La guerre des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire contre le régime Gbagbo est-elle juste ?
La guerre des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire contre le régime Gbagbo est-elle juste ?
Écrit par Franklin NYAMSI | Berlin Mercredi, 30 Mars 2011 22:14
L’art et le métier de penser, comme toutes les affaires humaines, ont
leurs limites. Il est question justement de se demander si l’actualité
ivoirienne de la guerre déborde désormais les activités de penser et
d’agir. Si désormais, plumes et pioches doivent céder résolument le pas
aux baïonnettes et aux communiqués des différentes forces armées. Devant
le drame de la Côte d’Ivoire contemporaine, partie totale de
l’espérance africaine, devons-nous nous taire sous le prétexte de
l’insignifiance des mots devant le poids du tragique des événements ?
Que vaut le présent article de presse, devant les corps déchiquetés
des femmes d’Abobo, devant ces milliers d’ivoiriens assommés par la
terreur des mercenaires libériens lancés par Gbagbo dans l’Ouest ? Que
valent les présentes lignes à l’heure où l’actualité ivoirienne ne
s’interprète désormais qu’en termes décisifs de progressions et de
régressions militaires ? Nous sommes, ivoiriens ou non, condamnés à
méditer cette énigme taraudante, quand par ailleurs, notre art préféré
et notre métier ne sont ni celui des armes, ni celui de la querelle,
mais le combat pour le sens : le métier de penser. La pensée peut-elle
se saisir du mal en cours? Peut-elle le comprendre, l’interpréter, le
dévêtir, voire le subvertir en vue de célébrer la vie ? Est-elle plutôt
condamnée à le contempler, à s’en défaire en reconnaissant sa propre
défaite, quitte à attendre patiemment que les acteurs historiques aient
décidé du sens réel de l’Histoire ? Faut-il remettre la pensée du drame
ivoirien à l’après-guerre FDS/FRCI ? La
pensée est certes pulvérisée par le fait brutal de la guerre, où
l’horreur sous toutes les formes de l’industrie humaine de la mort,
contraint les penseurs les plus sereins à l’angoisse, à la crainte et au
tremblement irrépressibles. Au-delà de l’innommable bruit des orgues de
Staline et autres armes de guerres lourdes qui tonnent du grondement
archaïque des forces primordiales de la nature dans les oreilles
insomniaques des hommes, femmes et enfants de Côte d’Ivoire, la pudeur ne commande-t-elle pas de se taire devant l’ampleur du drame, ne serait-ce que par exigence de piété? Or,
précisément il y a plusieurs types de guerre et plusieurs types de
justifications aux actes de guerre. Condamner la guerre par principe et
en fait, au nom d’un pacifisme aveugle, est aussi naïf que louer par
principe et dans tous les cas factuels la guerre, au nom d’un bellicisme
tout aussi stupide. Et la philosophe Simone Weil eut dans cet esprit,
sans doute raison d’écrire : « Il
résulte d’une telle situation, pour tout homme amoureux du bien public,
un déchirement cruel et sans remède. Participer, même de loin, au jeu
des forces qui meuvent l’histoire n’est guère possible sans se souiller
ou sans se condamner d’avance à la défaite. Se réfugier dans
l’indifférence ou dans une tour d’ivoire n’est guère possible non plus
sans inconscience. La formule du moindre-mal reste alors la seule
applicable, à condition de l’appliquer avec la plus froide lucidité. »[1] Incontestablement,
un devoir de lucidité nous appelle, au cœur des abîmes qui frappent le
pauvre peuple de Côte d’Ivoire. Nous estimons par conséquent, par-delà
émotion et piété, qu’il n’y a pas de pensée profonde qui n’ait justement
médité devant l’abjection de la mort violente en particulier et de la
mortalité humaine en général. Il appartient dès lors, contre tous les
scrupules imaginables, à ceux qui font office de penser la réalité
historique ivoirienne, de se prononcer clairement et distinctement sur
la question suivante : la guerre des forces républicaines de Côte
d’Ivoire contre le régime du Président sortant Laurent Gbagbo est-elle
une guerre juste ? Cette question présuppose à notre sens les deux suivantes :
quelles sont les formes et justifications de guerre connues dans
l’historicité ivoirienne ? A quel type de guerre peut-on référer
l’offensive actuellement engagée par les Forces Républicaines de Côte
d’Ivoire contre le régime mauvais perdant de Laurent Gbagbo et quelles
en sont les justifications ? I Des guerres ivoiriennes et d’ailleurs L’histoire de la jeune nation ivoirienne nous semble avoir donné lieu, à partir du 19ème
siècle aux différents sortes de guerre que voici : la guerre tribale,
la guerre de conquête religieuse, la guerre de conquête coloniale, la
guerre de résistance anticoloniale et d’indépendance, la guerre de
résistance sécessionniste, la guerre de reconnaissance citoyenne, la
guerre de restauration républicaine. Nous proposons volontiers ces
catégorisations en n’oubliant pas qu’il en existe d’autres à travers le
monde, et que les spécialistes du phénomène de la guerre la saisissent
en général dans des concepts plus larges et englobants, au risque de ne
pouvoir précisément bien restituer les spécificités historiques de
chaque peuple. Mais il peut exister des ponts pertinents entre ces
catégories générales et l’expérience ivoirienne, comme nous chacun le
verra dans la suite de la présente analyse.
Lutte
armée et homicide présentant une certaine amplitude et se déroulant
dans une certaine durée de temps, entre des collectivités organisées
ayant une autonomie politique au moins relative, la guerre suppose
l’avènement d’un conflit entre deux forces plus ou moins égales. Lorsque
ces forces sont inégales, les terminologues de la guerre parlent de
pacification ou d’opération de police (fort contre faible), de rébellion ou révolution (faible contre fort). On
peut en outre classifier les guerres selon des critères politiques
(conflit supra ou super-étatiques, phénomènes interétatiques ou conflits
classiques, conflits intra-étatiques), selon des critères liés aux
enjeux (territorial, ethnique, religieux), selon des critères techniques
(guerre primaire, guerre classique, guerre technologique, la guerre
atomique), selon la localisation, selon la finalité, ou enfin selon les
causes, etc.
Le
concept de guerre est du reste en extension permanente, car les formes
modernes de guerre n’ont de cesse de s’enrichir, suivant la nature et la
dimension des groupes concernés, suivant les rapports politiques et
suivant les techniques mises en œuvre. On compte ainsi parmi les formes
modernes de guerre : la guerre économique, la guerre commerciale, la
guerre linguistique, la guerre culturelle, les guerres mondiales ou
guerres totales, les guerres régionales, la guerre électronique, la
guerre étrangère, la guerre psychologique, la guerre aristocratique, la
guerre totale ou guerre de masse, la guérilla. Enfin, on reconnaît en
général aux guerres plusieurs fonctions et plusieurs causes. Parmi les
fonctions, on cite de façon récurrente le rééquilibrage
démographico-économique, la redistribution économique, la prise des
commandes du politique, la conquête psychologique et sociologique d’un
groupe de la population sur les autres, la domination culturelle,
l’expérimentation de nouvelles techniques coercitives, mais aussi la
fonction biologique d’exutoire à l’agressivité foncière de l’homme. Les
causes des guerres sont quant à elle en général cernées dans la volonté
de multiplier des entités politiques, les conflits liés à
l’hétérogénéité du système international, les institutions abusives de
frontières interétatiques, le développement incontrôlés de certaines
passions collectives. Ce
large tour d’horizon nous permet donc d’en revenir aux guerres
ivoiriennes et à leurs justifications. Nous les séparerons à trois
ensembles, correspondants aux périodes précoloniale, coloniale et
postcoloniale. II Des guerres précoloniales, anticoloniales et postcoloniales ivoiriennes. Dans
le premier ensemble précolonial, nous mettons volontiers les guerres
tribales et les guerres de conquête religieuse. On sait globalement que
le territoire actuel de Côte d’Ivoire a été configuré, dans la période
précoloniale, par l’immigration des Akans fuyant les conflits ethniques
fratricides du Royaume Ashanti jusqu’au cœur de la région des Grands
Lacs et des Savanes. D’autre part, on sait que la poussée islamique, en
plus de la résistance armée contre l’invasion coloniale, explique pour
une part la configuration sociologique du Nord et du Nord-Est de la Côte
d’Ivoire, avec un point d’orgue sur les guerres de Samory Touré et les
héritages des précédents empires du Mali, tout
comme celui de Kong. On ne saurait au passage négliger les guerres
tribales nombreuses en pays Krou, Wè et Dan, malgré les nombreux jeux
d’alliances opérant dans cette Côte d’Ivoire précoloniale. Tribales ou
religieuses, les guerres précoloniales ivoiriennes se référaient à
l’ordre de la coutume et de la foi, et opéraient dans un environnement
où la question citoyenne née du projet d’Etat-national ne s’était pas
encore posée en tant que telle. Elles ne dépassèrent pas du reste, d’un
point de vue technique, le cadre des guerres classiques précoloniales
occidentales.
Le
second ensemble des guerres ivoiriennes est issu de l’agression
coloniale et comporte aussi l’épisode sécessionniste du Guébié. Comme
l’a si bien décrit Simone Weil, il est éclairant de décrire l’expansion
coloniale en termes de force. Elle appartient à l’horizon de la guerre
moderne, qui est la prolongation de la concurrence économique sous des
formes militaires. Elle dévaste les infrastructures matérielles et
psychiques du colonisé pour instaurer, dans la brutalité froide de la
raison instrumentale, l’ordre criminel de la colonialité. Et Simone Weil
d’écrire : « La
colonisation commence presque toujours par l’exercice de la force sous
sa forme pure, c’est-à-dire par la conquête. Un peuple, soumis par les
armes, subit soudain le commandement d’étrangers d’une autre couleur,
d’une autre langue, d’une tout autre culture, et convaincus de leur
supériorité. Par la suite, comme il faut vivre, et vivre ensemble, une
certaine stabilité s’établit, fondée sur un compromis entre la
contrainte et la collaboration. »[2] La
lutte de résistance anticoloniale ivoirienne prit la forme, avec
Samory, d’une guerre classique qui prit fin avec la défaite et la
capture de l’Almamy de Kong. Elle fut par ailleurs relayée, sans
concertation nécessaire, par des révoltes anticoloniales de mode tribal,
telle la fameuse révolte des Abbey au début du 20ème
siècle. Il n’en demeure pas moins clair que la Côte d’Ivoire, fait
décisif, se démarqua de la logique de guerre anticoloniale ou
d’indépendance sous la férule de Houphouët-Boigny, médecin africain,
grand planteur, catholique, chef traditionnel des Akoués de
Yamoussoukro. Tout en créant le Rassemblement
Démocratique Africain (RDA) pour faire pièce à l’oppression coloniale,
Houphouët se démarqua de la voie militaire indochinoise de Hô-Chi-Minh
en négociant une indépendance contrôlée de la Côte d’Ivoire auprès de la
puissance tutélaire française. Dans la même lancée, la guerre
sécessionniste de Kragbé Gnagbé dans le Guébié autour des années 70 ne
semble plus avoir posé le problème anticolonial en tant que tel, mais
celui du partage des pouvoirs dans l’état postcolonial ivoirien. Nous
n’insisterons pas davantage, pour cette raison, sur l’épisode du Guébié. Nous
estimons dès lors que la guerre anticoloniale d’indépendance de la Côte
d’Ivoire n’eut pas lieu, contrairement à celle des nationalistes
révolutionnaires de l’UPC[3] (Union des Populations du Cameroun, membre du RDA comme le PDCI) , parce
que Houphouët crut ou préféra – pour des raisons sans doute liées à son
propre statut de bourgeois catholique issu de la féodalité et du fait
de son tempérament pacifiste - une évolution plus
lente de son pays vers l’indépendance par l’intégration
socio-économique au grand marché des richesses internationales. L’acte
de guerre le plus farouche d’Houphouet-Boigny fut donc finalement
l’obtention du vote par le Parlement Français de la Loi contre les
Travaux Forcés, qui porte le nom du premier Président de la Côte
d’Ivoire. Peut-on estimer que cette guerre d’indépendance ainsi évitée
le fut pour de bon ? Faut-il plutôt croire aujourd’hui Laurent Gbagbo et
ses « patriotes », lançant l’Opération Dignité en 2004, pour entre
autres libérer la Côte d’Ivoire du joug sempiternel de la puissance
coloniale française ? Nous pensons que la question de l’indépendance
nationale ivoirienne, par rapport à l’ex-puissance coloniale française,
ne pourra sérieusement se poser que pour une nation ivoirienne
sérieusement écartée du péril identitaire de l’ivoirité, dont
l’influence décisive dans les guerres postcoloniales de Côte d’Ivoire
mérite d’être méditée dans toutes ses conséquences.
III Les guerres ivoiriennes de 2002 et de 2011 sont-elles justifiables ? Qu’il
soit d’emblée clair ici que nous ne voulons faire l’apologie d’aucune
guerre, mais constater qu’elles n’ont pas toute l’absurdité immorale des
guerres d’agression délibérée. En un mot, nous ne pouvons trancher sur
la justifiabilité d’une guerre que si nous établissons au préalable la
hiérarchie des responsabilités et la proportionnalité des moyens. Fidèle
à notre principe méthodologique de lucidité, par-delà émotion et piété
mal venues ici, nous voulons comprendre les racines incontestables de la
belligérance actuelle et interroger la légitimité de la reprise du
sentier de guerre par les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire fidèles
au Président Alassane Ouattara. Nous pensons en vérité, instruits par
l’histoire longue, qu’il y a , hélas, des guerres nécessaires et justes.
Il s’agit donc de comprendre le sens des guerres postcoloniales
ivoiriennes, ce troisième ensemble de guerre dans lequel nous mettons
les guerres civiles de 2002 à 2004, puis l’épisode actuel qui a pris
pied à partir de la marche manquée des ivoiriens pro-Ouattara le 16
décembre 2010 à Abidjan, suite au refus délibéré et mal motivé par
Laurent Gbagbo de reconnaître son incontestable défaite électorale à
l’élection présidentielle du 28 novembre 2010. Nous ne reviendrons ici
pas sur la large validation (CEI, CEDEAO, UA, UE, ONU, nombreuses ONG
internationales) dont la victoire d’Alassane Dramane Ouattara a été
entourée. Nous voulons en réalité nous interroger sur la justification
possible des deux guerres de la postcolonie ivoirienne, qui se suivent
en l’espace de moins d’une décennie. Pourquoi les ivoiriens en sont-ils
plus fréquemment que par le passé, venus aux armes pour résoudre leurs
différends politiques ?
Nous
éliminons d’emblée deux thèses fausses sur la guerre de 2002. La
première consiste à dire qu’elle n’est qu’une guerre de recolonisation
de la France contre la Côte d’Ivoire. Cette analyse est fausse car
autrement, on ne comprendrait pas que la France n’ait pas volé au
secours du Président Henri Konan Bédié, renversé en 1999 par des mutins
sous l’égide du Général Robert Guéi, alors même que le PDCI de Konan
Bédié constituait la garantie ancienne des intérêts français dans le
pays. Cette analyse est fausse parce que Laurent Gbagbo, en 10 ans de
pouvoir, qu’il doit en partie à l’interposition des forces françaises,
n’a déplacé aucun des fondamentaux de l’inféodation stratégique de la
Côte d’Ivoire à la France : monnaie, sécurité, parts de marchés publics,
références symboliques, etc. Cette analyse est par ailleurs fausse
parce que la guerre de 2002 fut en bonne partie menée par des cadets
sociaux issus de l’armée et de la population ivoiriennes, qui
s’estimaient exclus de la citoyenneté ivoirienne plénière par les
manipulations politiques et administratives, le harcèlement économique,
les abus policiers et criminels légitimés par la doctrine de l’ivoirité
qu’élaborèrent des intellectuels inconséquents du CURDIPHE. La guerre de
2002, déclenchée par une partie de l’armée ivoirienne à majorité
nordiste, était d’abord une guerre de reconnaissance citoyenne plénière,
qui rencontra au passage la conjonction relativement favorable de
certains intérêts français que le discours politique du FPI[4],
au pouvoir depuis Octobre 2000 après une élection sanglante et
calamiteuse, voulait timidement remettre partiellement en cause.
La
seconde thèse manifestement fausse sur le déclenchement de la guerre de
2002, c’est qu’elle serait l’œuvre directe d’Alassane Ouattara. On
comprend mal qu’il ait lui-même failli être tué dans cette guerre, car
aux premières heures du conflit, il fut surpris avec sa famille et ne
dut la vie sauve qu’à la solidarité agissante de l’Ambassadeur de
France. Etrange commanditaire d’un coup d’Etat qui serait le dernier à
en connaître les heures et lieux de déclenchement ! De fait, Alassane
Ouattara a dû faire avec le rapport de forces né de ce déclenchement de
conflit, et peser de tout son poids stratégique et symbolique dans la
politisation des FN (Forces Nouvelles), qui lui font ouvertement
allégeance aujourd’hui, dans le cadre des Forces Républicaines de Côte
d’Ivoire, aux côtés d’éléments ralliés des FDS (Forces de Défense et de
Sécurité). Et l’armée républicaine de Côte d’Ivoire est entièrement à
bâtir.
Des
citoyens spoliés de leur nationalité, de leur patrie, de leur
représentativité politique, livrés à toutes sortes de vexations et de
dénégations, clivés dans un délit de patronyme et dans le mépris
banalisé de leurs origines peuvent-ils légitimement exprimer leur désir
de vie par des actes de guerre ? Nous répondons par l’affirmative, avec
des réserves : la guerre de reconnaissance citoyenne menée par les
hommes de Guillaume Soro en 2002 était légitime car elle répondait à une
ambiance et à des actes de barbarie subis par une partie des citoyens
ivoiriens depuis l’accession de Laurent Gbagbo au pouvoir, sans que la
justice n’ait joué le moindre rôle de relais et d’apaisement par la
sanction des coupables. Quand un régime politique se donne la latitude
de gouverner par l’assassinat et l’impunité, les citoyens ont le droit
imprescriptible de se rebeller. Les ivoiriens assassinés et jetés en
pâture à Yopougon en Octobre 2000, les victimes de lynchages militaires
dans les rues du pays lors des manifestations de l’opposition en 2001 et
2002, ont compté parmi les premiers morts de la guerre reconnaissance
citoyenne de 2002. Par contre, bien que les faits liés à cette guerre
aient été inscrits dans les lois d’amnistie après 2004, il importe de
dire qu’autant du fait des Forces Nouvelles que du fait des Forces de
Défense et de Sécurité , de nombreuses personnes ont été arbitrairement
assassinées lors de cette guerre. Il appartiendra à une Commission de
Justice, Vérité et Réconciliation de faire honneur à ces âmes déchues de
leur dignité par la mort abjecte. La réparation du corps symbolique de
la nation ivoirienne doit passer par une vraie réconciliation des
mémoires de souffrances.
Venons-en
à la guerre en cours depuis pratiquement le 16 décembre 2010. Nous
savons qu’elle a pris toutes les configurations d’une guerre classique
et d’une guerre technologique, empruntant par ailleurs aux registres de
la guerre psychologique, et risquant à tout moment de déraper en guerre
ethnique. Quelles en sont les causes ?
Le
refus délibéré, arbitraire et méprisant du Camp Gbagbo de se soumettre
au verdict des urnes en est la première. Ce refus est du reste connecté à
la problématique de la précédente guerre postcoloniale ivoirienne de
2002, puisque c’est en annulant contre la règle de droit le vote
favorable à Ouattara dans les sept régions du Nord, que Laurent Gbagbo a
été déclaré soi-disant vainqueur par le Conseil Constitutionnel dirigé
par son camarade Paul Yao N’dré. Par cet acte, Yao N’dré rouvert
la plaie purulente de la doctrine de l’ivoirité que cette élection –
qui a vu une alliance politique transethnique (le RHDP) surplomber
l’alliance transethnique moins diversifiée de la
LMP – devait commencer à guérir résolument. Gbagbo a donc remis la
guerre de reconnaissance citoyenne de 2002 au goût du jour en cette
année 2011. Exclure 500 mille ivoiriens de l’élection présidentielle,
c’est leur dénier leur citoyenneté. C’est leur déclarer la guerre en les
privant de la reconnaissance d’humanité la plus prisée au monde :
l’appartenance à une communauté de droits et devoirs, par-delà le
principe de consanguinité. L’appartenance à la sphère de moralité
objective de l’Etat de droit.
Nous trouvons une deuxième cause de cette nouvelle guerre postcoloniale, dans la politique agressive
et criminelle délibérément adoptée par le régime Gbagbo contre les
populations civiles ivoiriennes, comme pour les punir de n’avoir pas
obéi à la maxime saugrenue du « On gagne ou on gagne ! » Depuis le mois
de décembre, Laurent Gbagbo a instauré un état d’urgence autorisant tous
les abus de ses sbires sur les populations. Il a fait procéder à de
nombreuses exécutions sommaires dans les quartiers honnis pour avoir
plébiscité son adversaire. Il a fait impunément tirer sur des foules de
femmes manifestant les mains nues. Il a instrumentalisé l’eau et
l’électricité du pays, pour isoler et fragiliser davantage encore ses
compatriotes du Nord. Il a fait piller de nombreuses résidences des
ministres du RHDP dans la Ville d’Abidjan. Il a lancé la milicisation
outrancière du prolétariat abidjanais auquel en 10 ans de pouvoir, la
Refondation n’a donné ni métier, ni emploi qui vaille. Laurent Gbagbo a
ouvert l’Ouest de son pays aux hordes de miliciens libériens qui
pillent, violent, tuent sans vergogne, avec l’approbation de certains
miliciens de l’ouest-ivoirien. Un million de déplacés de guerre errent
dans Abidjan. Laurent Gbagbo a ainsi révélé qu’il était de facto, non
pas un leader nationaliste révolutionnaire africain, mais bel et bien ce
que le Docteur Alexis Dieth appelle à juste titre un ethnocolonialiste africain de l’intérieur.[5]
Enfin, Laurent Gbagbo et son régime, d’atermoiements en roublardises, de mensonges en manipulations creuses, ont
réussi à se mettre toute la communauté internationale à dos, y compris
leurs propres alliés allégués, l’Angola et l’Afrique du Sud, qui
viennent de se ranger à la position de l’Union Africaine, reconnaissant
la validité et la légitimité du Président Alassane Ouattara, comme
Président effectivement élu de la République de Côte d’Ivoire. On a
enfin compris que Gbagbo n’a rien à voir avec Um Nyobé, Sank ara,
Nkrumah, Mandela ou Lumumba. C’est un opportuniste roublard qui entonne
les refrains de l’anticolonialisme dogmatique pour se perpétuer
illégitimement au pouvoir et surtout pas par amour de son pays. On ne
peut aimer son peuple et vouloir s’imposer comme son guide malgré lui.
Les hordes manipulées d’Abidjan ne changent rien au verdict impartial
des urnes.
Dans
ces conditions, la guerre de 2010-2011 pour bouter le régime illégitime
de Laurent Gbagbo hors du pouvoir à Abidjan, est incontestablement une
guerre juste, que nous désignons par la catégorie de guerre de
restauration républicaine. Juste, au sens de conforme au droit et à la
morale. Juste, au sens d’incarnation du droit par la force maîtrisée. Et
en voici les raisons. D’abord, elle est juste parce qu’elle est menée
par l’autorité légitime et légale de la Côte d’Ivoire, le chef suprême
des armées ivoiriennes, Alassane Ouattara, qui a constitué à juste titre
des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire. Ensuite, cette guerre est
juste parce qu’elle est menée pour défendre les populations civiles de
Côte d’Ivoire, livrées à la violence aveugle d’un despote mal inspiré
par son entourage affolé et prisonnier des fastes
morbides de la jouissance. Enfin, cette guerre est juste parce que la
force doit être rendue à la justice en Côte d’Ivoire, afin que commence
enfin, sur des bases fermes et inébranlables, la vraie mission de cette
terre d’espérance, pays de l’hospitalité, qui a vocation à être l’un des
phares de la construction afropolitaine en cours. Nous en avions, dans
une tribune précédente, dessiné les épures dans l’analyse du rôle
d’Abobo, Koumassi et Treichville, communes de résistance et couveuses
afropolitaines de Côte d’Ivoire.
Cette
guerre juste doit être menée dans l’esprit de faire à chaque fois, le
bon choix et le moindre mal pour la Nation Ivoirienne, afin qu’elle
ré-épouse son idéal cosmopolitique sur des bases saines. Elle doit être
menée dans le respect du Droit des gens, des Conventions et Pactes qui
tissent l’humanité profonde. Elle doit être menée avec la détermination,
la lucidité et le courage de ceux qui savent qu’ils sont du bon côté de
l’Histoire, celui qui ne tolère de sacrifice que pour faire surabonder
les forces de la vie, de la vérité, de la justice et de la charité. On
peut méditer ici, le mot de Von Clausewitz dans son célèbre ouvrage Vom Kriege :
« En aucun cas, la guerre n’est un but par elle-même. On ne se bat
jamais, paradoxalement, que pour engendrer la paix, une certaine forme
de paix ». Puissent les ivoiriens choisir – et se battre comme tous les
africains pour - celle qui leur garantit la
liberté, la justice et le bien-être. Et non la paix dans la peur, la
honte, la désolation et la malemort. Paix des colombes de la sagesse, et
non paix des monstres lubriques. Et demain, se lèvera une aurore sûre
dans le ciel d’Abidjan, quand la démocratie fondera une vraie république
de fraternité et de progrès collectif. Malheur aux vainqueurs
amnésiques !
Pr. Franklin NYAMSI Agrégé-Docteur en Philosophie Berlin, Allemagne, le 21 mars 2011. [1] Simone Weil, « Méditation sur l’obéissance et la liberté », in Œuvres, Paris, Gallimard, 1999, p. 493-494 [2] Simone Weil, « Les nouvelles données du problème colonial dans l’empire français » (1938), in Œuvres, Op. Cit., p.419. [3]
On peut lire avec intérêt à cet égard la somme monumentale produite par
Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, sous le titre Kamerun : une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), Paris, La Découverte, 2011. [4] Voir le livre de référence de la Refondation-FPI, Fonder une nation africaine démocratique et socialiste en Côte d’Ivoire, sous la Direction de Harris Mémèl Fotè, Paris, L’Harmattan, 2000. [5] L’article où l’argument du Dr. Dieth est développé est consultable sur http:www.sunucontinent.net/l%E2%80%99ethno-colonialisme-africain-par-alexis-dieth/