de s’établir.
La rue-mélange
On peut enfin avoir à faire à une rue mélange ou confuse. C’est-à-dire une rue qui est à la fois sociale, économique et politique. C’est la rue la plus complexe et la moins extriquable. Elle est généraliste dans ses motivations et recrute dans toutes les strates sociologiques et anthropologiques de la société. C’est la rue la plus dangereuse car, lorsqu’elle s’agrandit, elle aboutit généralement au renversement de l’ordre et du pouvoir établit.
Le chaos.
Les origines de la rue-anarchie De manière générale, la rue-anarchie a de nombreuses origines au delà du malaise social, économique et politique. Elles peuvent être managériales, structurelles ou institutionnelles.
Le mobile managérial de la Rue-anarchie peut généralement être la tolérance adm inistrative qui aura sé d im enté des moeurs social es et comporteme nta les retors et dés ormai s non maî t ri sa bl es. Le mobile structure l ou institutionnel de la Rue peut tout s imple m ent être la faiblesse d’une structure étati que singulièrement ou alors de l ’Etat lui-même tou t entier e n général. C ette faiblesse de l’Etat peut être sa le nteur à la décision, des conflits d e compétences qui libèrent des «terra nullius » ou no man’s land ou to ut simpl ement ce que les sociolog ues appellent les « chaos bornés » que l’Etat ne peut pénétrer.
Cette faiblesse peut surtout être l’absen ce ou l’imp r essio n d ’abse n ce d’Etat repérable à t ravers, soit le recul de l’Etat fa ce à la conj onctu re et à la pression sociale, soit l’incapacité de l’ Etat à s’im poser, s oit alors tout simplement le rabaissement de l’Etat au niveau de la m asse au point de se fondre, se confondre et même se noyer dans le désordre.
La rue-sentiment
La Rue c’est aussi un se ntiment. Ce sentiment est généralement éprouvé par le p euple ou la population, une partie ou la majorité du peup le ou de la pop ulation. Ce sentiment peut être négatif ou posit if. Tout dép end des id ées et des intention s qui composent le sentiment de la rue.
La rue-sentiment négatif
Le sentiment négatif qui composerait le compo r tement d’u n p euple ou d’une population c’est le repli silencieux sur elle-même. Ce sentiment aboutit généralement à un détachement progressif, à un désintérêt lent mais suivi des affaires publ iques et à une déconnexio n certaine d u peup le de ses d iri gea nts. Ce qui lai sse le plus souvent d u champ li bre au x porteurs d’idées et d’idéaux déconstructifs, co ntre productifs et déstabilisateurs .
La rue-sentiment positif
Quant au sentiment positif, il s’entend d’un si len ce hypocrite d u peuple ou de la population. Il se manifeste généralement par le boyco tt pure et simple des politiques publiques , des instituti onset de l eurs d ir igeants. La conscience et l’inte nt ion , même embryon naires de porter un coup a u pouvoir et à ceux qui le détien nent sont alo rs réelles, malgré leur caractère sournois.
Ainsi , l’on pou rra voir quelques ma nifestations de ce type de Rue, à travers le fort taux d’abstentio n comme ce fut le cas avec la dernière élection présidentielle camerounaise. Ce sera tout auss i le cas, par le passage aux oubliettes ou la mise sous le boisseau des actes forts du gouvernement ou du chef de l’Etat.
La rue organisée Le dernier type de ru e, c’est la rue organisée, visible ou souterrai ne, elle se compose d’org anis ati ons c iv i les et/ou politiques qui, pour des fins gé néralement inavouées entrep renn ent quotidi ennement d ’effrite r e t d ’affaiblir consciemm ent et patiemm ent un ordre et un pou voir établis. Ce sont le pl us souvent des associations dites de la société civile, légales ou tolérées, associées aux partis polit iqu es g én éra l ement d ’opposition, accompagnés de quelques missions diplomatiques étrangères qui le ur verse nt des subsides, leur fournissent des informations d’un genre partic uli er et les intéressent à de nombreuses « formations » à l’extérieur.
Faute de capacité de mo b i lis ation du fait du manque de notoriété, l a rue organisée procède généralement p ar la rumeur, l e bouche à o reill e , les médias et par les réseaux sociaux. La rue n’est pas un fait d’aujourd’hui La rue est donc partout et recrute partout où besoi n et occasion se présentent. Elle n’est pas un phénomène d’a ujourd’hui, puisque par le passé, elle s’est très souvent manifestée et a même souvent réussi à renverser des donnes entières, des pouvoirs trè s puissants.
L’on ne se rappellera jamais assez de la Guerre Civile de Rome en 4 10 après J.C qu i a a boutit au renversement d’Al aric et provoqué ainsi la prise du pas du «pouvoir divi n » de l’Eglise Catholique Romaine sur le « pouvoir tempore l » d es royautés dans toute l’Europe j u squ’en Asie M in eure. Comment oublierai t-on cette « gifle » de Guillaume de Noga ret, pa rticulier du Roi Louis X, appliquée au Pa peHenri IV afin de signifier à ce dernier le refus de son Roi de payer son impôt à la papauté qui po urtant faisait, installait et défaisai t les Rois. L’on ne pe ut omettre cette rue organisé e par l es E mpe r eurs et R o is d’Europe en 1648 pour s’affranc hir col lec tivem ent du joug du pouvoir pontifical de Rome.
Cette guerre de V ingt ( 20) ans appe l lée « Civitas Christianas » qui d onna naissance à la forme d’organisation politique que l’on appelle aujourd’hui l’Etat. C ’est la rue qui est à l’origi ne de l’aboli tion de l’esclavage aux Etat Unis d’Amérique a u 1864 par Abraham Lincol n, tout comme e l le est à l ’ori gine de la Révolution f rançaise de 1789. Plus proche de nous, c’est la rue estudia nti ne qui enclen che le renvers ement du président De Gaulle depuis mai 1968.
C ’est cette même rue , mélangée cettefois, qui renve rse Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte. C ’est elle qui a finalement eu rais on d e Mouamard Kadafi en Lybi e. Tout se passe en 2011. Elle est en passe de prendre le dessus sur Bachar Al ASSAD en Syrie.
La Rue est donc divers e et ondoyante. Elle se pose, s ’ impose et s’incruste très facilement. En un jour, comme en pl usieurs, elle naît, grandit et atteint ses ob jectifs. Mais pour la lever et la dissou d re, il faut pl u sieurs années sinon une génération entière. La Rue se nourrit donc du temps qui le porte, des idées qui l’innervent et des hommes qui se recyclent et se reproduisent en son sein.
PEUT-ON AVOIR UN AVANTAGE SUR
LA RUE ?
Avantage n°01 :
La connaissance de la rue
Le premier avantage que l’on peut avoir sur la rue est la connaissance de la rue. Cette connaissance doit tenir du prince lui-même ainsi que l’indique Machiavel. Le prince doit connaître son peuple. Il doit savoir que le peuple est un allié naturel du « monarque » contre les grands.
Car, si le prince peut être soutenu par les grands, il vaut mieux qu’il le soit par le peuple que par ceux qui se considèrent comme ses égaux et qui sont plus nombreux que lui. Or, l’alliance avec le peuple est relativement facile ; car le peuple ne demande qu’à ne pas être lésé ou opprimé. Ce en quoi, il paraît d’ailleurs être plus honnête que les grands qui eux, veulent opprimer. L’alliance du prince avec le peuple le met à l’abri de l’hostilité d’un groupe très nombreux. Mais cette place stratégique ne fait pas pour autant du peuple, un élément actif en tout temps dans l’Etat.
Au contraire, il apparaît comme un élément passif qui a besoin d’un chef ou d’un maître. Le peuple peut donc être un ami, comme il peut être un ennemi redoutable. Tout le peuple ne pouvant constituer un ennemi, il est important pour le prince de savoir et de pouvoir distinguer dans cette masse sans visage ses amis et ses ennemis.
Avantage n°02 :
Savoir répondre à la rue Le deuxième avantage est celui de savoir comment répondre à la Rue.Mais avant cela, il faudrait que l’Etat soit déjà fixé sur la nécessité, l’opportunité et le moment de la réponse. La rue a des attentes diverses. Réelles ou prétextes. L’Etat doit toujours pouvoir et savoir distinguer les attentes les plus importantes des moins stratégiques et fixer pour la satisfaction de chacune, une méthode et des voies de solutions idoines pour les publics demandeurs. Ces méthodes peuvent être alternativement ou simultanément des idées, des silences, des actes inoffensifs, ou des actes offensifs même violents. Comme les latins le disent « la guerre est juste pour ceux à qui elle est nécessaire. Et les armes ne sont saintes que quand il n’y a d’espoir que dans les armes ».
Sauf que ce type de réponse est l’ultime possible que l’on ne convoque que lorsque la Rue a ses raisons que le grande rue (le peuple manifestant), elle-même, ignore et d’autre part, lorsqu’un choix cornélien s’impose entre l’imposture du chaos sans interlocuteur et la protection des acquis.
Dans tous les cas, toute réponse à la rue doit toujours être ferme et intelligente.
Avantage n°03 :
Savoir quitter la rue
Le dernier avantage est celui de savoir comment quitter la Rue. La rue n’étant pas en soi une mauvaise chose, il importe pour l’Etat et les Gouvernants qui se seraient laissés aller dans la rue, de pouvoir et savoir l’abandonner. Dans le cas du Cameroun par exemple, il faudra mettre fin à la tolérance administrative, prendre et publier tous les décrets d’application, sanctionner à chaque fois que les raisons, les motifs et l’occasion sont idoines, écouter le bas peuple, savoir ce qu’il veut etc.
En effet, l’Etat semble encore négliger le niveau de dangerosité du laisser aller de l’activité de mototaxi ou même encore l’agitation des activités autour de la disparition du bébé de Vanessa Tchatchou.
Ou même encore de la légèreté avec laquelle le Code électorale a été élaboré et imposé aux parlementaires, en contrariété totale avec les visées d’émergence démocratique du DSCE. Pourtant, ces mêmes acteurs sociaux, déclarés ou non, tissent leur toile tout autour, et malgré même qu’ils aient déjà présenté à l’Etat plusieurs mobiles et occasions de les écouter ou de les faire taire à tout jamais, le Gouvernement semble continuer, pour des raisons inconnues, de jouer à chat et souris avec eux, se prêtant à leur jeux qu’eux seuls connaissent d’ailleurs mieux. Un Etat dans la rue c’est possible. Mais un Etat de la Rue restera toujours une aventure incertaine et périlleuse.
Le Journal la Cité 109 2012