La pauvreté intellectuelle chez les fils de riches

Cameroun : La pauvreté intellectuelle chez les fils de richesLes enfants de grandes familles ont maille à partir avec l’école. Malgré cela, leurs parents font du forcing pour imposer aux camerounais une aristocratie bouffonne dont ils n’ont pas besoin. Les causes d’un phénomène et quelques pistes de solutions.

L’alliage entre aisance financière et bonnes études a du mal à se construire pour les rejetons des puissants de notre pays. Hormis quelques cas isolés comme la descendance Muna où on trouve de brillants avocats, médecins, Gilbert Kadji connu pour son esprit entrepreneurial aiguisé, Jean Emmanuel Pondi qui a su se faire un prénom à côté de son illustre père, le Dr Matthias Eric Owona Nguini, et quelques autres, c’est le vide. Pourtant ces fils de bourgeois vivent dans un environnement tellement nanti qu’on a du mal à comprendre ces percées timides dans le gotha intellectuel national ou mondial.

Dans les domaines de l’économie, des sciences sociales, des sciences humaines ou des sciences exactes, c’est la vacuité. Cette vacuité ne signifie pas que dans ces milieux huppés il n’y a pas de personnes nantis des diplômes dans les domaines sus cités. Mais les sujets nantis de ces parchemins sont si discrets, si absents en termes de publications scientifiques (livres, revues…) de notoriété dans leurs métiers ou de présence dans les médias qu’on est en droit de douter de l’authenticité de leurs diplômes. Cela nous donne des avocats aux plaidoyers soporifiques, des magistrats sans étoffe, des administrateurs civils incompétents, des journalistes à la langue tatillonne, des maires et des députés sans carrure, des « hommes d’affaires » sans vision.

Leurs cadets dans les lycées et collèges ne font pas mieux. Pourtant ils bénéficient des conditions de transport idoines pour se rendre à l’école, peuvent s’offrir les meilleurs loisirs et ne manquent jamais de l’argent de poche mais ils s’illustrent plus ailleurs que sur le front de l’intelligence. La drogue, l’homosexualité, les virées nocturnes tapageuses, le vol et même des braquages sont devenus leurs loisirs préférés. Il y a quelques années le fils d’un haut gradé de la garde présidentielle était au coeur du braquage d’un diplomate occidental au quartier Bastos à Yaoundé. C’est à la suite de cette affaire que les autorités mettront sur pied ce qu’on appelle aujourd’hui la compagnie de sécurisation des diplomates.

Une autre affaire bien connue voulait que le fils d’un ex directeur général de la Cameroon Radio Television (CRTV) ait accepté de souffrir le martyr aux Etat-Unis en purgeant une peine de prison de plusieurs années à la place de son cousin « du village » pour trafic de drogue !

Les causes d’un fléau

Selon le Dr Chandel Ebale Moneze psychologue social, chargé de cours à l’Université de Yaoundé I « On peut aborder ce problème sur un triple plan. D’abord, sur le plan individuel et personnel du sujet même qui échoue, cela peut relever d’un manque d’intérêt pour les études ; et souvent ce manque d’intérêt est dû au fait que fier du pouvoir social ou financier de la famille, il se dit : mais pourquoi est ce que je devrais encore aller perdre mon temps dans ces institutions où devant moi j’ai parfois des personnes très mal habillées ou des personnes qui rentrent chez elles en taxi alors que j’y arrive en voiture personnelle ou en taxi personnel ?

Bref il peut avoir ce genre d’attitude qui font qu’à la fin ces enfants accordent très peu d’intérêt à leurs études, accordant d’ailleurs peu d’intérêt aux enseignants qui sont placés devant eux. Souvent aussi, il y a de très mauvaises relations avec l’enseignant. L’enseignant est un petit personnage qu’on peut négliger et souvent c’est avec ironie qu’il demande à la fin des cours : Monsieur, je vous dépose ? Mais il y’a aussi des raisons familiales. Nous savons que dans ce monde moderne qui est devenu lui même un monde atomique où l’on travaille sous l’agar, avec la gestion axée sur les résultats qui nécessite qu’on travaille sous stress.

Les gens sont toujours en train de courir, de partir, ainsi de suite. Cà fait que dans plusieurs familles, les parents n’ont plus assez de temps pour encadrer les enfants et pensent que lorsqu’on aura dégagé les ressources financières nécessaires, le reste pourra suivre et çà joue parfois malheureusement contre leurs enfants et finalement même contre eux. Parce que lorsque l’on met son enfant à l’école, c’est dans l’espoir de le voir évoluer de façon intéressante.

Mais il faut dire que beaucoup de parents fonctionnent dans une espèce de méconnaissance des principes éducatifs de base, ces derniers ne savent même pas que faire pour réellement éduquer leurs enfants. Ils ne savent pas qu’en fin de journée ils doivent regarder les cahiers de leurs enfants car rien que cela est une espèce de contrôle qui est exercé sur sa vie scolaire ou académique et ceci a le mérite de faire prendre conscience à l’enfant. En l’absence de ce contrôle, l’enfant a la liberté de faire comme il veut. Donc les parents doivent être là et savoir  qu’un enfant qui va à l’école doit subir un contrôle minimal à la maison. Et si on réalise qu’il n’a pas de bonnes notes il doit être accompagné par un répétiteur. Parfois aussi on donne de l’argent au répétiteur et on croit que c’est tout.

Même ce répétiteur laisse des devoirs que l’enfant ne fait jamais ; et souvent lorsque le répétiteur arrive, l’enfant lui propose l’argent du taxi du retour. Conséquence, le répétiteur devient moins regardant sachant qu’il aura son argent de taxi. Il y’a aussi un cadre environnemental : les enfants de riches marchent généralement entre eux. Il y’a un problème de fréquentation qui peut venir interférer sur la vie scolaire de ces enfants. Autre raison et pas des moindres : pour la plupart, ces enfants rêvent de vivre en occident, ils rêvent de s’en aller et parfois ils en ont eu la promesse. Au lieu de penser à leurs études ici, ils pensent au jour où ils s’en iront.

Cependant, il y a des parents de ces milieux aisés qui voudraient inculquer le goût de l’effort à leurs enfants en les occupants par des travaux domestiques et d’autres tâches à la maison. Seulement, ces efforts de responsabilisation s’avèrent contre productifs d’autant plus que l’enfant est parfois obligé de travailler alors c’est le moment propice pour le travail intellectuel. Selon le Dr Chandel Ebalé Moneze « Il y a un certains nombre de procédés de motivation que les parents ne mettent pas toujours en place ; et d’ailleurs lorsqu’ils se disent qu’en dehors de l’école il faudrait aussi que leurs enfants sachent travailler à la maison, les procédés qu’ils utilisent sont facteurs de démotivation. Vous voyez dans une maison où il y a des personnes pour l’entretien et des ménagères, on demande encore à un enfant qui doit aller en classe le matin de faire la vaisselle, de laver le sol. Ceci n’est plus pour motiver cet  enfant, bien au contraire cela le démotive. Ceci a pour conséquence de mettre cet enfant en conflit avec cette ménagère et en plus, il ira à l’école étant fatigué. Il aura manqué un moment important de faire des révisions tant il est vrai qu’on retient mieux ses leçons le matin.

Cela relève d’une rigidité comportementale de la part des parents qui pensent qu’en faisant ainsi travailler leur progéniture, ils éloignent d’eux la paresse. Il faut mettre en place des cadres fiables susceptibles d’aiguiser la motivation au lieu de le fatiguer. Ces enfants, du fait du pouvoir social et financier de la famille, vivent dans une espèce d’orgueil qui cache mal une carence éducative. Ceci va pousser le sujet à vivre dans l’incivisme. »

L’éducation se fait par étape

La cause de l’échec dans ces familles aisées est imputable à une éducation ratée. Beaucoup de ces parents ont tôt fait de brûler les étapes ou de donner à leurs enfants des choses dont ils ne sont pas capables de supporter la charge émotive. Lorsqu’un élève du Lycée général Leclerc, du collège de la retraite ou du collège Vogt arrive à l’école, non pas à bord, mais au volant d’une grosse cylindrée tandis que la plupart de ses camarades et enseignants viennent en taxi ou à pied, est ce à dire que les parents qui autorisent cela lui rendent service ? Absolument pas. Pourtant ces parents eux-mêmes sont devenus des personnalités importantes après beaucoup de combat contre la précarité et l’adversité.

Cela ne façonne que des orgueilleux et des cancres. Il y a quelques années, au Lycée de Nkol Eton, la fille d’un ministre actuel de la majorité présidentielle était allé jusqu’à se moucher avec un billet de 10.000 F cfa devant ses camarades médusés. Selon le Dr Chandel Ebalé Moneze, « Il faut comprendre que l’éducation est un processus qui part de la base. En psychologie nous pensons que l’éducation d’un être humain est un peu comme une maison qu’on bâtit. Il s’agit de faire une bonne fondation et le reste sera solide au dessus. Mais les murs eux-mêmes ne pourront être posés que selon la fondation qui a été faite. Cette fondation est celle de la personnalité qui se construit jusqu’à l’âge de 14 à 16 ans au plus. C’est à ce moment que la structure fondamentale de la personnalité prend place et le reste se fera conformément à cette fondation.

C’est dans cette période que l’enfant doit être au fait des principes éducatifs de sa société. L’éducation doit être faite de telle sorte que l’enfant l’intériorise dans ces différents aspects, qu’il l’accepte et qu’il fonctionne avec elle comme quelque chose qu’il a lui même accepté depuis le bas âge en toute liberté. C’est donc lorsque l’enfant a été bien socialisé qu’il fonctionnera avec ces principes. Souvent il est difficile que l’enfant qui n’a pas pris connaissance d’un certain nombre de principes ou qui a vécu avec des principes contraires accepte des principes qu’on vient lui imposer. Il passera donc le plus clair de son temps à résoudre ces conflits au lieu d’étudier puisque la plus grande partie de l’énergie est utilisée pour la résolution des conflits. Depuis le bas âge il a vécu dans le libertinage et lorsqu’il rentre dans une institution de socialisation, il fait face à certaines normes qu’il ne connaissait pas avant (ponctualité, discipline).

Par contre si cet enfant avait compris que la contrainte, la coercition fait partie de la vie alors les choses se passeraient moins mal pour lui dans l’institution scolaire »

© Emergence : Cyr Ondoa


25/11/2012
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